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Les vaccins contre la COVID permettraient de sauver trois vies… pour deux décès?  L’affirmation a de quoi faire sursauter. Le Détecteur de rumeurs explique ce qui cloche avec ce calcul.


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L’origine de la rumeur

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Ce calcul provient d’une étude parue le 24 juin dans Vaccines —une des revues de l’éditeur de revues scientifiques en libre accès MDPI. Les auteurs ont pris pour point de départ les données d’une étude israélienne sur le premier million de gens qui ont été vaccinés là-bas. Tentant d’estimer combien de  vies avaient été sauvées par la vaccination, ils sont arrivés à un ratio de 1 pour 16 000 (soit 6 pour 100 000): autrement dit, en moyenne, sur chaque cohorte de 16 000 vaccinés israéliens, un décès aurait été évité pendant la période couverte, soit du 20 décembre au 1er février.

Combien d’Israéliens seraient décédés pendant la même période à cause du vaccin? Pour répondre à cette question, les auteurs ont choisi de s’appuyer sur la base de données Lareb, hébergée aux Pays-Bas et chargée de compiler les effets secondaires de la vaccination. Or, il s’agit d’une base de données sur laquelle n’importe qui peut signaler n’importe quoi, en attendant que l’information soit vérifiée. Une base de données américaine, VAERS, dont nous avions parlé ici, remplit le même rôle outre-Atlantique. Pour cette raison, ces banques de données ne peuvent être considérées comme des sources fiables pour mesurer les effets secondaires d’un vaccin.

Les auteurs ont pourtant utilisé cette base de données à cette fin, arrivant ainsi à la conclusion que le vaccin aurait causé 4 décès par 100 000 personnes, d’où leur ratio de 2 décès pour 3 vies sauvées. Une manoeuvre qui a choqué le directeur scientifique de Lareb lui-même: dans un courriel envoyé à l’éditeur de la revue Vaccines au lendemain de la publication, Eugène van Puijenbroek réclamait qu’une correction soit ajoutée à l’article ou, à défaut, que celui-ci soit retiré.

En plus des limites d’une telle base de données, il faut rappeler que le fait qu’un problème de santé, ou même un décès, survienne après la vaccination, ne signifie pas qu’il a été causé par la vaccination (lire à ce sujet ce texte du Détecteur de rumeurs). La vigilance est évidemment de mise —le nom complet de la base de données Lareb est d’ailleurs Netherlands Pharmacovigilance Centre Lareb— mais là comme ailleurs, une corrélation n’implique pas qu’il y a relation de cause à effet.

Toutefois, le fait que les auteurs aient étiqueté ces décès rapportés sur Lareb comme des « décès par vaccination » (deaths by vaccination) laisse croire qu’ils ont bel et bien présumé que ces rapports de décès devaient être acceptés comme fiables, sans poser plus de questions.

Cette erreur des auteurs leur a rapidement valu de sévères critiques. Et leur expertise sur le sujet a aussi été mise en doute : aucun des trois n’est en virologie ou en épidémiologie. L’auteur principal, Harald Walach, est psychologue et son collègue Wouter Aukema est présenté comme « scientifique indépendant en données et en schéma ». Par ailleurs, Harald Walach a reçu le titre de « pseudoscientifique de l’année » par la « Society for Critical Thinking » en 2012. L’association autrichienne le récompensait pour « ses efforts incomparables pour introduire des théories ne se basant pas sur la science à l’Académie de médecine ».

En signe de protestation contre la revue qui a laissé passer cette étude, des experts en virus et en vaccins ont démissionné du comité éditorial. Le 2 juillet, la revue Vaccines retirait l’article, expliquant entre autres que les données de Lareb avaient été « incorrectement interprétées, ce qui a conduit à des conclusions erronées ».

Entretemps, le lien vers la recherche a toutefois été partagé près de 9000 fois sur Facebook, selon les données de CrowdTangle. Et les statistiques fournies par l’éditeur MDPI indiquent que la recherche aurait été « vue » près de 500 000 fois —un chiffre très élevé pour une recherche scientifique, qui s’explique en partie par le fait qu’elle a été beaucoup relayée dans les cercles antivaccins.

Une mauvaise méthode de calcul

Au-delà de ce problème de données erronées, celui de la méthode de calcul utilisée a aussi été soulevé. Ce ratio de « 2 pour 3 » réfère, comme l’écrivent les auteurs, à une méthode utilisée en épidémiologie, appelée le « nombre de sujets à vacciner » ou, plus largement, le « nombre de sujets à traiter » (number needed to treat, ou NNT). Ce calcul estime le nombre de gens qu’il faudrait traiter pour éviter un effet secondaire grave, voire un décès. Par exemple, si on dit qu’un médicament a un NNT de 100, cela peut vouloir dire que, pour chaque groupe de 100 personnes qui ont eu le médicament, un décès a été évité.

Sauf que le NNT est aussi dépendant du temps écoulé: lorsqu’il s’agit d’une épidémie, le nombre de « décès évités » par une campagne de vaccination est inévitablement plus élevé si on le calcule sur des mois plutôt que des semaines —puisque sans vaccination, le virus aurait continué de se répandre pendant des mois. Or, l’étude israélienne qu’ont utilisée les auteurs ne couvrait que six semaines: du 20 décembre au 1er février, soit au tout début de la campagne de vaccination. Si un délai de 6 mois avait plutôt été considéré, le nombre de « décès évités » grâce à la vaccination aurait été beaucoup plus élevé.

Photo: Wilfried Pohnke / Pixabay

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