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Et c’est reparti. Les revoilà qui recalculent, à la hausse, l’étendue de la marée noire. Et qui découvrent une nouvelle marée noire, sous-marine celle-là. Mais comment se fier à leurs chiffres, s’il y a entre eux des marges d’erreur aussi impressionnantes?

Après l’accident qui avait envoyé au fond de la mer la plate-forme Deepwater Horizon, la Garde côtière avait publié une première estimation le 25 avril : 160 000 litres par jour (42 000 gallons). Et puis, le 28 avril, les autorités américaines quintuplaient leur estimation : 800 000 litres par jour.

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C’est avec ce dernier chiffre qu’on a vécu pendant deux semaines, jusqu’à ce qu’un reportage de la radio publique américaine NPR, le 13 mai, ne fasse défoncer le plafond des estimations : entre 9 millions et 13 millions de litres par jour!

En comparaison, en 1989, l’Exxon Valdez avait déversé 41 millions de litres sur les côtes de l’Alaska. Donc, selon l’estimation la plus pessimiste, on aurait l’équivalent de l’Exxon Valdez... tous les trois jours!

Mais ces chiffres sont eux-mêmes sujets à caution : les scientifiques interrogés par NPR se sont appuyés sur le film de la fuite, diffusé la veille par BP. Un film de 30 secondes sur lequel on voit s’échapper du pétrole, mais aussi du gaz : connaître la proportion de l’un et de l’autre serait indispensable.

On peut pourtant voir la marée noire s’étendre du haut des airs : pourquoi est-il si difficile de la mesurer?

Une partie de la réponse est arrivée samedi : la première mission scientifique sur place, à bord du navire Pelican, a détecté la présence d’une autre « marée noire », mais sous-marine, un « panache » : « il y a une énorme quantité de pétrole sur de multiples couches, trois, quatre ou cinq couches de profondeur dans la colonne d’eau », selon Samantha Joye, de l’Université de Georgie. Le tout, entre 700 mètres et 1300 mètres de profondeur (le fond marin est à 1500 mètres).

« Nous essayons de les cartographier, mais c’est un travail compliqué. Pour l’instant, il semble que le pétrole se déplace vers le sud-ouest, pas très rapidement. »

Beaucoup de pétrole dans l’eau veut dire beaucoup moins d’oxygène pour toute la vie marine à proximité.

Sur ce même navire, ont lieu deux autres types d’expériences, rapporte Nature. La première, la fluorométrie, consiste à envoyer des rayons de lumière sous l’eau et à mesurer les longueurs d’ondes sur lesquelles les rayons sont réfléchis : dans un cercle de 30 à 50 mètres, cela permet de déterminer ce qui se cache sous l’eau. L’autre expérience, la transmissométrie, mesure la concentration de particules, et les résultats préliminaires montreraient déjà une concentration anormale à 120 mètres de profondeur. Il pourrait s’agir de pétrole agglutiné au plancton.

Qui a raison?

L’estimation officielle, soit 800 000 litres par jour, avait été produite par une unité de l’Administration américaine des océans (NOAA) spécifiquement en charge des marées noires. Elle provient d’un modèle appelé la convention de Bonn, qui utilise la couleur d’une étendue de pétrole à la surface pour estimer son épaisseur, et à partir de là, multiplier par la surface couverte.

Or, un autre scientifique interrogé par le New York Times, le Britannique Alun Lewis, est d’avis que la convention de Bonn n’est pas recommandée pour de très larges marées noires, comme celle du Golfe du Mexique, parce que trop de facteurs extérieurs peuvent faire varier son épaisseur.

La semaine dernière, la compagnie BP a prétendu qu’il était impossible de mesurer la quantité de pétrole qui fuit. Une déclaration qui, ajoutée aux déboires pour colmater, a contribué à détériorer un peu plus l’image de BP.

BP a-t-elle raison? Ce n’est pas l’avis des scientifiques qui tentent depuis deux semaines de convaincre la compagnie de les laisser utiliser « leurs » techniques qui, disent-ils, ont été éprouvées ailleurs : Richard Camilli et Andy Bowen, de l’Institut Woods Hole d’océanographie, au Massachusetts, affirment par exemple pouvoir mesurer avec précision la quantité de pétrole qui s’échappe, à condition de pouvoir installer leur équipement sur place, plutôt que de se contenter d’observer le court film diffusé par BP. Cette dernière a d’ailleurs été critiquée pour avoir diffusé si peu d’informations.

Mais les autorités ne semblent guère mieux loties que BP. Lorsque, le 28 avril, le gouvernement américain a haussé son estimation officielle de 160 000 à 800 000 litres par jour, c’était 24 heures après qu’un petit organisme de sensibilisation à l’environnement spécialisé dans l’analyse des cartes et des photos, SkyTruth, ait publié cette estimation de 800 000 litres, sur la base d’images satellites.

Dans le cadre des audiences devant le Congrès la semaine dernière, BP a évoqué que le « scénario du pire » serait de 9 millions de litres par jour, « si la fuite devait s’accélérer ». Un scénario peu plausible, mais qui l’a fait moins mal paraître que la déclaration d’un de ses administrateurs, Tony Hayward qui, en entrevue au quotidien The Guardian, a voulu minimiser :

Le Golfe du Mexique est un très grand océan. La quantité de pétrole et de dispersant que nous envoyons est minuscule, comparativement au volume total d’eau.

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