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Tunisie, Libye, Egypte, Yemen, Bahrein, Syrie. Pourquoi les soulèvements populaires surviennent-ils maintenant, plutôt qu’il y a 10 ans, ou dans 10 ans? La crise alimentaire a été évoquée comme moteur du printemps arabe. Et le pétrole, lui?

Dès 2011, The Economist énumérait quatre facteurs communs à tous ces pays : la fatigue d’un dictateur au pouvoir depuis trop longtemps, le pourcentage très élevé d’adultes dans la vingtaine, la corruption et le faible revenu par habitant. Quatre facteurs sans lesquels ces révolutions n’auraient pas levé de terre. Dans ce contexte explosif, la hausse du prix des aliments endémique ces dernières années pourrait avoir été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase (voir La crise alimentaire n’a jamais pris fin).

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À première vue, le pétrole n’aurait rien à voir, puisque les plus gros producteurs de pétrole n’ont pas, eux, été secoués par des mouvements comparables. L’Égypte et la Syrie, par exemple, sont de petits producteurs. Mais c’est peut-être justement le fait d’être des petits qui a fait leur vulnérabilité.

C’est la thèse défendue entre autres par le blogue The Oil Drum, qui notait en janvier 2011, au moment des premiers soulèvements, que l’Égypte était en train de passer du statut de vendeur à celui d’acheteur de pétrole :

Nous [observons] que la consommation de pétrole en Égypte a augmenté rapidement [dans les années 2000] tandis que la quantité extraite chaque année déclinait. À partir de 2010 ou 2011, l’Égypte passera d’une nation exportatrice de pétrole à celui d’importatrice, s’il y a des importations disponibles sur le marché mondial.

Or, il se trouve que l’Égypte n’est pas la seule à subir un déclin de sa production pétrolière: à l’échelle mondiale, celle-ci semble avoir atteint un plateau depuis 2005. D’où des prix plus élevés, et ce au moment où l’Égypte avait le moins besoin de voir augmenter ses factures.

Et quel autre «petit» producteur est passé à peu près en même temps au statut d’importateur? La Syrie.

Le politologue californien Michael L. Ross fait une autre corrélation, plus controversée: plus un pays est riche en pétrole... moins il est démocratique. Lorsque le printemps arabe a commencé, écrit-il, les régimes riches en pétrole ont été plus efficaces pour «éliminer toutes les tentatives de les déloger». La seule exception a été la Libye —et encore, les rebelles auraient peut-être perdu, si les pays occidentaux n’étaient pas intervenus.

«Aucun pays possédant plus d’une fraction de la richesse pétrolière par habitant de Bahrein, de l’Iraq ou de la Libye, n’est passé avec succès de la dictature à la démocratie.» Un phénomène que Ross appelle «la malédiction du pétrole» ( The Oil Curse ), le titre de son livre.

Ses détracteurs répliquent qu’une telle théorie est impossible à prouver: «l’échantillon» de pays disponibles est petit, et sa corrélation pourrait n’être qu’une coïncidence... ou une situation provisoire, puisque les réserves pétrolières ne sont pas éternelles.

Reste qu’en attendant, si la crise alimentaire internationale se prolonge, et si ce déficit pétrolier s’agrandit, l’avenir des révolutions démocratiques au Moyen-Orient est loin d’être rose. Parce que la facture pour les biens essentiels continuera d’augmenter (l’Égypte importe 60% de son blé). Et parce que les pénuries de pain et d’essence, entre autres, se prolongeront, une recette explosive pour une population déjà démunie —et jeune.

Dans un texte du blogue Oil Drum paru le 23 juin —une semaine avant les méga-manifestations en Égypte qui ont conduit à la chute du président Morsi :

À un certain degré, l’instabilité se nourrit elle-même. L’Égypte continue d’avoir du mal à assurer un approvisionnement adéquat en carburant, et bien que l’Iraq et la Libye aient accepté de l’aider, ces pays préfèrent être payés à la livraison, ce qui constitue un contentieux. [L’Égypte] a atteint le point où la production intérieure ne peut plus suffire à la demande, et ses importations vont devenir de plus en plus cruciales pour le budget et, en conséquence, pour la stabilité nationale.

À surveiller : l’Iran, si jamais il s’avérait que sa production pétrolière commence elle aussi à décroître. Et la Turquie, devenue à son tour, il y a deux ans, importatrice plutôt qu’exportatrice.

À surveiller aussi: les recherches scientifiques qui deviendront de plus en plus cruciales pour extraire du pétrole plus en profondeur dans les réserves de plus en plus déclinantes —là où il en coûte pour l’instant trop cher de le sortir de terre.

Idée: Philippe Gauthier

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