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Faut-il s’engager à « sortir » des carburants fossiles ou à les « diminuer »? Au milieu de ce débat sémantique qui divise les pays exportateurs de pétrole et les autres, s’en est ajouté un nouveau pendant la première semaine de la COP28: « unabated ». Un terme anglais mal défini, qui réfère à la possibilité —ou non— de tenir compte des (futures) technologies de captage du carbone. 

En gros, le CO2 « abated » serait celui qui a été « capturé » par diverses technologies plutôt que d’aller s’accumuler dans l’atmosphère. Et « unabated », serait donc celui qui n’a pas été capturé. Au coeur de l’enjeu: un pays pourrait-il promettre de réduire ses émissions de gaz à effet de serre s’il ne réduisait pas ses émissions —mais s’il se contentait de « capturer » une partie du CO2 pour l’enfouir dans le sol?

L’enjeu est toutefois plus complexe qu’il n’en a l’air, pour deux raisons: d’une part, bien que le terme « unabated » circule depuis la COP de Glasgow, en 2021, il n’a jamais été clairement défini. Et d’autre part, ces technologies de captage du carbone sont, en 2023, en bonne partie hypothétiques.

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Mais l’industrie des carburants fossiles —très présente à la COP28— en fait une promotion active. Le PDG du géant mondial ExxonMobil, Darren Woods, qui est là-bas cette semaine, a déclaré au journal britannique Financial Times que les négociations mettaient trop l’emphase, à son avis, sur « se débarrasser des carburants fossiles », et pas assez sur « s’occuper des émissions associées » à ces carburants. C’est ainsi qu’une entente contenant les termes « réduction des carburants fossiles qui n’ont pas été capturés » pourrait —peut-être— satisfaire même les plus récalcitrants des pays exportateurs de pétrole qui ne voulaient jusqu’ici rien entendre d’une cible de réduction. 

Une telle entente leur permettrait de continuer à exploiter de nouvelles réserves de pétrole ou de gaz, en autant que ces pays s’engagent à en « capturer » une quantité équivalente —d’ici 2030 ou 2040, par exemple.

Captage et séquestration du carbone: des échecs répétés

Le pari serait toutefois très risqué. À l’heure actuelle, les différentes technologies de captage du carbone (ou « captage et séquestration du carbone » ou CCS en anglais) ne retirent que 0,1% du CO2 de l’atmosphère. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé: rien qu’aux États-Unis, des milliards de dollars ont été investis au cours des dernières décennies et plus des trois quarts de ces initiatives ont échoué, selon une analyse de 39 d’entre elles publiée en 2020. 

Il y a aussi une différence entre le carbone qu’on pourrait théoriquement récupérer directement à la sortie des usines les plus polluantes (comme les cimenteries ou les aciéries) et celui qu’on pourrait —encore plus théoriquement— capturer dans l’air.

« La capture et l’entreposage de carbone pourrait définitivement être une technologie d’une importance cruciale », disait cette semaine au New York Times le directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), Fatih Birol. « Mais l’histoire de la capture du carbone, à ce jour, a été largement décevante. » Dans un document publié en septembre, l’AIE évaluait les efforts qui seraient nécessaires pour en arriver à une carboneutralité en 2050: or, le captage de carbone n’y représentait que 8% des réductions d’émissions. Le reste provenait largement du passage futur des carburants fossiles au solaire ou à l’éolien, et du passage aux véhicules électriques. Dit autrement: il faudrait qu’en 2050, le pétrole, le gaz et le charbon n’alimentent que 10% de l’énergie mondiale, contre 80% aujourd’hui. 

Les critiques de cette technologie de captage et de séquestration voient dans sa promotion à la COP28 une stratégie de diversion. Cette technologie « est la bouée de sauvetage de l’industrie des carburants fossiles et elle est aussi leur plus récente excuse et stratégie pour retarder » l’action sur le climat, déclare dans le quotidien The Guardian la directrice du programme de « l’économie fossile » au Centre international de droit de l’environnement, Lili Fuhr. 

Même des gens de l’industrie semblent le reconnaître en privé: des documents internes révélés à l’automne 2021 par un comité de la Chambre des représentants, à Washington, citent des dirigeants de compagnies pétrolières conscients des limites de ces technologies, et qui voient celles-ci comme un prétexte pour continuer de produire du pétrole et du gaz pendant des décennies. 

À la COP28, qui se tient aux Émirats arabes unis jusqu’au 12 décembre, cette technologie a été présentée dans une dizaine d’activités parallèles, et plusieurs pays, dont le Canada, les États-Unis et l’Union européenne, ont lancé mardi un « défi de la gestion du carbone », consistant en une série de subventions à des projets de capture et de séquestration du carbone.

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