Depuis plus de 20 ans, les crues printanières québécoises se suivent et se ressemblent. De Gatineau à Trois-Rivières, les débordements entrainent de nombreux dommages et des coûts — et même un décès cette année. En matière d’inondations, il semble qu’on ne parvienne pas à tirer des leçons des précédents évènements et cette année ne fait pas exception.
« Les conséquences de ces crises à répétition sont majeures, d’un point de vue humain et économique. Se rétablir de tels évènements traumatiques, cela prend des années en raison de l’intense source de stress et aussi de tout ce qu’il faut faire pour rénover, reconstruire et même, parfois, déménager », énumère le directeur du nouveau Réseau inondation intersectoriel Québec (RIIQ), Philippe Gachon.
Le Québec, avec ses précipitations hivernales et printanières, ses périodes de dégels très rapides et son immense réseau de rivières, constitue une zone particulièrement problématique pour ce type de catastrophe naturelle, particulièrement en contexte de changements climatiques.
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« Les politiciens n’ont pas encore bien mesuré ce qui se produit sur notre territoire à la géographie particulière et aux grandes variabilités (accumulations de neige, printemps tardifs, dégels, etc.). Il va falloir s’adapter rapidement car le Québec est très sensible aux hausses de température », relève l’expert en aléas météorologiques et climatiques de l’UQAM.
Sans compter qu’avec cette géographie, la province possède d’immenses bassins versants, comme celui de l’Outaouais, affluent principal du fleuve Saint-Laurent, qui compte à lui seul 19 sous-bassins versants et a une superficie de plus de 179 000 km2 — près de deux fois la taille du Nouveau-Brunswick. Dans ces vastes ensembles, les fortes crues se combinent à la fonte de six mois de neige accumulée.
Solutions : favoriser la circulation de l’eau
Une étude sur les causes et dommages des inondations de 2011 dans la vallée du Richelieu, à laquelle avait contribué Philippe Gachon, avait permis aux chercheurs d’identifier certaines pistes pour mieux se préparer. Cela passerait par une meilleure gestion des bassins versants et de la neige qui s’y accumule. « Il faut mettre en place une panoplie de solutions pour s’adapter à la situation locale : zones tampons, réaménagement des infrastructures… Tout en prenant en compte le niveau de risque et de vulnérabilité, qui est variable d’un endroit à l’autre ».
Sauf que la priorité au développement ne va pas dans le bon sens, comme en témoignait la semaine dernière la nouvelle selon laquelle Sainte-Marthe-sur-le-Lac planifiait la construction d’une école au sein d’un milieu humide — récemment inondé lui aussi.
« L’endiguement systématique entrepris par de nombreuses municipalités vient modifier le ruissellement naturel de l’eau. On constate aussi un recul de zones humides qui sont des réservoirs naturels et aident à réguler les crues en agissant comme des trappes à sédiments », soutient le chercheur.
Il faudrait plutôt revoir l’aménagement des bassins versants en s’inspirant des Pays-Bas et de leur programme Room for the River. Ces espaces de « liberté » permettent de redonner place à la circulation de l’eau lors des fortes crues, et ces espaces deviennent entretemps des zones récréatives pour la population locale.
Il faudrait également songer à faciliter la circulation de l’eau lors de la reconstruction : en rehaussant les maisons (par exemple, sur pilotis) et en créant des dérivations autour des infrastructures majeures. Enfin, il faudrait rendre notre bâti plus perméable. « Nous avons tendance à tout asphalter, tout bétonner, il faut rendre les espaces plus perméables », relève encore l’expert.
Il y aurait un autre avantage à tous ces efforts : une sensibilisation des citoyens à l’importance des milieux humides. « L’éducation s’avère plus que nécessaire, 50 % des habitants de Sainte-Marthe-sur-le-Lac ne savaient pas qu’ils vivaient dans une zone inondable et parmi eux, 80 % ignorent qu’ils le seront dans le futur ».
L’avant, le pendant et l’après-crise
Le directeur du RIIQ pointe déjà certaines avenues de recherche pour le futur, à implanter en trois temps : en premier, avant l’événement, il faut comprendre les risques (fréquence, sévérité, etc.) et comment les prévenir. « Il faut s’atteler à l’élaboration de cartes de risques, précises et à jour, basées sur les données probantes ». Suite à l’inondation de 2017, des experts avaient procédé à une telle évaluation des risques d’inondations avec la ville de Rigaud afin d’émettre un certain nombre de recommandations — le rapport est actuellement en cours de publication.
En deuxième lieu, « pendant l’événement », il faut procéder au mieux à l’intervention et à la sécurité publique, sans oublier l’accompagnement sanitaire et psychosocial, en mettant l’accent sur le suivi et la vigilance. L’Europe a ainsi mis en place un système de vigilance météorologique avec des niveaux d’alerte qui permettent de surveiller l’évolution de la situation en temps réel.
En troisième lieu viendra le rétablissement et l’aide aux sinistrés et communautés. Et le retour d’expérience qui devra être suivi de changements et d’actions. S’il doit y avoir un changement de culture, il devra impliquer un maillage entre la société et les experts.
Philippe Gachon en appelle en effet à un chantier sociétal sur les inondations où tous les acteurs, citoyens, municipalités et gouvernements, s’assiéront avec le milieu de la recherche pour décider des différentes actions afin que ne se renouvellent pas ces drames.
« Un retour sur l’expérience avec la contribution du monde de la recherche au Comité interministériel sur les inondations, promis par François Legault. Nous devons tirer les leçons de cette crise mais surtout passer à l’action avant la prochaine ».
Cela va dans le sens du rapport publié en marge de la 5e Plateforme régionale des Amériques, en 2017, sur la réduction des risques de catastrophes. Ce rapport souligne l’importance de favoriser le décloisonnement à l’intérieur et entre les organismes, promouvoir la circulation de l’information et les retours d’expériences systématiques.
Cette action s’inscrit dans les grandes initiatives internationales telles que le cadre d’action de Sendai 2015-2030 pour la réduction des risques de désastres mis en avant par les Nations Unies et signé par le Canada.
« Il est plus facile d’intervenir lorsque nous sommes préparés et que nous avons tiré les leçons des précédentes expériences pour mieux surveiller, intervenir et construire. Cela diminue le stress et l’improvisation et laisse place à la concertation et au travail collectif », résume Philippe Gachon. En somme, se remonter les manches pour affronter les prochaines crues et les incertitudes climatiques, tous ensemble et de manière concertée.