tourbiere

Il faut ouvrir l’œil pour admirer la tige pourpre dotée de petites grappes fleuries de la petite orchidée des tourbières, la listère australe, inscrite sur la liste des espèces menacées du Québec. Il n’en resterait que 3 000 tiges !

Les tourbières couvrent 3 % de la superficie de notre planète — dont le quart se retrouve au Canada. Longtemps dépréciées, ces zones humides riches de tourbe intéressent les scientifiques puisqu’elles constituent de formidables « éponges » à carbone.

Le couvert et le sol épais des tourbières emprisonnent en effet une grande quantité de matière organique, constituée majoritairement de carbone. Comme la production de cette matière organique capte davantage de carbone que sa dégradation en libère, le bilan carbone au sein des tourbières s’avère positif. La présence de la nappe phréatique élevée, une caractéristique propre à ces milieux, favorise aussi la séquestration du carbone.

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« La quantité de carbone au sein des tourbières est 9 fois plus élevée que celle des forêts en raison des couches de matières emmagasinées dans le sol. Les tourbières forment plus de la moitié du stock de carbone terrestre de la province », précise la directrice de la Chaire de recherche sur la Dynamique des Écosystèmes Tourbeux et Changements Climatiques (DÉCLIQUE) de l’UQAM, Michelle Garneau.

Au Québec, les sols des écosystèmes tourbeux et forestiers séquestreraient à eux seuls 18 gigatonnes (Gt) de carbone. Soit l’équivalent de 66 Gt en CO2 ou 800 années d’émissions de CO2 liées aux activités anthropiques du Québec, ont estimé Mme Garneau et ses collègues, à partir de données tirées de l’année 2013, prise en référence.

La chercheuse, qui revient du récent Colloque international sur le carbone organique du sol, au siège de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), soutient qu’il importe, plus que jamais, de préserver les tourbières. Elle redoute les conséquences des changements climatiques sur ces milieux riches en biodiversité et utiles pour absorber les émissions liées aux activités anthropiques.

De récentes projections, réalisées par le Consortium Ouranos pour évaluer la vulnérabilité de ce stock de carbone, démontrent que l’augmentation de la température moyenne jusqu’en 2070 favoriserait toutefois la saison de croissance, constituant du coup une nouvelle positive pour la rétention de carbone.

Pourtant, cette bonne nouvelle risque d’être renversée par un bilan hydrique négatif causé par l’abaissement des nappes phréatiques, les précipitations aléatoires et l’évapotranspiration plus importante au sein des tourbières. « Les plantes absorbent l’eau, mais transpirent à nouveau alors que la température augmente. Nous risquons donc d’avoir un bilan moins positif qu’espéré », soutient Michelle Garneau.

Les tourbières du sud du 50e parallèle risquent aussi d’être plus vulnérables au réchauffement estival qui provoquerait un assèchement du couvert végétal et donc une réduction de leur capacité à stocker le carbone.

Une inquiétude renforcée encore par l’augmentation des feux dans les tourbières, actuellement étudié par le Groupe de travail des feux des tourbières nordiques, qui risque d’être elle aussi à l’origine d’émissions de carbone. En effet, si en raison du climat, les tourbières s’assèchent et perdent leur pergélisol, les feux risquent de se multiplier et de réduire à néant ces riches zones de stockage de carbone.

Un élan de restauration

Les tourbières québécoises forment 85 % des milieux humides de la province, pour 12,5 % de l’ensemble du territoire québécois. Ces dernières années, elles ont cependant subi de nombreuses pertes et perturbations (routes, foresterie, agriculture, lignes Hydro-Québec, etc.). Les écologistes mécontents somment d’ailleurs le gouvernement de se presser à agir pour les sauvegarder tandis que les mesures de protection des milieux humides ne rentreront pas en vigueur avant avril 2018.

Depuis 20 ans, plus d’une centaine de projets de restauration de tourbières ont toutefois permis de remettre en état ces milieux fragiles, telle la tourbière de Saint-Marguerite-Marie, dans la région du Lac-St-Jean. « Il y a beaucoup de bonnes nouvelles dans le domaine », rassure Line Rochefort, la directrice du Groupe de recherche en écologie des tourbières (GRET) de l’Université Laval.

Ses récents travaux de recherche visent à examiner l’évaluation économique des milieux humides. Une opération complexe qui se base sur les services écologiques rendus par les tourbières. « Les utilisateurs agissent de manière plus responsable lors des projets de développement. Il y a eu une sensibilisation et une éducation auprès de l’industrie de la tourbe qui s’est engagée à restaurer les sites orphelins dans son récent plan quinquennal », note Mme Rochefort. Rappelons que le Canada est le 1er producteur de tourbe au monde, dont 95 % du marché s’exporte vers les États-Unis.

Avec un taux de succès de 75 %, la restauration empêcherait la colonisation du milieu par d’autres plantes que les habituelles sphaignes, mousses et herbacées typiques et améliorerait même ses capacités de séquestration de carbone en le rajeunissant, indique la chercheuse. Ce service reste crucial pour l’avenir de ces milieux, tout comme celui des humains. Et aussi, pour combattre la vulnérabilité du milieu où pousse la listère australe et la voir fleurir.

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