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Une personne sur quatre est proche aidante au Québec. Cette réalité possède encore sa part d’ombre — entre maltraitance et épuisement —, mais est aussi plus vaste que l’image qu’on s’en fait, car toute personne offrant un soutien significatif à une personne vivant avec une incapacité peut se considérer comme un proche aidant.

Famille, ami et même voisin : cette ressource informelle intéresse les chercheurs. « C’est qu’il n’y a pas qu’une situation et une sorte de proche aidant. Tout le monde reçoit un peu de soutien, mais il n’y a pas de vision globale », soutient la professeure de l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, Sophie Éthier. Et si on s’y intéresse, ce n’est pas juste pour offrir un soutien financier ou du répit : il y a aussi « la nécessité de prendre en compte la santé physique et psychologique de cette indispensable ressource », composée en majorité de femmes.

Depuis peu, les chercheurs se réunissent en un réseau — le RESPAI, pour Regroupement scientifique en proche aidance — afin d’échanger et de se tenir au courant. « Il y a une nouvelle génération de chercheurs et la recherche devient très large au Québec. Nous devons nous connaître pour parler et collaborer », note Madame Éthier.

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Depuis le 18 juin 2018, le proche aidant, ce « travailleur » non rémunéré figure au sein de la Loi des normes du travail. De plus, une politique québécoise et un plan d’action sont actuellement en rédaction.

Le visage des proches aidants change aussi — proches aidants LGBTQ par exemple — et de nouveaux aspects émergent : la maltraitance ou encore les services de soutien en ligne. Sophie Éthier rappelle que « la maltraitance aux aînés est connue, mais moins celle qui touche les proches aidants. Ils sont souvent perçus comme ceux qui maltraitent, moins comme victimes, alors qu’ils vivent eux aussi de l’agressivité et des abus de la part des aînés avec des problèmes cognitifs. Ou de la violence conjugale. »

Sa récente étude auprès de 95 proches aidants et 43 intervenants lui a permis de dénombrer quatre formes de maltraitance à l’aidant :

  • Celle commise par les institutions, par le biais des intervenants et de leurs structures et normes inadaptées ;
  • Celle de l’entourage et de la famille avec ses critiques et ses culpabilisations ;
  • Celle des aidés dont la maladie et les comportements agressifs blessent ;
  • Celle de l’aidant lui-même quand il ne respecte pas ses besoins de sommeil ou qu’il repousse l’aide qu’on lui propose.

La solution passe alors par la prévention et la sensibilisation des aidants, ainsi que par la promotion de la bientraitance à tous les niveaux, du premier cercle jusqu’aux institutions.

L’équipe développe actuellement un outil destiné à mettre en lumière ce problème. « On pointe souvent l’entourage pas assez soutenant, mais la personne peut aussi en être la source quand elle oublie ses limites, ne prend pas soin d’elle — par exemple, en négligeant ses propres visites chez le médecin — ou en repoussant toute forme d’aide », explique la chercheuse.

Une analogie avec la course à pied illustre bien selon elle le cheminement des proches aidants. Pour certains, ce parcours ressemble à un sprint intense ; pour d’autres, c’est un marathon ou une course à obstacles. « L’important est de partir bien préparés, même si on ignore souvent à quoi va ressembler cette course ».

Une route de solitude

Au sein de familles « tissées serrées », le partage des tâches se déroule souvent bien. Pourtant, avec l’éloignement des enfants et l’éclatement des familles, il incombera souvent à une seule personne de prendre en charge le malade ou l’aîné.

Un processus graduel d’isolement s’installe alors. « Le réseau social s’effrite et la famille est loin, sans compter que certaines personnes ont toujours été isolées ou possèdent un très petit réseau », relève Mélanie Couture du Centre de recherche et d'expertise en gérontologie sociale du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l'Île-de-Montréal. « Avec la personne malade, les déplacements s’avèrent limités et les aidantes ont souvent le sentiment d’être emprisonnées dans la maison. »

La chercheuse a récemment mené une étude sur la perception des services offerts et les besoins de proches aidants isolés et âgés. En participant à un programme de trois mois, les aidantes trouvaient des groupes de discussion, du soutien psychologique et la possibilité de s’exprimer sur les insatisfactions qu’elles rencontrent.

Plus que les problèmes d’accès aux services et à l’information, les demandes ciblent la mauvaise qualité de service et de leur logistique. « Quand cela occasionne trop de stress et trop d’embûches, les aidantes s’en passeront et le feront elles-mêmes », note Madame Couture.

Elle relève également de nombreux blocages psychologiques qui poussent les aidantes à prendre en charge seule le malade « afin de le protéger et de conserver la même routine de soins, mais aussi de préserver l’image sociale. Demander de l’aide, c’est encore perçu comme quelque chose de honteux. »

Contrairement aux soins palliatifs avec du personnel de santé, ce rôle très intime d’aide peut durer une dizaine d’années, avec une situation qui se dégrade drastiquement vers la fin quand la maladie avance. Et au fil du temps, l’épuisement et le désespoir s’installent à demeure.

Les besoins particuliers en région

En région, les aidants manquent encore plus de services adaptés. « Il y a clairement un manque d’accès, sans compter que les besoins diffèrent beaucoup entre ceux qui ont la charge d’un aîné et ceux s’occupant d’un enfant malade », relève le professeur au Département sociétés, territoires et développement de l’UQAR, Marco Alberio.

Au Bas-Saint-Laurent — 130 municipalités pour environ 200 000 habitants — une personne sur quatre avait 65 ans et plus contre une sur cinq pour l’ensemble de la province en 2016. Une récente étude menée par son équipe de recherche sur les proches aidants de cette région a mis en évidence les défis territoriaux liés aux transports collectifs et adaptés, mais aussi à la grande dépendance au soutien procuré par la famille.

« Ici, tout le monde ou presque donne de l’aide à un membre de la famille ou à un ami », assure le chercheur. Ils multiplient des congés sans solde, vivent de l’isolement et de la précarité. Il s’agit majoritairement de femmes, d’où l’importance de la conciliation travail-famille, mais aussi d’une certaine flexibilité de la part des employeurs.

En l’absence d’une politique qui soutient le proche aidant, cela se règle le plus souvent « à la pièce » et dépendra du statut de l’employé, de l’employeur et du type d’emploi. Cette situation peut alors provoquer des inégalités, de la précarité ou une mise à l’écart de la personne par les autres employés.

Sans compter le défi de l’éloignement. Une des pistes de solution est le télétravail. « C’est la « génération sandwich », la mère se trouvera entre les soins à donner aux enfants et ceux à fournir aux parents. Elle sera prise entre les deux demandes, mais aussi cumulera l’aide aux parents avec celle aux beaux-parents. Quand on l’a été une fois, on le redevient encore après », détaille M. Alberio.

Cela prend donc une politique pour soutenir les proches aidants, avec des mesures et un budget dévoué, et une reconnaissance du statut de proche aidant. « D’où l’idée d’un guichet unique qui tiendrait compte d’une combinaison d’interventions pour répondre à tous les besoins — financier, émotionnel, etc. — des proches aidants », souligne encore Mélanie Couture. Et à travers eux, aider aux mieux les personnes malades et vieillissantes.

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