Une des études les plus souvent citées ces derniers mois par les opposants à la vaccination contre la COVID vient d’être rétractée, pour cause de méthodologie douteuse.
Parue en janvier et souvent désignée par ses défenseurs comme « l’étude de Skidmore » —du nom de son seul auteur— elle contenait ce que celui-ci prétendait être une bombe: 278 000 personnes aux États-Unis seraient décédées à cause des vaccins contre la COVID. En comparaison, le Centre de contrôle des maladies (CDC) énumère 10 400 cas suspects survenus après le vaccin: un nombre qui est lui-même probablement surestimé, puisqu’il s’agit des décès qui sont qualifiés de suspects, mais qui, pour la plupart, n’ont pas encore été élucidés (plusieurs milliers de personnes meurent chaque mois, avec ou sans vaccin). Il est donc possible qu’il soit tôt ou tard démontré qu’un grand nombre n’ont rien à voir avec la vaccination.
Reste que, sur 672 millions de doses de vaccins anti-COVID données aux États-Unis, même ce chiffre représenterait 0,003%. Sachant cela, d’où pourraient venir ces 278 000 décès?
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Ce que l’économiste Mark Skidmore, de l’Université d’État du Michigan, a publié en janvier dans la revue BMC Infectious Diseases, c’est une extrapolation mathématique. Il a commencé par un sondage en ligne portant sur les motivations des Américains à se faire vacciner, ou à ne pas se faire vacciner, ainsi que sur les impacts qu’ont eu la COVID, ou les vaccins, sur leur santé. Il a aussi interrogé ces gens sur leurs « cercles sociaux »: connaissent-ils, ou non, des gens qui ont eu un problème de santé relié à la COVID ou aux vaccins. En tout, 2840 personnes ont répondu à son sondage entre les 18 et 23 décembre 2021.
Sur la base de ces réponses, il en a conclu que les gens qui connaissaient quelqu’un qui avait été sérieusement malade à cause de la COVID étaient plus susceptibles de se faire vacciner, et que ceux qui connaissaient quelqu’un qui avait subi un sévère effet secondaire après un vaccin, étaient plus hésitants à se faire vacciner. Deux constats qui n’ont été contestés par personne lors de la parution du texte.
Toutefois, à partir de ces deux constats, il a extrapolé à partir de ceux qui disaient connaître quelqu’un qui, selon leur perception, serait décédé à cause du vaccin, et c’est de là qu’est venu son total de 278 000 décès à la grandeur des États-Unis. Le réseau des détracteurs de la vaccination et des défenseurs de théories du complot s’est emparé du chiffre sans expliquer la façon dont l’auteur y était arrivé, ni mentionner son propre bémol, dans l’avant-dernier paragraphe : des répondants « interprètent souvent des événements avec des biais causés par des perceptions liées à leur histoire, leurs croyances, leur culture et leur bagage familial ». Autrement dit, une personne peut croire qu’un décès est lié au vaccin, mais cela ne signifie pas qu’il l’est.
Pour couronner le tout, l’auteur a prétendu « valider » sa méthode par la base de données VAERS, dans laquelle n’importe qui peut inscrire n’importe quel effet secondaire d’un vaccin, à charge ensuite aux enquêteurs de vérifier ce qu’il en est. À plusieurs reprises depuis au moins une décennie, il a été répété que VAERS n’était pas une source d’information valide pour avancer des chiffres —un fait que les concepteurs de VAERS eux-mêmes soulignent sur leur site. Ça n’a toutefois pas empêché VAERS d’être un terreau fertile à la désinformation pendant une partie de la pandémie.
Le 11 avril, la revue BMC Infectious Diseases annonçait qu’elle retirait l’article, après des semaines d’échanges infructueux entre l’éditeur et l’auteur pour que ce dernier clarifie sa méthodologie.
Cela pose toutefois la question de savoir comment ce texte a pu passer l’étape d’une révision par les pairs, demandait plus tôt ce mois-ci la journaliste scientifique Stephanie Lee dans la Chronicle of Higher Education. Il n’avait en fait fallu que quelques jours à des critiques comme l’oncologue David Gorski —pourfendeur de longue date des pseudosciences— pour la descendre en flammes. C’est en plus du fait que Mark Skidmore s’identifie clairement sur son blogue comme un ferme opposant aux vaccins, et que la mécène qui a financé son étude, Catherine Austin Fitts, a elle aussi été identifiée comme une opposante aux vaccins qui considère « Anthony Fauci et ses collègues coupables de crimes contre l’humanité ».