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Les campagnes de prévention du jeu compulsif se suivent… et ratent souvent leur cible : un dé roule dans une seringue; le visage d’une jeune mariée se transforme en billet à gratter perdant; un bébé annonce qu’il n’ira pas à l’université; une femme, qu’elle n’aura pas de vacances.

« Nous avons appris beaucoup de choses des campagnes contre le tabac et nous refaisons les mêmes erreurs avec des publicités stigmatisantes. Il faut changer notre message pour promouvoir la santé et pas culpabiliser les personnes qui en souffrent », martèle la responsable de la recherche au Centre du jeu excessif du Centre hospitalier universitaire vaudois, en Suisse, et organisatrice du colloque de l’ACFAS sur le jeu excessif et l’optimisation des soins, Mélina Andronicos.

La chercheuse souligne que le jeu rayonne partout dans la société avec une image « glamour » du casino et de l’addiction, notamment dans les publicités. « Il faut s’interroger sur notre représentation du jeu. Nous avons deux images fortes, le glamour et la culpabilisante, qu’il faut défaire avec de l’éducation populaire et de la sensibilisation, en faisant passer le message que lorsque le jeu devient un problème, on peut se faire aider », insiste la psychologue.

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Depuis 15 ans, elle travaille dans le domaine de la dépendance au jeu et note un écart entre ceux atteints de problèmes de jeu compulsif et ceux qui vont chercher des soins. Ils dissimulent souvent leur problème pendant des années et ce n’est qu’au pied du mur qu’ils consultent, en très petit nombre : « seulement 5 à 7 % le font. Ce n’est pas par ignorance des services offerts ».

Comme les autres addictions, la compulsion au jeu entraîne des pertes : argent, santé, travail. Mais également d’autres maladies, affectant principalement la santé mentale avec de nombreux cas de dépression et d’anxiété, jusqu’au suicide. Mélina Andronicos et Monique Séguin, chercheuse québécoise du groupe McGill d'études sur le suicide de l’Institut Douglas, se sont intéressées à la prédiction et la prévention du passage à l’acte suicidaire chez les joueurs excessifs.

Au sein de leur revue de littérature, les chercheuses remarquent qu’il existe des indices de comportements suicidaires perceptibles six mois avant le passage à l’acte et que tout peut aller très vite. « Cela peut être rapide et impulsif et ce sont des personnes qu’il faut prendre en charge très rapidement », soutient la Dre Andronicos.

Il importe aussi d’élargir l’aide aux proches et de veiller tout particulièrement aux joueuses, bien plus discrètes, qui sont les grandes absentes des centres de soin et d’aide. Il faut aussi s’intéresser aux jeunes, leur parler des problèmes de jeu et promouvoir de bonnes habitudes de vie plutôt que de les priver d’internet à tout prix.

Sans compter les fausses croyances comme « tous les chiffres peuvent porter bonheur » ou « le jeu, tu arrêtes quand tu veux ». Il faut sensibiliser les gens aux tactiques de marketing, surtout qu’aujourd’hui, tout le monde a son téléphone et ses applications de jeu à portée de la main », relève la chercheuse.

Faut-il se méfier de Candy Crush ?

Les joueurs de Candy Crush constituent un problème en émergence et mal connu. « Ces micro-transactions agrémentent l’expérience de jeu par la suppression du temps d’attente ou l’accès à des privilèges ou « boosters », explique la professeure adjointe à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, Annie-Claude Savard.

La chercheuse s’apprête à lancer avec des collègues internationaux une enquête pancanadienne destinée à évaluer les bénéfices et les risques de ces hybrides entre le jeu vidéo et le jeu de hasard. « Contrairement aux consoles Game Boy de notre enfance, ils sont sur nos cellulaires et nous les apportons avec nous tout le temps », note-t-elle.

Dans une étude, à paraître bientôt, la chercheuse rappelle également le manque de régulation. Contrairement à d’autres jeux de hasard et d’argent, ces jeux mobiles appartiennent à des compagnies internationales qui rendent peu de compte aux États. « C’est pourtant une responsabilité collective et partagée du monde de l’industrie et des développeurs, des gouvernements et des chercheurs, que de réclamer des comptes et la transparence de ces pratiques, pas juste celle du joueur », soutient Annie-Claude Savard.

La place des femmes à la table de jeu

Près de 64 % de la population québécoise a joué au moins une fois dans les 12 derniers mois, mais seulement 2,2 % de ces joueurs développent des problèmes de jeu. « Il y a des femmes parmi eux qui n’ont pas le même profil ni les mêmes motivations et pourtant, il n’y aura pas de prévention ciblée ni de services adaptés pour elles », souligne la professeure adjointe du Service de toxicomanie de la Faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke, Adèle Morvannou.

À l’Acfas, la chercheuse a présenté « Lise », joueuse typique. Lorsqu’elle s’assoit à la table de jeu, c’est plus tardivement que les hommes, vers la cinquantaine. Lise ne joue pas non plus aux mêmes jeux, privilégiant les non stratégiques comme les machines à sous ou vidéo et les jeux hybrides comme Candy Crush ou Homescapes. Et Lise va perdre l’argent plus discrètement. Ce ne sera pas flamboyant !

La Pre Morvannou a rencontré 46 joueuses de poker, dont 11 auraient eu des problèmes de santé mentale et consulté un médecin. Comme les joueurs compulsifs, les femmes développeront des problèmes de l’humeur et d’anxiété et s’avèrent autant à risque de dépression. Des problèmes pour lesquelles elles iront consulter plus facilement que les hommes, mais sans parler de leur problème de jeu.

« Ce problème sera très rarement diagnostiqué ou rarement vu comme une priorité chez elles. Même si elles connaissent les services de soins spécifiques, elles les utilisent très peu et c’est alors plus difficile de les aider », relève la chercheuse.

Si les femmes n’utilisent pas ces services, ce serait aussi par crainte qu’on leur retire leurs enfants, peur du jugement ou parce qu’ils ne sont pas adaptés à leurs comportements de jeu. C’est pourquoi la Pre Morvannou pense qu’il importe de mieux former les intervenants de première ligne.

Les proches dans la tourmente du jeu

Le jeu affecte aussi l’entourage du joueur. En moyenne, six personnes (conjoint, enfants, etc.) seront touchées de manière significative : qualité de la relation, dépendance financière, stress…

« Les proches ont l’impression que si le joueur « guérit », tout redeviendra normal, mais il s’agit plutôt d’un parcours du combattant avec des hauts et des bas qu’ils vont devoir vivre avec lui », résume le directeur scientifique du groupe de recherche et intervention sur les substances psychoactives à l’Université du Québec à Trois-Rivières, Joël Tremblay.

Son équipe a évalué 98 couples composés d’un joueur et du conjoint. « Il faut tout le temps rester vigilant et surveiller les finances, ce qui ne rend pas la relation facile ».

Il existe encore peu de services d’aide destinés à l’entourage et un manque de ressources en français sur internet. Par contre, la thérapie conjugale semble donner de bons résultats, pour autant que le joueur accepte de s’y prêter… « Le joueur se voit comme la « bête fautive », une auto-perception très négative. Pourtant, impliquer le partenaire est une excellente stratégie pour le joueur et sa conjointe », soutient le chercheur. Cela permet au conjoint d’exprimer ses blessures, de mieux communiquer, de développer des stratégies d’adaptation et surtout, de réfléchir à deux sur la façon de poursuivre la relation.

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