Après s’être intéressé à la communication entre arbres, aujourd’hui, c’est leur —presque— immortalité qui l’émerveille. Rencontre avec le grand défenseur des forêts primaires à la Maison de l’Arbre où l’on inaugurait récemment un nouveau parcours d’interprétation inspiré de ses travaux.
Abonnez-vous à notre infolettre!
Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!
Agence Science-Presse (ASP) — Quel genre de botaniste êtes-vous?
Francis Hallé (FH) — Il faut dire que lorsque j’étais à l’Université de la Sorbonne, en France, je m’intéressais plus aux animaux qu’aux plantes. Je suis devenu botaniste quand je vivais dans le Quartier Latin de Paris. J’avais un pot de terre sur le balcon. Une plante en est sortie, elle a grandi et a fleuri sans que je l’arrose. C’est magique l’autonomie d’une plante. Elle vivait sa vie. Elle était indépendante. Un animal en cage, vous devez le nourrir sinon il meurt. Une plante, c’est beaucoup plus astucieux. Cela m’a donné envie de m’y intéresser.
ASP — D’où vient votre passion pour les arbres?
FH — Ma vraie passion, ce sont les plantes tropicales d’ici qui deviennent des arbres dans les tropiques, comme les baobabs, de la famille des Malvacées qui compte aussi la mauve ou la rose trémière. Lorsque nous pensons aux arbres, nous pensons à «solidité», à «permanence», etc., mais c’est plutôt des êtres vivants qui créent des paysages où vivent les animaux —et nous. Il y aurait 70 000 espèces d’arbres et on en découvre une centaine tous les ans. Les arbres des forêts primaires sont particulièrement fascinants —c’est là où la biodiversité forestière est la plus élevée—, mais il reste de moins en moins de ces forêts si importantes pour l’humanité. Mes premiers travaux portaient sur l’architecture des arbres, plus spécifiquement, sur leur façon de se développer. À l’université, on identifiait les plantes à partir des fleurs. Mais en Afrique, les arbres sont énormes et ne portent pas tous des fleurs. J’avais alors discuté avec le chef d’un village et il m’avait expliqué que c’est par l’architecture des arbres qu’il les différenciait. J’ai sorti un papier et un crayon —que j’emporte toujours avec moi depuis— et j’ai appris à regarder. C’est irremplaçable.
ASP – Vous vous êtes d’abord intéressé à la communication entre arbres, voire à leur timidité. Pouvez-vous nous en glisser un mot?
FH — Les arbres sont fixes et ne peuvent pas se rapprocher en se déplaçant. Pour se reproduire, ils utilisent donc des composés organiques volatils (COV), tel le parfum des fleurs pour attirer les pollinisateurs. De cette manière, les arbres attirent ou repoussent les insectes. C’est une communication par voie aérienne. Les arbres sondent aussi, via leurs racines, ceux qui de la même espèce. Ils échangent ainsi de l’eau et des minéraux. Sur la timidité des arbres… Lorsqu’on regarde la cime des camphriers du Japon, on remarque que les branches ne se touchent pas. Cette fente de timidité se produit entre les arbres de la même espèce et même, au sein de la même couronne, grâce aux COV.
ASP – Dans les années 1980, vous avez été des premiers botanistes à scruter la canopée. Quelles sont les principales découvertes que vous y avez faites?
FH — Avant 1982, on estimait à environ 1 million le nombre d’espèces végétales sur la Terre. L’entomologiste Terry Erwin a été le premier à faire un inventaire de la canopée et à multiplier ce chiffre par 10. Ses travaux nous ont motivés à aller travailler là-haut. Pour aller sur la couche supérieure des forêts, il y avait déjà la méthode américaine (monter de bas en haut). Nous avons préféré nous poser sur la canopée avec le radeau des cimes. En tant que botaniste, j’y ai fait deux découvertes majeures. Tout d’abord, l’activité biochimique est plus forte en hauteur qu’au sol. Un même arbre peut, par exemple, être inactif en bas et voir son activité multipliée par cinq en haut. On retrouve donc dans ces arbres plus de molécules actives, des alcaloïdes, des saponines, etc. Ces «arbres médicinaux» sont une ressource énorme pour la médecine et la pharmacopée. La seconde découverte est celle de l’hétérogénéité génétique dans la même couronne. Normalement, on a une graine, un génome. Sur la canopée, il y a plus de lumière et plus d’ultraviolets mutagènes. Les mutations génétiques sont donc plus fréquentes. Si les rayons ne tuent pas les cellules, ils provoquent toutefois des mutations sur une branche. Elle peut se mettre par exemple à fleurir de manière plus précoce que les autres. Nous y avons par conséquent découvert de nouvelles espèces d’arbres.
ASP – Aujourd’hui, vous vous intéressez davantage aux arbres des villes, pourquoi?
FH — Je m’intéresse aux arbres… des villes tropicales. En général, les municipalités limitent la place des arbres à un rôle ornemental: cela fait joli et ils donnent de l’ombre. Pourtant, les arbres procurent de l’air pur, ils créent un lien social et ils participent même à l’amélioration de la santé mentale. En ville, on dépense beaucoup d’argent pour repenser le béton alors qu’il faut laisser les plantes nous aider à vivre mieux. C’est sûr, un arbre, il lui faut de la place. Et il y a peu d’espace en ville. Il ne faut pas qu’il soit trop proche des maisons et des lignes électriques. Mais en fait, c’est quand on le coupe trop souvent qu’il devient dangereux. Ces blessures fragilisent les branches. C'est pourquoi j’ai écrit un livre, Du bon usage des arbres: un plaidoyer à l’attention des élus et des énarques, où l’on trouve les 10 commandements pour l’arbre. Nous croyons bien les connaître, mais nous en sommes encore qu’au tout début de notre compréhension des arbres.