Quelques centaines de dollars et quelques jours de patience pour connaître votre risque de contracter telle maladie, les aptitudes de vos futurs enfants ou votre arbre généalogique, le tout en crachant simplement dans un tube... Beaucoup trop beau pour être vrai, selon Gregory Kutz : « Dans 68 % des cas, les donneurs ont reçu des prédictions souvent largement différentes pour une même maladie », conclut-il à l'issue de l'investigation qu'il a dirigée pendant plus d'un mois.
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Le 22 juillet dernier, les représentants de trois des principales firmes de biotechnologie qui proposent des tests ADN à partir d'un échantillon de salive envoyé par la poste —23andMe, Pathway Genomics et Navigenics— ont comparu devant un sous-comité du Congrès. Ils venaient répondre aux questions soulevées par les résultats d'une enquête du Government Accountability Office (GAO). Les agents de ce « chien de garde » indépendant au service du Congrès ont envoyé dix échantillons d'ADN —issus de cinq donneurs, deux échantillons pour chacun, l'un accompagné du vrai dossier médical et l'autre d'informations fictives— à ces trois compagnies et à une quatrième, deCODE Genetics, absente à l'audition.
Or, les résultats des tests sont « de peu ou pas d'utilité pour les clients et susceptibles de les induire en erreur », a expliqué M. Kutz. Par exemple, l'un des donneurs a écopé d'un diagnostic de risque d'hypertension inférieur à la moyenne d'un premier laboratoire, moyen d'un second et supérieur d'un troisième.
À la base de ce remue-ménage, la volonté de la Food and Drugs Administration (FDA) d'encadrer le discours des fournisseurs de tests ADN, qui se présentent au public comme des entreprises médicales aussi fiables et rigoureuses que les autres : depuis juin 2010, l'agence considère que les analyses génétiques doivent donc être homologuées comme n'importe quel médicament ou appareil de santé.
À l'issue de l'enquête du GAO, la FDA a annoncé qu'elle rencontrerait dans les prochaines semaines six autres compagnies du secteur pour discuter de la façon de réglementer leurs activités. Un projet de mise sur le marché d'un test ADN similaire à un test de grossesse, disponible en pharmacie pour 20 à 30 US$, a également été mis sur la glace.
Avec à peine quatre ans d'existence, le marché de la génétique grand public n'est pas encore rentable. Seulement 100 000 personnes ont payé pour faire décoder leur génome, la plupart n'ayant déboursé que quelques centaines de dollars —de 299 à 999$ en moyenne— pour l'analyse d'un gène spécifique. Mais alors que le premier séquençage complet du génome humain a nécessité plus d'une décennie et près de 3 milliards $, la même opération est aujourd’hui possible pour 10 000 $, un coût qui pourrait encore être divisé par 10 d'ici 2013, alors que la lecture de tout l'ADN d'une personne sera conclue en un quart d'heure ; c'est aussi le secteur médical qui connaît la plus forte croissance.
« Le public a le droit de connaître ses gènes pour prendre des décisions médicales judicieuses », ont plaidé les compagnies devant le sous-comité, tout en défendant la validité de leur travail. Encore faudrait-il qu'elles soient capables d'offrir ce service aux gens, rétorque Arthur Caplan, le directeur du centre de bioéthique de l'université de Pennsylvanie. Pour lui, la logique commerciale est allée beaucoup trop vite en faisant la promesse d'un test simple, efficace et universel que la technologie n'est pas à même de tenir. D'abord, les techniques de séquençage sont loin d'être fiables à 100 %, et l'interprétation des résultats n'est jamais directe ; ensuite, la connaissance du génome humain reste très parcellaire et limitée à de rares groupes ethniques ; de plus, « les gènes ne disent pas toute l'histoire », le passé d'un individu, son environnement et son mode de vie étant aussi importants que son génome, explique M. Caplan. Enfin, il considère, comme d'autres experts, que le manque d'encadrement des tests ADN grand public fait peser de lourdes menaces sur le secret médical.