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En plein tribunal, l’avocat de l’un émet une objection lorsque l’avocat de l’autre signale au passage que les changements climatiques sont une réalité. C’est dans cette ambiance qu’un procès pour diffamation dont les racines renvoient aux années 1990, et qui met en scène une des bêtes noires des négationnistes du climat, s’est ouvert le 18 janvier à Washington. 

La bête noire en question, le climatologue Michael Mann, de l’Université d'État de Pennsylvanie, est un des vulgarisateurs du climat les plus populaires des États-Unis. Mais dans le camp d’en face, il est devenu le symbole de quelque chose qu’ils s’acharnent à nier: un graphique montrant l’évolution de la température moyenne de la planète depuis l’an 1000 et qui montre, tout à droite, une montée en flèche de la température, lui donnant l’apparence d’un bâton de hockey. Le « graphique en bâton de hockey », comme on est venu à l’appeler lors de sa publication en 1998, est devenu une obsession dans certains cercles conservateurs. 

Pourtant, malgré les imperfections des calculs d’il y a un quart de siècle, toutes les mesures effectuées par la suite, toutes les données vérifiées avec de plus en plus de précision, arrivent à la même conclusion: une montée en flèche des températures depuis le milieu du 20e siècle, par rapport aux oscillations du dernier millénaire. Il y a bel et bien eu des oscillations, dont un « optimum médiéval », mais rien de comparable avec la rapide ascension depuis 1950.

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L’attention médiatique que les cercles climatosceptiques ont dirigée vers ce graphique, et surtout un vol de courriels de scientifiques d’une institution britannique (Climate Research Unit) en 2009, ont conduit à des enquêtes internes sur le travail de climatologues, dont Michael Mann, sur deux continents. Toutes ont conclu qu’ils n’avaient rien à se reprocher. 

Ce n’est de toutes façons par sur la validité des données ni sur la science du climat que portaient ces accusations: dès novembre 2009, il s’était rapidement avéré que les courriels ne contenaient rien d’incriminant, mais que l’objectif était de semer le doute dans une partie de l’opinion publique —qui plus est, à la veille de la rencontre annuelle des Nations unies sur les changements climatiques. 

De la même façon, ce n’est pas sur la validité des données que porte l’actuel procès. En face de Michael Mann, deux personnes: Rand Simberg, analyste au groupe de réflexion conservateur Competitive Enterprise Institute (CEI) qui, en 2012, a comparé Mann à un abuseur sexuel d’enfants. Et Mark Steyn, blogueur au magazine conservateur National Review, qui a accusé Mann d’être un fraudeur. Le premier procès pour diffamation avait été intenté en 2012 contre les deux organismes. En 2021, un tribunal avait conclu que ces organismes ne pouvaient être tenus responsables des attaques. 

Le CEI est un de ces groupes qui, généreusement financés par l’industrie pétrolière, attaquent les climatologues depuis trois décennies. Mark Steyn, qui est né au Canada, est depuis longtemps un commentateur régulier chez FoxTV et d’autres médias et avait été décrit en 2004 comme « le plus toxique des chroniqueurs de droite que vous ayez jamais entendus ». 

En 2017, l’organisme Union of Concerned Scientists avait publié un rapport sur la campagne de « harcèlement » contre Michael Mann pilotée par un réseau, dont fait partie le CEI, financé par deux magnats du pétrole: les frères Koch. 

À l’ouverture du procès, qui est prévu pour durer jusqu’au début de février, Steyn et Simberg ont allégué être protégés par le premier amendement de la constitution, qui défend la liberté d’expression aux États-Unis. Tous deux ont continué de comparer Michael Mann à un prédateur sexuel de Pennsylvanie emprisonné en 2012. Et Steyn a promis aux jurés que le procès serait « divertissant ».

 

Mise à jour, 9 février : Michael Mann a remporté son procès. Les jurés ont déclaré coupables de diffamation Rand Simberg et Mark Steyn et les ont condamnés à payer conjointement 1 million$ en dommages punitifs à Michael Mann —99% de cette somme devant être payée par le Canadien Michael Steyn. L'avocat de Michael Mann avait demandé aux jurés de se poser cette question sur les deux accusés: croient-ils vraiment à tout ce qu'ils disent, ou ne font-ils que pousser un ordre du jour climatosceptique? Entre autres choses, Simberg avait reconnu n'avoir lu aucune des recherches de Mann lorsqu'il l'avait comparé (comme Steyn) à un pédophile notoire. 

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