Ça y est presque. Si tout se passe comme prévu, une des plus gigantesques quêtes de l'humanité, l'identification de ce qui fait de nous un être humain, notre bagage génétique, notre génome, prendra fin en 2003. Trois milliards de bases d'ADN. Des dizaines de milliers de gènes.

C'est le fameux Projet génome humain (PGH). Cette ambitieuse plongée dans les profondeurs cellulaires, amorcée il y a 10 ans, aura nécessité une participation internationale de centaines de scientifiques répartis dans des méga-centres de recherche, dont le Généthon en France, le Centre Sanger en Grande-Bretagne et le Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux Etats-Unis. Et le but ultime de cette immense entreprise, c'est bien sûr de fournir à la communauté médicale du futur un portrait fidèle –et inédit– de la vie, cette enfilade de gènes indispensables à la compréhension non seulement des maladies héréditaires, mais aussi de nombreuses maladies aux causes multiples, comme l'asthme et le cancer.

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L'ADN est le matériau de base de tout organisme vivant. Présent dans le noyau de chacune de nos cellules, c'est lui qui compose chacun de nos 100 000 gènes et qui transporte l'ensemble des instructions nécessaires au bon –ou au mauvais– fonctionnement de notre corps.

A la fin-octobre, révélaient les responsables du PGH dans la très sérieuse revue Science, seulement 6% de tout notre génome était identifié –c'est-à-à-dire «à peine» 200 millions des 3 milliards de bases. Mais les spécialistes se disaient confiants de voir le dernier droit (les 94% restants!) complété en 2003, grâce aux nouvelles technologies qui permettent d'automatiser une partie du travail, et à l'établissement des premières «cartes géographiques» du génome.

Parmi ces spécialistes, des Québécois de renom: Jean Morissette, du Centre hospitalier de l'Université Laval, Bartha Knoppers, du Centre d'étude de droit public de l'Université de Montréal; et Thomas J. Hudson, un médecin au destin assez exceptionnel. Né à Jonquière il y a 37 ans, directeur du Centre d'étude du génome à l'Hôpital général de Montréal, il est devenu en 1995 co-directeur du plus gros centre de génomique des Etats-Unis, au MIT.

«Tout ça est arrivé un peu par hasard. En 1991, après mes études de médecine à l'Université de Montréal, j'ai été admis au Centre de recherche sur le cancer du MIT pour y poursuivre un post-doctorat. Coïncidence: j'arrivais au moment même où se mettait en place le Centre de recherche sur le génome. Je me suis mis à y travailler en parallèle...» Jusqu'à en devenir directeur-adjoint en 1995!

Niché dans ce qui allait rapidement devenir l'un des centres amiraux (200 chercheurs) du PGH, le Dr Hudson se voit confier, avec d'autres, la responsabilité de mettre sur pied les premières «stratégies d'opération»: à cette «époque», personne ne savait encore quelles technologies il faudrait adopter, ou même créer, pour identifier le plus rapidement et le plus précisément possible, ces fameuses bases d'ADN. «On fait alors des essais... et des erreurs. Il faudra revenir en arrière plus d'une fois, avant que le Projet ne se mette véritablement sur ses rails...»

Une géographie du génome

En fait, c'est tout un environnement technologique, quasi-inexistant au départ, qu'il faudra mettre en place: robots amplificateurs d'ADN, logiciels suffisamment puissants pour traiter les milliards de données génétiques... Et alors jaillira le premier véritable résultat, une structure devenue garante aujourd'hui de la réussite du projet: les «cartes» du génome humain.

En 1993, le Généthon français accouche de la toute première carte, contenant plus de 5000 repères. C'est l'équivalent de ce qu'un cartographe aurait dressé au terme de sa première mission de reconnaissance d'un nouveau territoire. Ces cartes se dessinent sous la forme de longues bandes verticales représentant nos 23 paires de chromosomes, chacun d'eux se décomposant en des milliers de repères ou marqueurs: telle portion du chromosome 2 contient un ou des gènes; telle portion du chromosome 14 contient telle mutation. C'est comme si on avait planté ici et là sur le génome des drapeaux, pour servir de points de repère aux scientifiques qui passeront par là ensuite, à la recherche d'anomalies génétiques ou dans le but de dresser des "cartes" plus précises de telle ou telle région.

En 1995, l'équipe du MIT, co-dirigée par le Dr Hudson, produit sa propre carte, constituée de plus de 15 000 marqueurs. Aujourd'hui bonifiée, elle en compte 50 000, et constitue une référence mondiale.

Arrive Internet, qui envoie le projet sur orbite: l'accès électronique à ces cartes facilite la collaboration à l'échelle internationale. En 1998, 70% des découvertes de gènes associés à des maladies découleront d'un catalogue, UNIGENE, fait entre autres à partir de ces cartes. «La nôtre est consultée 35 000 fois par semaine, dit le Dr Hudson. Ce qu'on identifie le jour au labo se retrouve le soir même sur notre site web. Pas étonnant que la plupart des généticiens aujourd'hui passent la moitié de leur temps sur Internet! Maintenant, ce n'est plus dans le labo, mais là, sur les réseaux électroniques, que se trouve le gros de l'information génétique. C'est une caractéristique de "l'ère post-génomique" dans laquelle nous entrons!»

L'ère post-génomique

Mais où tout cela nous conduit-il? Une fois toutes ces cartes complétées, en 2003, la médecine deviendra-t-elle «génétique», capable de corriger à la source les «accidents» de la nature, les mutations d'ADN, qui causent une grande partie de nos maux? La réponse du Dr Hudson est sans appel: «Non».

La conclusion du Projet génome humain, si elle annonce un bond de géant pour la communauté scientifique, ne promet à l'humanité que de petits pas. «C'est énorme, l'identification de ces 3 milliards de bases.» On a désormais une connaissance complète de la structure du génome; on sait où sont ces 100 000 gènes. Mais à quoi servent-ils tous, c'est une autre histoire. «Tout ça reste pour l'instant comme un grand livre qui aurait 3 milliards de lettres sans espace ni ponctuation.»

Pour séparer ce matériau en mots et en phrases, il va falloir passer à l'autre étape: l'identification et l'élucidation de chacune des parties de cette structure: trouver la fonction de chacun des gènes; mettre au point de nouveaux traitements; intégrer ces nouveaux traitements à la médecine... Toutes ces étapes prendront des décennies, peut-être même un siècle...

Cette lucidité n'interdit cependant pas l'émerveillement devant l'ampleur de ce qui est en voie d'être accompli. «À mon sens, dit le Dr Hudson, la création au XIXe siècle du tableau périodique des éléments –la base même de la chimie– est peut-être le meilleur exemple du grand pas que nous sommes en train de franchir. Quand ce tableau est arrivé, ça nous disait pour la première fois comment la matière, comment tout ce qui nous entoure, était organisé. Voyez, à partir de là, tout ce qu'on a pu construire, et projetez cela sur la biologie du XXIe siècle...»

Le Projet du génome humain arrivera à son terme au moment même où se terminera un autre grand travail: l'assemblage de la station spatiale internationale. Les deux projets ont une chose en commun: l'humanité se donne deux nouvelles plate-formes d'observation du réel, la microgravité, qui permet de revoir les lois de la physique par de nouvelles fenêtres, et le délié entier des briques qui constituent ce que nous sommes.

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