Feu rouge

Depuis l’implantation au Québec du virage à droite au feu rouge (VDFR), le 13 avril 2003, les piétons doivent regarder plus attentivement avant de traverser la route, sauf sur l’île de Montréal. Mais voilà que les maires de 15 villes de l’île ont récemment réclamé que cette mesure soit étendue à la métropole. Un de leurs arguments : le nombre d’accidents en lien avec le VDFR serait inférieur à 1 % du total des accidents se produisant annuellement. Une bonne nouvelle qu’il faudrait toutefois prendre avec quelques pincettes.


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1) Avant et après l’implantation de cette mesure, le pourcentage d’accidents a peu varié

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Le Ministère québécois des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports a comparé les périodes avant (1992-2002) et après (2003-2015) l’implantation, explique Dominique David, du service de communication du ministère.

Avant l’implantation de la mesure, 39,45 % de tous les accidents corporels survenus en intersection sont survenus à des carrefours à feux. Après, le nombre d’accidents est passé à 39,73%, soit sensiblement la même chose.  « La proportion d’accidents aux carrefours à feux demeure stable avant et après l’autorisation du VDFR », conclut Dominique David.

Une analyse de cette mesure implantée chez nos voisins américains depuis 1973 va dans le même sens. Selon la National Highway Traffic Safety Administration, le VDFR n’aurait occasionné qu’une faible part des accidents (0,05%). Une autre étude, qui avait été confiée en 2001 par le Ministère des transports du Québec à Dominique Lord, du département de génie civil de l’Université de Ryerson à Toronto, montrait que la proportion des collisions lors d’un tel virage représentait en effet moins de 1% de tous les accidents rapportés au Canada et aux États-Unis (en annexe de ce document).

2) Combien de personnes ces pourcentages représentent-ils au Québec ?

Le virage à droite au feu rouge cause en effet, parfois, des décès. Le risque transparaissait déjà dans le bilan de 2001 : 60 accidents au cours des 10 mois de surveillance, avec 23 personnes blessées - 11 cyclistes, 7 conducteurs ou passagers et 5 piétons. À noter que les moins de 25 ans représentaient presque la moitié de ces blessés.

En 2000, les Directeurs de santé publique de l’ensemble des régions du Québec avaient d’ailleurs recommandé de ne pas implanter le VDFR, redoutant qu’il soit associé à environ 70 blessés par an au Québec, dont un décès tous les deux ans. Ce que confirmeraient des données compilées par le ministère : entre 58 et 114 blessés chaque année entre 2003 et 2015, pour un total de 1108 blessés, essentiellement légers (1064) mais aussi 37 graves et 7 décès pour la période.

Les piétons s’avèrent bien sûr plus vulnérables, tout comme les cyclistes – près de 70% des accidentés dont il est question dans ces calculs circulent à pied ou à vélo. « Comme médecin dédié à l'amélioration de la sécurité routière, je ne peux pas soutenir une mesure qui engendre des blessés », relève le médecin Patrick Morency de la Direction de santé publique du CIUSSS du Centre-sud de l’île de Montréal.

3) Un grand nombre d’automobilistes n’arrêtent pas avant de tourner à droite

Le virage à droite au feu rouge demande un arrêt complet avant de tourner. Or, plus de la moitié des automobilistes ne le font pas, ici comme aux États-Unis – comme on pouvait le lire dans l’étude de Dominique Lord.

Michel Gou de l’École Polytechnique avait documenté la question en 2002 pour le ministère des transports du Québec (en pdf). Il relevait alors que « pratiqué dans les règles de l’art, le VDFR ne semble pas présenter de danger ni d’inconvénient, mais les observations montrent que le taux de conformité de la manœuvre est relativement faible, de l’ordre de 30% ». Autrement dit, plus de deux automobilistes sur trois ne l’exécuteraient pas correctement.

4) Devant le VDFR, toutes les villes ne sont pas égales

Il importe de manipuler avec précaution les statistiques afin d’interpréter avec justesse les résultats : elles peuvent varier grandement par quartier et certaines intersections sont plus à risque que d’autres, mettait en garde en 2003 l’Insurance Institute for Highway Safety, un organisme américain à but non lucratif qui se décrit comme voué à réduire les accidents de la route.

Nicolas Saunier, professeur au Département de génie civil de l’École Polytechnique, explique pour sa part que « lorsqu’on compte les accidents ou l’exposition des piétons, il importe de s’attacher aussi à leur représentation sur le réseau – la densité des piétons. Un accident dans une zone à faible densité n’aura pas la même valeur que dans une zone à très forte densité, comme dans les rues de Montréal. » Ce qui expliquerait que les villes de Montréal et de New York, à forte densité de piétons, n’emboiteraient pas encore le pas aux autres villes nord-américaines pour virer à droite au feu rouge.

Le chercheur relève également que la collecte des données des accidents reste très inégale. « Les données des accidents réalisées par les policiers varient selon les efforts et les niveaux de détails collectés ; ceux-ci ne seront pas les mêmes d’un arrondissement à l’autre ou d’une région à l’autre. La qualité des données varie et il faudra considérer avec beaucoup de précaution les statistiques d’accidents, particulièrement en l’absence de caméra vidéo », note-t-il.

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