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En traversant l'île de Montréal, on longe immanquablement des terrains clôturés qui semblent à l'abandon, témoins d'une activité humaine qui a depuis longtemps fait ses bagages. Industrie, voie de chemin de fer ou station-service, le résultat est le même: ces terrains sont pollués, et par conséquent impropres à toute utilisation. Sur son site Internet, la Ville de Montréal en recense plus de 500.

Dans son bureau du Jardin botanique de Montréal, Michel Labrecque entretient un rêve pour ces lieux abandonnés: les recouvrir de saules. Il ne s'agit pas d'une banale idée esthétique: ce botaniste participe à un projet de l'Université de Montréal et de McGill, GenoRem, qui vise à décontaminer des sites en utilisant la technique appelée phytoremédiation. Un mot qui signifie qu'on utilise des plantes pour extraire les contaminants du sol. «J'étudie comment les végétaux fonctionnent dans un contexte stressé, explique M. Labrecque. Dans ce cas, il s'agit d'un stress environnemental dû à la pollution.»

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Son choix s'est porté sur les saules parce que cette espèce pousse bien au Québec, mais ce n’est pas la seule raison: «on peut planter les saules sous forme de boutures dans le sol et en installer des milliers à l'hectare. De plus, certaines espèces poussent très vite. Et plus la plante a une croissance importante, plus les racines sont proportionnellement développées.» Or, c’est par les racines que les contaminants seront absorbés, de la même manière que les plantes vont chercher par leurs racines les micro-éléments nécessaires à leur croissance. Les plus solubles, comme le cadmium ou le zinc, peuvent voyager par la sève pour être accumulés dans le tronc et les feuilles. À l'inverse, le plomb ne pénètre pas bien les tissus des plantes, mais il reste bloqué dans les racines.

Au bout d'un an ou deux, les saules deviennent saturés en contaminants, et il faut les couper. Pour M. Labrecque, c'est un autre avantage de cet arbre: «il accepte très bien d'être taillé, il y a une recroissance phénoménale de plusieurs tiges à partir de la souche». On peut ensuite brûler le bois ainsi collecté. Les cendres, fortement chargées en contaminants, doivent être entreposées: au lieu d'avoir des centaines de tonnes de terre à gérer, on se retrouve avec quelques dizaines de grammes de cendre.

Un processus lent mais viable

Tout ceci peut prendre beaucoup de temps: jusqu'à 30 ans, selon M. Labrecque. C’est long, mais tous ces terrains clôturés depuis un quart de siècle deviennent autant d'occasions manquées. Frances Foster l'a appris à ses dépens. Cette artiste de la Petite-Patrie marchait chaque matin, depuis plus de 20 ans, dans une petite forêt qui avait repris possession d'un ancien terrain du Canadien Pacifique, à l'angle des rues Beaubien et St-Urbain. Ses voisins et elle avaient baptisé cet endroit parc des Gorilles: «pendant l’été, l’herbe poussait, cela ressemblait à une petite jungle, raconte-t-elle. Il y avait des jardins avec des tomates, des sans-abri avec leurs tentes, tout cela me faisait penser au film La Planète des singes. Et les gorilles, c’étaient nous, les gens qui se promenaient dans le parc et en prenaient soin».

Le 15 mai 2013, la promenade de Mme Foster a tourné court: «je suis arrivée face au parc et tout avait été rasé. J’ai vu une marmotte qui courait dans la rue parce qu’elle avait perdu son habitat, et je me suis mise à pleurer». Les jours suivants, une excavatrice a retiré la terre sur un mètre de profondeur: les voisins ont été confrontés à la méthode de décontamination la plus répandue, dig and dump, qui consiste à simplement retirer la matière polluée pour l'amener à un site d'enfouissement. Cela permet de rendre rapidement disponible un terrain qui a une certaine valeur foncière. Le parc des Gorilles avait été vendu à un promoteur immobilier.

Alerté par les citoyens, l'arrondissement a déposé une réserve foncière sur le terrain afin d'obliger le promoteur, qui a agi sans permis, à lui céder la propriété. Un nouveau parc sera aménagé, mais les gorilles ont perdu l’espace sauvage qu'ils aimaient...

Michel Labrecque pense que la phytoremédiation pourrait être utilisée pour décontaminer ce genre d'espace, dans une vision à long terme de la ville. En y appliquant, de plus, l'autre facette du projet GenoRem: une symbiose entre plantes et micro-organismes.

L'apport des champignons

Dans les locaux de l'Institut de recherche en biologie végétale de l'Université de Montréal, le professeur Franz Lang élabore des programmes informatiques qui permettent de comprendre le développement des micro-organismes. «Certains champignons, qu'on appelle mycorhizes, infestent littéralement les racines des plantes, explique-t-il. Cela forme une symbiose très sophistiquée. Le champignon ne peut survivre sans les racines; en retour il transporte les contaminants de manière à ce que la plante soit capable de les absorber.»

Les hydrocarbures en particulier, sont difficilement assimilés par les plantes. Le visage de M Lang s'illumine lorsqu'il montre sur son ordinateur une substance noire criblée de petites taches blanches. Il s'agit de champignons dont il veut garder le nom confidentiel, qui ont la capacité de pousser sur une plaque de bitume pur. «On prend une spore, on la pose sur l'asphalte, et en deux ou trois jours, le champignon pousse! On peut l'utiliser lui aussi en association avec une plante. Il va solubiliser l'asphalte pour que la plante puisse l'absorber en totalité.» Le défi est de trouver la combinaison adaptable à chaque type de pollution…

Franz Lang voit grand: «les zones d'extraction de sables bitumineux en Alberta sont contaminées par un mélange d'hydrocarbures. Ce sont des surfaces légèrement polluées, mais suffisamment pour que ça coûte très cher de les traiter par des méthodes conventionnelles. On pourrait donc imaginer d'y appliquer un traitement par phytoremédiation à grande échelle.» Il a dans ses tiroirs de nombreuses souches de micro-organismes qui peuvent être multipliés très rapidement afin de décontaminer de grandes surfaces à moindre prix... à condition d'être patient.

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