Pour lutter contre la pollution générée par le plastique, plusieurs pays suggèrent d’en réduire la production. Or, cette proposition va à l’encontre de la stratégie actuelle de l’industrie pétrolière, et même de certains États, a constaté le Détecteur de rumeurs.
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En avril dernier, la quatrième rencontre du comité intergouvernemental de négociation sur la pollution plastique a eu lieu à Ottawa. Ces négociations sont le résultat d’un engagement pris par la communauté internationale en 2022 pour mettre en place, d’ici la fin de 2024, des dispositions juridiquement contraignantes afin de limiter la pollution plastique.
Les pays ne sont toutefois pas arrivés à un consensus sur les limites de la production, et doivent se réunir à nouveau en novembre, en Corée du Sud. Et plusieurs observateurs ont alors blâmé les compagnies pétrolières et leurs partenaires de l’industrie pétrochimique, pour leurs efforts visant à bloquer les actions qui permettraient de diminuer la production de plastique.
Du pétrole au plastique
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Plus de 90 % du plastique produit dans le monde est dérivé du pétrole, soulignait en 2016 le Forum économique mondial dans un rapport sur l’économie du plastique. L’industrie chimique utilise certaines fractions des combustibles fossiles, notamment le naphta et le gaz naturel liquéfié, pour produire des substances considérées comme des produits chimiques à valeur élevée, comme l’expliquent en 2023 des chercheurs de l’Université de Lund, en Suède, dans un article sur l’industrie des plastiques pétrochimiques.
Comme le résumait l’Agence internationale de l’énergie en 2018 dans un rapport sur le futur de ce secteur, le plastique est ainsi parfaitement intégré à la chaîne des combustibles.
Source : Tilsted, J. P. et al. Ending fossil-based growth : confronting the political economy of petrochemical plastics. One Earth, 2023.
Moins d’essence et plus de plastique?
Les compagnies pétrolières anticipent évidemment, dans un futur proche, une baisse de leur marché traditionnel, c’est-à-dire celui de l’énergie et du transport, et veulent donc se diversifier. Entre 1966 et 2016, l’utilisation du plastique a été multipliée par 20 et elle devrait doubler encore d’ici 2036, confirmait le Forum économique mondial en 2016.
Il faut rappeler que le plastique est partout. Par exemple, en 2014, une voiture moyenne contenait 163 kg de plastique, selon un rapport publié par l’American Chemistry Council. Cette quantité avait augmenté à 193 kg en 2023, c’est-à-dire 9,6 % du poids de la voiture.
Source : Amercican Chemistry Council
Cependant, le Forum économique mondial considère que la principale utilisation du plastique a lieu dans les emballages. Selon Statistique Canada, les emballages en plastique constituaient 30 % de la production totale de plastique destinée à la consommation canadienne en 2020. La quantité de plastique employée pour l’emballage a d’ailleurs augmenté depuis 2012.
Source : Statistique Canada
Un secteur qui accroît la demande en pétrole
En raison de l’augmentation de la demande, la production mondiale de plastique (résines et fibres synthétiques) est passée de 2 millions de tonnes métriques en 1950 à 380 millions en 2015, avaient déjà calculé des chercheurs américains dans un article publié en 2017.
Dans la prochaine décennie, le secteur pétrochimique deviendra ainsi le principal responsable de la croissance de la demande en pétrole, estimaient pour leur part les scientifiques suédois. En 2000, la pétrochimie était responsable de 10 % de la demande en pétrole dans le monde. Cette proportion était passée à 12 % en 2017 et devrait atteindre 15 % en 2040, selon les prédictions de l’Agence internationale de l’énergie.
Source: Agence internationale de l’énergie (https://iea.blob.core.windows.net/assets/bee4ef3a-8876-4566-98cf-7a130c013805/The_Future_of_Petrochemicals.pdf et https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2018)
L’augmentation de la demande en pétrole par l’industrie pétrochimique devrait même reposer majoritairement sur les pays en développement, selon les prévisions de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole.
Source: Organisation des pays exportateurs de pétrole
Les compagnies pétrolières investissent
Il n’est donc pas surprenant que les compagnies pétrolières visent de plus en plus à intégrer la chaîne de production des produits pétrochimiques, remarquait déjà en 2018 l’Agence internationale de l’énergie. Par exemple, la compagnie pétrolière Saudi Aramco a acheté des parts de la plus grande compagnie productrice de plastique, SABIC, et de la plus grande compagnie pétrochimique en Inde. Quant aux grands joueurs de l’industrie pétrolière que sont Exxon Mobil, Shell, Chinese Siniopec et PetroChina, ce sont aussi de grands joueurs de l’industrie pétrochimique.
Et les pays en sont eux-mêmes dépendants : ceux qu’on appelle des pétro-États sont aussi ceux qui investissent dans la production pétrochimique, soulignaient les chercheurs suédois. Ces États ont commencé à investir dans l’industrie de la pétrochimie dans les années 2000 et la tendance s’est poursuivie en 2010 quand le prix du pétrole et du gaz naturel a décliné. Ce qui pourrait expliquer leurs réticences à réglementer trop sévèrement la pollution plastique.
Ces gouvernements présentent leurs investissements dans l’industrie pétrochimique comme une stratégie de diversification pour se protéger de la fragilité des marchés pétroliers. L’Arabie saoudite a maintenant l’une des plus grandes capacités pétrochimiques au monde.
Verdict
Avec la transition en cours vers des sources d’énergie autres que le pétrole et la diminution appréhendée des revenus générés par ce carburant, les compagnies pétrolières et même certains États pétroliers, investissent de plus en plus dans la production de plastique et dans l’industrie pétrochimique en général.