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Avec de plus en plus d’aînés, s’impose la nécessité de se mobiliser en plus grand nombre, pour leur donner la meilleure qualité de vie. Or, cela dépasse le milieu de la santé et les familles: c’est toute la communauté qui est concernée.

Par exemple, pour que les personnes restent le plus longtemps possible à la maison — comme elles le désirent souvent— il faut que les municipalités, les organismes territoriaux, le milieu communautaire, les institutions publiques répondent présents à l’appel.

« Le plafond de verre est souvent motivationnel. Il nous faut décloisonner la santé et le bien-être, les soins avec le milieu de vie et la communauté, pour intégrer tout ça dans un guichet unique, afin que les personnes âgées puissent plus facilement s’y retrouver », résume le professeur à la Faculté de médecine Lyon Est et praticien hospitalier français, Pierre Krolak-Salmon. Il intervenait lors du panel « Santé, bien-être, vieillissement : un défi de décloisonnement » des Entretiens Jacques-Cartier, qui réunissent tous les deux ans des chercheurs de France et du Québec.

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Cela peut passer par les municipalités offrant aux aînés des occasions d’être plus actifs – voir ce texte – ou des loisirs accessibles, comme des places de théâtre gratuites. Ou cela peut prendre la forme de paniers-repas pour soutenir leurs besoins alimentaires.

Depuis 2017, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a développé le programme ICOPEIntegrated Care for Older People ou « Soins intégrés de la personne âgée »—destiné à guider la communauté. Ce programme vise à dépister les pertes de capacité des personnes (le déclin cognitif, une mobilité limitée, la déficience visuelle, la perte auditive et les symptômes dépressifs) mais aussi à évaluer les besoins en matière de santé, d’alimentation et de soins, afin d’élaborer un plan personnalisé.

« Les seniors sont les acteurs de leur santé. Ils ne veulent pas être un fardeau. Ils ont besoin de se sentir utiles et d’être partie prenante de la société», rappelle le chercheur qui a mis sur pied un tel programme de repérage de la fragilité dans la population avec les médecins généralistes du Grand Lyon. ICOPE est actuellement expérimenté dans la région de Toulouse, en collaboration avec La Poste (voir encadré), et pourrait être étendu à l’ensemble du territoire français.

Chez soi et actif au Québec

Au Québec aussi, le nombre de personnes âgées augmente et, avec lui, un besoin d’écouter les aînés et de respecter le choix de plusieurs de rester à la maison le plus longtemps possible. Le virage a commencé à se faire sentir, comme en témoignent les initiatives de milieu de vie et d’activités intergénérationnelles, mais aussi l’augmentation du nombre des municipalités amies des aînés.

En 2011, un Québécois sur huit (12%) avait 85 ans et plus, et ce sera près de 25% en 2061. Or, les personnes de 70, 80 et 90 ans n’ont pas besoin des mêmes soins et services. « Il faut nuancer les approches pour les adapter aux différents groupes d’âge », convient la co-directrice du Réseau québécois de recherche sur le vieillissement, Pierrette Gaudreau.

Pour illustrer ce vieillissement en santé et actif chez soi, mis de l’avant par le ministère de la santé québécois avec sa politique « Vieillir et vivre ensemble, chez soi dans sa communauté », Mme Gaudreau présente l’artiste-peintre Armand Vaillancourt, âgé de 96 ans. « Toujours alerte et plein de projets, c’est ce qu’il faut viser. »

C’est d’ailleurs ce que montrent les recherches menées par ce réseau auprès de différentes cohortes. Les personnes âgées participent de plus en plus souvent aux recherches car elles « savent ce qu'il leur faut pour vivre bien et en bonne santé, comme un environnement facilitant ou une bonne santé financière », relève Pierrette Gaudreau, qui est aussi la vice-doyenne académique – sciences fondamentales à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.

Elle donne en exemple les problèmes de mémoire. « Un souci très souvent rapporté : elles s’inquiètent de perdre la mémoire, davantage que de chuter ou de perdre du poids. »

Pour un cerveau en santé

Cette préoccupation des personnes âgées trouve une résonance dans les travaux de la titulaire de la Chaire de recherche du Canada en neuroscience cognitive du vieillissement et plasticité cérébrale de l’Université de Montréal, Sylvie Belleville.

Souvent, les problèmes de mémoire sont moins pris en charge par le milieu de la santé, alors qu’il s’agit d’un souci, particulièrement pour les femmes âgées. « Aider les aînés à maintenir une bonne réserve cognitive et tenter de repousser le diagnostic d’Alzheimer ou de démence, c’est gagnant et ça a un impact sur l’individu et la société», soutient la chercheuse.

Elle rappelle que la plupart des facteurs de risque associés à la démence (cigarette, dépression, isolement, manque d’activités physiques, etc.) s’avèrent modifiables dans près de 40% des cas.

Celle qui est également directrice du Consortium québécois pour l’identification précoce de la maladie d’Alzheimer (CIMA-Q) et du « Programme Cerveau Santé » pour le Consortium canadien sur la neurodégénérescence liée au vieillissement, est d’avis que travailler la plasticité du cerveau fonctionne même à un âge avancé. Elle développe en ce sens différentes interventions destinées à soutenir la santé cognitive des aînés.

La technologie pourrait avoir un impact important, selon elle. Plus de 70% des aînés disent être à l’aise avec la technologie: 50% ont pris des rendez-vous de santé en ligne pendant la pandémie, et 83% vont même sur Internet tous les jours, selon une enquête de 2020. « La pandémie nous a montré que le numérique est présent dans la vie des aînés et qu’en s’informant et se distrayant en ligne, ils maintiennent ou améliorent leurs capacités cognitives », assure Sylvie Belleville.

Cette « réserve cognitive » contribuerait en retour à une protection du cerveau – cela leur permettrait de préserver de bonnes capacités cognitives en dépit de changements neuronaux liés à l’âge, ou à l’Alzheimer.

Dépister les fragilités

Reste qu’il n’est pas facile de cerner les vulnérabilités avant que se produisent les maladies et les chutes. Il faut tenir compte aussi du contexte social, économique, politique, où évoluent les aînés.

« Ce qui va bien fonctionner à Lyon pourrait ne pas bien fonctionner à Montréal. Il importe de bien comprendre le rôle des parties prenantes et leur engagement, sans oublier les éléments facilitants (compétences, formation, etc.) et les barrières (éloignement, autre langue, etc.)», relève Lise Gauvin, professeure titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal – EPSUM.

La chercheuse donne l’exemple de l’intervention en milieu communautaire sur les limitations d’activités, REACT – pour Retirement in ACTion. Ce programme d’activités physiques et de maintien des habitudes de vie, visait à soutenir des personnes vivant avec une réduction des membres inférieurs, dans le but de prévenir le déclin des fonctions et des capacités de ces aînés.

Et deux ans plus tard, parmi les 777 participants recrutés dans 35 centres de santé de première ligne —âge moyen de 77,6 ans et deux tiers de femmes – la majorité voyait encore les bénéfices de ce programme de soutien physique.

« La fidélité au programme dépendait cependant de la manière dont il était implanté, du plaisir de la personne à le faire et du soutien social dont elle bénéficiait », ajoute la Pre Gauvin.

Il importe parfois de « faire un pas de côté » afin de considérer également les pratiques de soins et d’aide aux aînés, afin de pouvoir les améliorer et les adapter aux personnes qui les reçoivent. C’est du moins ce que recommande la professeure de psychologie sociale de la santé à l’Université Lumière Lyon 2 (France), Marie Préau.

La chercheuse française souligne aussi les nombreuses inégalités socioéconomiques que vivent les personnes âgées, en commençant par la fracture numérique. Les aînés ne sont pas tous à l’aise avec les nouvelles technologies et le virage de la société vers le « tout numérique » (règlements de factures, consultation des dossiers médicaux, etc.) se fait un peu en dépit des moins nantis et des moins familiers des technologies.

Elle s’est intéressée aux représentations négatives qui se retrouvent même chez certains professionnels du réseau de soins, comme certaines études le rapportent. Mme Préau souligne d’ailleurs que la perception qu’on a du vieillissement influence les soins gériatriques. « Les pratiques dépendent de normes sociales et de croyances, par exemple le dogme tenace du « bien vieillir » et de la robustesse, vue comme un capital individuel. Il y a aussi des représentations ambivalentes de la personne âgée, proches de l’âgisme et porteuses de discriminations », relève la chercheuse.

D’où l’importance de se regrouper et de rechercher des pistes d’actions de manière pluridisciplinaires, en dehors des soins, insiste la Pre Préau. « Il faut viser une « démocratie sanitaire » en impliquant tout le monde, même les professionnels et chercheurs en dehors de la sphère médicale ».

Cela permettrait de tisser une santé communautaire proche du lieu de vie des personnes. « Pourquoi ne pas aller plus loin et interpeller les architectes ou les designers, pour intervenir sur le bâti et l’environnement de nos aînés », ajoute encore Marie-Pascale Pomey, médecin et professeure de santé publique à l’ESPUM, et l’une des co-organisatrices de ce colloque aux Entretiens Jacques-Cartier.

Ce que peut faire une équipe de soins gériatriques se limite aux problèmes médicaux de la personne. Alors que la communauté peut agir sur le préventif; la qualité de vie et le bien-être des aînés d’aujourd’hui et de demain en dépendent.

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