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Le Canada est-il vraiment à la traîne en innovation? L’ambition de rattraper un éventuel retard peut-elle faire l’impasse sur la recherche fondamentale? Ce sont deux des grands axes suivis lors de la 4e édition du congrès sur les politiques scientifiques canadiennes.

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Nos trois invités cette semaine, qui ont assisté à ce congrès —davantage connu sous son nom Science Policy Canada— le confirment : les préoccupations des gens d’affaires y occupent une place importante. L’idée que le gouvernement ne favoriserait pas assez les « entreprises innovantes », ou que les arrimages entre universités et « innovation » doivent être renforcés, voire « l’innovation » en agriculture... Ces dernières années, le gouvernement Harper a d’ailleurs intensifié ces efforts en ce sens : le dernier budget, en mars 2012, contenait des mesures visant à rendre plus « efficaces » les fonds investis en recherche et leurs retombées concrètes.

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Pour la députée néo-démocrate Laurin Liu, dont le parti a profité du congrès pour déposer un rapport critique de cette évolution, on sentirait un glissement dangereux vers des subventions à la recherche qui soient trop orientées vers la satisfaction des besoins de l’industrie.

Karine Morin, directrice chez Génome Canada, apporte un bémol : s’il y a un domaine où la recherche fondamentale est indispensable, c’est bien la génomique, et l'organisme pour lequel elle travaille, interface entre les fonds publics et la recherche, ne peut négliger un dialogue entre la recherche fondamentale et l’industrie des biotechnologies.

Enfin, Marc Bourgeois, directeur des communications chez Ingénieurs Canada, soulève un autre problème, présent en filigrane de chaque édition du congrès canadien Science Policy depuis quatre ans, et déterminant pour les rapports (ou leur maigreur) entre science et politique : les lacunes en communication des scientifiques.

Nos invités :

 

En musique : We Are All Connected, par Symphony of Science.

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Je vote pour la science est diffusée le mardi à 11h à Radio Centre-Ville (102,3 FM Montréal). Vous trouverez sur cette page des liens vers les émissions des saisons précédentes. Pour en savoir plus sur l'initiative Je vote pour la science, rendez-vous ici. Vous pouvez également nous suivre sur Twitter et nous télécharger sur iTunes.

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Transcription de la première partie

Isabelle Burgun (IB) : Chaque semaine depuis 4 ans, on vous parle à cette émission de liens entre science et politique. Mais il y a un congrès canadien qui, chaque année depuis 4 ans, se spécialise aussi là-dedans : Science Policy ou, en français, le congrès sur les politiques scientifiques canadiennes. Et parmi les panelistes chaque année, des politiciens, des gens d’affaires, des représentants d’organismes subventionnaires ou des administrateurs d’universités ou d’organismes de recherche...

Pascal Lapointe (PL) : La quatrième édition avait lieu la semaine dernière à Calgary, pendant 3 jours. Parmi les sujets abordés : il a été question de la crainte que notre facture en santé n’augmente beaucoup trop vite à cause du vieillissement de la population. De la pertinence de mettre en place des réglementations sur l’alimentation pour lutter contre l’épidémie d’obésité. Et surtout, du fait que le Canada serait à la traîne dans ses investissements dans l’innovation. On aura l’occasion d’en reparler tout à l’heure avec Lauren Liu, députée du NPD pour la circonscription de Rivière-des-Mille-Iles, qui a assisté à ce congrès.

Et il y a aussi eu pendant ce congrès toute une série de questionnements qui préoccupent beaucoup les gens d’affaires. Par exemple, que la bureaucratie à travers laquelle un entrepreneur doit passer pour obtenir du financement gouvernemental en recherche serait beaucoup trop lourde.

Le congrès avait lieu cette année à Calgary, en Alberta. Et il faut souligner que depuis l’an dernier, le gouvernement de l’Alberta est assez visible parmi les commanditaires de ce congrès. Et ça, au passage, c’est une occasion pour les Québécois de, peut-être, combattre certains préjugés à l’égard de l’Alberta, qui investit beaucoup plus dans la recherche qu’on ne l’imagine, et pas seulement la recherche pétrolière, au contraire. Parmi les partenaires du congrès, il y avait l’Association albertaine de l’industrie des biotechnologies, le réseau albertain de recherche sur les nanotechnologies, et le Livestock Gentec, un partenariat entre l’Université de l’Alberta et l’entreprise privée pour favoriser la commercialisation de découvertes en génétique pouvant servir aux éleveurs bovins.

IB : Mais si on revient à la base. Pourquoi avoir créé un congrès science et politique?

PL : Essentiellement, ils sont partis d’un constat similaire à nous, en créant cette émission, il y a quelques années : il y a souvent un gouffre entre les politiciens et les scientifiques, et il est anormal qu’au 21e siècle, la science ne soit pas plus présente dans l’univers politique. Très souvent, des lois, des règlements, sont écrites qui doivent s’appuyer sur des données scientifiques : dans l’alimentation, l’énergie, les transports, l’urbanisme... et, évidemment, la protection de l’environnement.

IB : Et trop souvent, ces décisions reposent plutôt sur l’idéologie que sur les données scientifiques.

PL : Oui.

IB : Les trois premiers congrès ont eu lieu à Toronto, Montréal puis Ottawa. Tu es probablement le seul journaliste québécois à avoir assisté aux trois. Est-ce que la volonté des organisateurs de jeter des ponts entre science et politique a eu des effets concrets?

PL : Je pense qu’ils se rendent compte à l’usage que c’est plus difficile qu’ils ne le pensaient il y a quatre ans. Le congrès est un beau succès d’organisation : c’est parti d’une poignée de bénévoles, tous des étudiants au doctorat et post-doc il y a 4 ans, c’était pratiquement mené à bout de bras par un nommé Mehrdad Hariri, qu’on a interviewé à l’émission. Et c’était devenu dès la deuxième année, en 2010, un lieu où des représentants du monde politique, venaient faire leur tour. Cette année, ils ont eu droit à une conférence d’ouverture du maire de Calgary qui a été très motivante, si j’en juge par les réactions sur mon fil Twitter.

Mais au-delà de l’organisation, il est certain qu’il ne suffit pas de dire qu’il faut que science et politique se parlent, pour que ça se réalise comme par magie. Parmi les nombreux problèmes par exemple, il y a « quelle science »? De quelle science parle-t-on? Une science au service de l’industrie pour créer de l’emploi, ça, les politiciens sont toujours réceptifs. Ou bien s’il s’agit de la recherche fondamentale, par définition plus difficile à vendre?

IB : Un vieux dilemme. Le savoir pour le savoir, ou bien le savoir utilitaire...

PL : Faut rappeler que c’est juste au cours des 25 dernières années que les partenariats universités-entreprises sont entrés dans les moeurs. Et c’est juste au cours des 10 dernières années qu’on a senti s’intensifier l’idée, au Canada, que le gouvernement veut favoriser la recherche qui rapporte des dividendes. Mais à présent en 2012, c’est quelque chose que beaucoup de gens ne songeraient même pas à remettre en question, tant ça leur paraît évident, et ça se reflétait dans les nombreux titres de panels avec le mot « innovation » : science innovante dans l’économie du savoir, le continuum de l’innovation en génomique, l’innovation en énergie et le rôle du gouvernement, l’entrepreneuriat comme véhicule pour l’innovation, innovation et agriculture.

IB : Mais je pense que ton premier invité, lui, était aussi intéressé par autre chose : l’importance de mieux communiquer.

PL : Si on parle de créer des dialogues entre science et politique, ça veut dire qu’on parle de mieux communiquer la science aux politiciens. Et chaque année à ce congrès, les difficultés qu’ont les scientifiques à communiquer est une thématique qui revient. Peu de scientifiques sont de bons vulgarisateurs. Ils ne savent pas comment convaincre un politicien de l’importance d’investir en science.

(entrevue avec Marc Bourgeois à la 5e minute, sur le lien audio ci-contre)

IB : Le fait que le Canada n’investirait peut-être pas assez dans l’innovation, c’est une préoccupation qui était présente cette année à ce congrès, et l’an dernier : les gens d’affaires se plaignent du fait qu’il y aurait trop de bureaucratie, que les fonds publics dans la recherche ne sont pas investis efficacement...

PL : À la demande du gouvernement Harper, un groupe de travail, le comité Jenkins, a donc déposé un rapport en octobre 2011 qui concluait que plusieurs des programmes destinés à soutenir les entreprises qui font de la recherche, étaient inefficaces.

Il y avait des recommandations, et on en a retrouvé une partie dans le budget fédéral déposé en mars 2012 : même s’il n’y avait pas plus d’argent qu’avant pour la recherche, les fonds étaient distribués différemment. Par exemple, le Conseil national de recherche, un organisme subventionnaire qui remonte à 1916, cesse désormais de subventionner la recherche fondamentale et doit se concentrer sur les besoins des entreprises.

L’objectif officiel derrière tout ça, c’est d’avoir un secteur canadien de l’innovation qui soit plus rentable, qui produise davantage de brevets et donc, crée davantage d’emplois.

(entrevue avec Karine Morin, de Génome Canada, à la 11e minute sur le lien audio ci-contre, puis avec Laurin Liu, députée du NPD, à la 19e minute)

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