Elle fait l'objet d'une poursuite judiciaire parce qu’elle a critiqué Didier Raoult, lisait-on la semaine dernière dans la revue Nature. Une poursuite qui devrait être analysée comme une menace pour tous les lanceurs d’alerte de ce monde, lisait-on dans la revue Science.
Celle qui est désignée ici comme lanceuse d'alerte, Elisabeth Bik, est une microbiologiste californienne, reconvertie ces dernières années en experte sur l'intégrité en science. Bien avant la pandémie, Bik s’était bâtie une réputation de chien de garde des publications scientifiques. Les erreurs et autres bizarreries qu’elle a pointées du doigt —manipulations d’images, plagiat, non-respect des règles éthiques— ont conduit à la rétractation de plus de 170 recherches.
Or, il y a de cela 14 mois, en mars 2020, tout juste une semaine après la première publication de Raoult sur l'hydroxychloroquine —soit l’étude dans laquelle à peine 26 personnes avaient reçu ce médicament et dont la méthodologie était douteuse— Bik publiait un billet de blogue soulignant plusieurs des problèmes « sur la façon dont les données ont été obtenues et le processus de révision par les pairs, réalisé ». Données manquantes, un patient décédé en cours de route mais non pris en compte dans l’étude… Et malgré tout cela, la recherche avait été acceptée pour publication en moins de 24 heures.
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Depuis cette date, elle a été parmi les critiques les plus tenaces de Raoult, ayant commenté jusqu’ici ses deux recherches sur l’hydroxychloroquine, mais aussi plus de 60 de ses articles passés, et 14 de son co-signataire Eric Chabrière, lui aussi chercheur à l’Institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de Marseille. Plusieurs des commentaires d’Elisabeth Bik —sur des images apparemment dupliquées dans certaines de ces recherches, sur des problèmes éthiques ailleurs— ont été publiés sur PubPeer, une jeune plateforme conçue spécifiquement pour inciter les scientifiques à commenter les travaux de leurs pairs après publication.
Le 29 avril, Raoult et Chabrière ont déposé à Marseille une poursuite contre Elisabeth Bik. Boris Barbour, chercheur au CNRS, est nommé pour complicité, en tant que responsable du site PubPeer.
Bik est accusée de « harcèlement moral ». Elle est également accusée de « tentative d’extorsion », sur la base d’un tweet ironique où elle suggérait aux chercheurs marseillais de venir contribuer à son site de financement participatif.
Il n’est pas clair si le système légal français pourra donner suite à cette guérilla judiciaire —critiquer des recherches peut difficilement être défini comme du harcèlement— mais déjà, le message est clair : les critiques auraient intérêt à se tenir tranquilles. C’est ce qu’on peut lire dans une lettre d’appui à Elisabeth Bik signée par plus d’un millier de scientifiques et publiée le 18 mai: la stratégie de « harcèlement et de menaces » menée par Raoult pourrait avoir pour effet de « refroidir les lanceurs d’alerte et les critiques académiques en général ».
Et c’est sans compter les attaques haineuses sur les réseaux sociaux dont a été victime Bik depuis des mois, entre autres après que Chabrière eut publié son adresse personnelle sur Twitter. Raoult l’a pour sa part traitée de « cinglée » et de « chasseuse de sorcières » sur Twitter.
Interrogée par Nature, Elizabeth Bik dit se demander pourquoi Raoult n’a jamais répondu à certaines des critiques émises sur certaines de ses recherches: « la science devrait être discutée dans l’arène scientifique, pas dans l’arène légale ».