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L’attention accordée ces derniers mois aux plus bruyants des non vaccinés, tout comme la part disproportionnée des hospitalisés qui ne sont pas vaccinés, a pu donner une vision réductrice des personnes qui n’ont pas encore relevé leur manche. Le Détecteur de rumeurs explique.


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- Toutes les personnes qui hésitent à se faire vacciner ne sont pas antivaccins.
- Nombreuses sont les personnes non vaccinées que les campagnes n’ont pas pu ou su rejoindre.
- Les non vaccinés de la Covid ne sont pas forcément ceux qui hésitent lors d'autres campagnes de vaccination
- La désinformation et l’adhésion aux théories du complot viennent brouiller les cartes et élargissent le spectre des non vaccinés.
- Il n’y a pas de portrait homogène des non vaccinés.


1) Un antivaccin et un hésitant, c'est la même chose? Faux 

Les personnes résolument antivaccins sont la portion la plus visible —particulièrement sur les réseaux sociaux— et la plus bruyante de la population qui n’est actuellement pas vaccinée. Ils ne formeraient toutefois qu’une petite partie de la population: on parlait avant la Covid d’aussi peu que 2% de la population totale, avance l’historienne de la santé et professeur à l’Université de Montréal, Laurence Monnais. Soit seulement un non vacciné sur cinq, si on considère que tous les non vaccinés forment actuellement, au Québec, 10% des 12 ans et plus.

« On parle ici des antis ou des catégoriques ». En comparaison, il est « beaucoup plus difficile d'évaluer les hésitants. Tout dépend de la définition qu'on donne à « hésitation » et du contexte. On peut être hésitant face à la vaccination Covid, mais pas face aux vaccinations infantiles de routine », résume la chercheuse.

Pour le Canada, une étude publiée en 2013 estimait à environ 5 % de la population canadienne ceux qui auraient des convictions antivaccins. « Certains parents, et aussi des personnes scolarisées avec une vision de santé naturelle. Mais la pandémie élargit davantage le spectre des hésitants vaccinaux et des antivaccins. Les mesures sanitaires, la méfiance vis-à-vis de l’autorité et le passeport vaccinal, cristallisent l’opposition, particulièrement chez les jeunes », explique aujourd’hui celle qui était alors l’auteure principale de cette recherche, l’anthropologue médicale à l’Institut de santé publique du Québec (INSPQ), Ève Dubé.

Le phénomène de l’hésitation vaccinale est « un continuum entre la pleine acceptation et l’opposition ferme, jalonné de multiples incertitudes », comme le rappelait ce précédent texte de l’Agence Science-Presse.

L’hésitation peut être influencée par des connaissances sur le sujet et des méconnaissances, mais aussi par diverses influences —familles, amis, culture, affiliations religieuses ou politiques— et doit être examinée dans le contexte historique, politique et socioculturel de la vaccination, relèvent les experts.

« L’hésitation vaccinale existe depuis aussi longtemps que la vaccination, rappelle Laurence Monnais, autrice du livre Vaccinations. Le mythe du refus (2019).

Aujourd’hui, la confiance dans « le système » qui livre les vaccins, dans le personnel de la santé, les décideurs et les médias, a également un impact sur la prise de décision. Et la confiance dans les vaccins semble s’éroder ces dernières années, au point où certains parlent même d’une crise de confiance.

Enfin, comme le soulignait un récent article de La Presse, beaucoup de personnes non vaccinées sont passées entre les mailles du filet : sans-abris et autres personnes sans soutien social, dont certaines avec des problèmes de santé mentale, en plus de personnes démunies et isolées, sans carte d’assurance-maladie, ou ne pouvant se permettre de perdre une heure de salaire pour aller se faire vacciner, ou ne parlant ni français ni anglais…

De nombreux organismes communautaires se sont alliés aux CIUSS dans le cadre de campagnes de vaccination plus ciblées à l’intention de ces populations plus vulnérables. Ces actions visent aussi à combattre l’isolement et l’insécurité alimentaire, et tentent de repérer les personnes dont la santé psychologique a été affectée par la crise sanitaire.

2) Le parent craintif hésite davantage en temps de Covid? Plutôt faux

Traditionnellement, l’hésitation vaccinale touchait plutôt les parents et particulièrement les nouveaux parents.

Avant la pandémie, près de 20% des parents canadiens retardaient ou ne suivaient pas le calendrier vaccinal de leurs enfants, selon l’Agence de la santé publique du Canada. Et plus du tiers (37%) pensaient que le vaccin pouvait donner la maladie qu’il devait prévenir. Il faut encore ajouter que plus de deux parents interrogés sur trois (70%) se disaient alors anxieux face à la vaccination. Autrement dit, cette anxiété face aux vaccins représente plutôt la majorité.

Toutefois, ces hésitations ne voulaient pas dire qu’en bout de ligne, les parents n’iraient pas faire vacciner leurs enfants: au final, la majorité l’ont fait, concluait une étude canadienne en 2018.

Un récent sondage de l’INSPQ montrait que 83% des parents québécois affirmaient être prêts à faire vacciner leurs enfants contre la Covid.

3) Les non vaccinés forment un groupe homogène? Faux

Le portrait-robot de la personne qui hésite à se faire vacciner ou qui retarde le moment, est loin des clichés traditionnels, comme celui de la femme adepte du bio. On y trouve des hommes et des femmes, des personnes scolarisées ou sans diplôme, jeunes et âgées.

Il existerait un lien entre l’anxiété ou la dépression d’une part, et la croyance d’autre part dans les théories du complot et les fausses informations entourant la COVID, selon une étude européenne.

Des constats similaires ressortent depuis deux ans des recherches sur les amateurs de théories du complot entourant la pandémie: bien qu’ils soient relativement peu nombreux, ils forment une population plus diversifiée que ce que les portraits présentent traditionnellement d’eux: autant d’hommes que de femmes, avec plus de jeunes, seul le faible niveau de scolarité étant identifié comme un facteur de risque.

4) C'est la faute aux médias sociaux? Oui et non

La méfiance envers les vaccins n’avait pas commencé avec Facebook et les autres plateformes. Déjà il y a 11 ans, le journaliste américain Seth Mnookin écrivait dans son livre The Panic Virus : A True Story of Medecine, Science and Fear que les médias auraient contribué au phénomène en gardant vivante la peur des vaccins, en dépit des preuves sur leur efficacité et leur sécurité. Quant au titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit et politique de santé de l’Université de l’Alberta, Timothy Caulfield, il soutenait lui aussi dans son ouvrage, The Vaccination Picture (2017), que les médias auraient une responsabilité dans ce recul de la confiance envers les vaccins.

Mais avec les réseaux sociaux, le portrait a changé. D’une part, ceux-ci sont vite devenus l’une des sources principales d’information d’un large segment de la population. Et d’autre part, la capacité de leurs algorithmes à regrouper des gens dans des « bulles » où ils n’entendent plus que ce qui confirme leurs craintes ou leurs croyances, a transformé la façon dont se diffuse la désinformation.

Avec pour conséquence que, au Canada, ceux qui s’informent davantage par les réseaux sociaux que par les médias traditionnels, auraient davantage tendance à minimiser les risques de la pandémie, ont suggéré en 2020 des chercheurs des universités McGill et de Toronto. Une recherche similaire parue juste avant la pandémie, et réalisée aux États-Unis, suggérait que le degré d’exposition aux réseaux sociaux et le niveau de confiance accordé aux experts, seraient les deux facteurs les plus susceptibles d’influencer les fausses croyances sur la vaccination. Ces chercheurs avaient conclu que ceux qui s’informaient avant tout sur les réseaux sociaux étaient non seulement plus à risque d’être mal informés, mais que, cinq mois plus tard, ils étaient aussi plus à risque de voir leurs perceptions erronées s’être renforcées.

L’Organisation mondiale de la santé, ayant épinglé en 2019 l’hésitation face à la vaccination parmi ses 10 menaces à la bonne santé du monde, avait elle aussi relevé, dès février 2020, qu’il s’agissait en partie d’un problème amplifié par les réseaux sociaux, en lançant le mot « infodémie » —une épidémie de fausses informations— et en proposant des stratégies pour combattre cette désinformation sur les réseaux.

5) Les personnes non vaccinées ne changent pas d’avis? Faux

Il existe toutes sortes de réticences ou de craintes qui n’entrainent pas forcément le rejet du vaccin et de nombreuses personnes réticentes finissent par se faire vacciner, soulignait l’étude canadienne de 2013 mentionnée plus haut.

Depuis l’an dernier, avec l’arrivée des vaccins à ARN, de nombreuses personnes ont émis des craintes plus fortes face à ce qu’ils perçoivent comme une « nouveauté », voire un « vaccin expérimental ». Mais la principale raison mentionnée par les parents qui n’ont pas l’intention de faire vacciner leur enfant demeure la perception que la vaccination n’est pas utile, explique Ève Dubé, « parce que la COVID n’est pas une maladie grave pour les enfants ».

On retrouvait d’ailleurs une crainte similaire sur la « nouveauté » en 2013: une enquête pancanadienne citée à l’époque montrait que la moitié des parents consultés s’inquiétait des « nouveaux vaccins » qu’ils considéraient moins sécuritaires. Ce qui, au final, n’en a pas empêché la majorité de faire vacciner leurs enfants.

Comme l’actuelle pandémie l’a montré, l’hésitation varie aussi en fonction de la disponibilité des vaccins. Ainsi, en novembre 2020, avant le début de la campagne de vaccination, environ 40% des Canadiens se disaient indécis ou en désaccord avec la vaccination, rapporte Olivier Champagne-Poirier, du département de communication de l’Université de Sherbrooke.  Mais dès que la campagne de vaccination a débuté,  l’hésitation et le refus ont grandement diminué.

La vaccination des enfants vient toutefois changer un peu la donne, souligne-t-il : « le risque pour moi n’est pas le risque pour mon enfant. Des parents risquent de ne pas prendre la même décision pour eux que pour leurs enfants ». Particulièrement si le risque de complications causées par la maladie s’avère moins élevé chez les enfants.

Certaines approches, dont les entrevues individuelles avec les nouveaux parents, les aideraient à cheminer face à leur décision. Il semble que même les parents les plus réfractaires aux vaccins soient susceptibles de changer d’avis lorsqu’on les écoute et qu’on s’adresse à eux avec empathie. C’est du moins ce que montrent les travaux du pédiatre et professeur à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke, Arnaud Gagneur, qui est derrière la stratégie PromoVac: une session informative individuelle basée sur les principes d’un entretien motivationnel (Entretien motivationnel en maternité pour l’immunisation des enfants ou EMMIE). Le programme serait susceptible de faire changer d’avis de nombreux parents hésitants: il augmenterait de 12% la proportion de parents qui désirent vacciner leur enfant, selon une étude parue en 2019.

« Il y aurait environ 15% des parents qui seraient très hésitants et que notre approche permettrait de rejoindre. Après notre intervention, ils ne sont plus que 5% », soutient le Dr Gagneur. L’écoute, l’empathie et les informations scientifiques adaptées, aideraient les parents à se faire une meilleure idée de la vaccination et de ses risques.

Quant à la coercition, elle réduirait certes le nombre de non vaccinés, mais ça pourrait bien être un avantage temporaire. « C’est l’argument-massue des défenseurs de l'obligation vaccinale et c’est vrai sur le coup », rappelle l’historienne de la santé Laurence Monnais. « On l'a vu avec l'augmentation du nombre de prises de rendez-vous, après l'annonce qu'il faudrait le passeport vaccinal pour aller à la SAQ ». Mais elle ne le voit pas comme une solution durable. « Au-delà des questions éthiques, la coercition coûte cher car il faut pouvoir la contrôler et on manque déjà de ressources pour passer à travers la crise. »

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