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À Montréal, des équipes de recherche s’intéressent aux relations collaboratives entourant les élèves doués du secteur de l’éducation des jeunes. Contrairement à l’idée reçue, la réussite des doués n’est pas assurée. Un grand nombre de ces jeunes ont des difficultés scolaires pouvant mener au décrochage. Afin de les soutenir dans leur réussite, la collaboration école-famille-communauté s’avère importante ; elle a d’ailleurs été soulevée par le gouvernement québécois, en 2020, dans le document Agir pour favoriser la réussite éducative des élèves doués.

Chaque année, au Québec, entre 18 % et 25 % des élèves doués ne parviennent pas à obtenir de diplôme d’études secondaires, malgré leur quotient intellectuel (QI) élevé[1]. Cela signifie qu’entre 20 000 et 27 900 jeunes doués ne terminent pas leurs études secondaires[2]. Ils ont donc un taux de décrochage scolaire* trois fois plus élevé que la moyenne québécoise[3]. En fait, malgré leur QI supérieur à la norme, 50 % auraient des troubles d’apprentissage comme la dyslexie* et la dysorthographie* et 75 % vivraient au moins un épisode dépressif dans leur vie[4]. Dès lors, la collaboration école-famille-communauté (ÉFC), documentée de telle façon qu’elle présente une incidence favorable sur la réussite (scolaire, sociale et éducative) et sur la persévérance scolaire, est considérée comme primordiale. Dans la pratique, la collaboration ÉFC s’avère un processus au cours duquel les différentes personnes impliquées (élèves, parents, personnel enseignant, etc.) échangent respectueusement afin de parvenir à trouver, entre autres, des manières de soutenir l’élève dans son développement[5].

 

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La douance

Au cours du 20e siècle, la communauté scientifique a cherché à clarifier le concept de douance, mais aucune définition faisant consensus n’a émergé, car l’intelligence est difficile à définir. Pour certains chercheurs et chercheuses, la douance consisterait à obtenir un QI supérieur à 125 (norme en Slovénie), à 130 (norme de l’Organisation mondiale de la santé) ou à 140 (en Chine) lors de la passation de tests standardisés (ex. : tests de QI Wechsler). À titre d’exemple, le QI d’Albert Einstein était d’environ 160 et celui de Terence Tao, un mathématicien australien, atteindrait 230, alors que le QI d’une personne moyenne varie, sur l’échelle métrique, entre 90 et 110[6].

 

En revanche, d’autres scientifiques préfèrent une définition plus pratique de la douance et mentionnent qu’elle correspondrait au fait de posséder des habiletés innées (et non entraînées) plus élevées que les pairs du même âge dans certains domaines d’habiletés (ex. : intellectuel, créatif, social, perceptuel, musculaire, etc.)[7]. Mozart, Bach, Jimi Hendrix et John Lennon étaient sans aucun doute des doués créatifs. Dans le domaine musculaire, les athlètes olympiques ou les sportifs professionnels tels que Mikaël Kingsbury, Marie-Philip Poulin, Chantal Petitclerc, Carey Price ou Sydney Crosby sont aussi des personnes douées.

 

De plus, certains chercheurs et chercheuses affirment que la douance ne ferait pas référence à une intelligence supérieure, mais plutôt à une intelligence différente[8]. Au Québec, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur privilégie aussi une définition plus pratique. Ainsi, pour être considéré comme doué, l’enfant doit se situer parmi les 10 % supérieurs de ses pairs, dans au moins un domaine d’habileté reconnu socialement, ce qui équivaudrait, sur une échelle métrique, à obtenir un QI supérieur à 120[9]. Selon cette définition, en 2021-2022, 111 654 élèves doués se trouveraient sur les bancs d’école québécois[10].

 

Des besoins spécifiques

Selon l’Association québécoise pour la douance, les manifestations et les besoins des élèves doués sont variés, puisqu’ils ne représentent pas un groupe homogène. Plusieurs études mentionnent toutefois que la douance peut se manifester par une précocité verbale, une pensée plus critique ainsi qu’une réflexion rapide qui peut parfois rendre l’expression du raisonnement difficile[11]. Certaines similitudes chez ces élèves, en ce qui concerne leurs besoins scolaires, peuvent être relevées. De manière générale, peu importe le type de douance, ils et elles ont souvent besoin d’approfondir les notions travaillées et d’être stimulés par un rythme d’apprentissage plus rapide[12]. En réalité, ils ont besoin de défis pour rester motivés[13].

 

Pour ce qui est de leurs besoins émotifs et sociaux, les élèves doués sont parfois plus anxieux en raison de leur grande sensibilité[14]. Aussi, une dyssynchronie de développement peut survenir[15]. En d’autres mots, ce n’est pas parce que les élèves doués arrivent à comprendre intellectuellement une situation complexe qu’ils parviennent à la gérer émotionnellement. Plus concrètement, en classe, un élève doué de niveau préscolaire pourrait savoir lire sans avoir la capacité motrice d’écrire. Ainsi, ces élèves ont besoin d’être accompagnés pour identifier et reconnaître leurs forces et leurs défis. Cette reconnaissance favorisera leur épanouissement et soutiendra le développement de leur plein potentiel[16]. Que ce soit en raison de fausses croyances ou à un manque de services, les besoins des élèves doués ne sont pas toujours pris en considération dans les milieux scolaires[17].

 

Répondre aux besoins

Plusieurs mesures pour soutenir les doués et répondre à leurs besoins existent : les mesures scolaires (différenciation pédagogique, accélération et placement), les mesures extrascolaires (sortie au musée avec les parents, participation à un club d’échecs, etc.) et les autres mesures (centre d’écoute, bourse d’études donnée par une entreprise, etc.) en sont des exemples[18]. Dans les mesures scolaires, la différenciation pédagogique consiste à faire correspondre les contenus enseignés et les apprentissages aux besoins de l’élève. L’accélération vise une progression scolaire plus rapide que la normale (ex. : entrée précoce, saut de classe, etc.). De son côté, la mesure de placement consiste à orienter l’élève doué dans une école (ou une classe) spécialisée, afin d’y recevoir un enseignement adapté à ses besoins. Les activités y sont donc enrichies, se déroulent à un rythme plus rapide et sont centrées sur les intérêts des apprenants et apprenantes.

 

Le Québec adopte une approche inclusive de la douance, ce qui signifie que l’élève doué est intégré en classe ordinaire[19] ; cela permet de bien comprendre ce qui est offert aux élèves doués. Ainsi, l’enseignant ou l’enseignante doit faire de la différenciation pédagogique pour soutenir l’élève doué dans son cheminement. À titre d’exemple, un élève doué en mathématiques pourrait se faire proposer de faire seulement les quatre numéros les plus difficiles avant de passer à un projet de robotique. Toutefois, bien que la différenciation pédagogique puisse aider à stimuler l’élève doué, plusieurs études indiquent qu’elle ne suffit pas toujours et que parfois, recourir aux mesures d’accélération ou à la mesure de placement, qui sont des approches documentées pour leurs effets positifs dans la vie des doués, s’avère nécessaire[20].

 

Le village collaboratif

Pour valider l’efficacité de la différentiation pédagogique proposée à l’élève doué, certaines personnes proposent la mise en œuvre d’une relation de collaboration entre les milieux de vie de l’élève[21]. Cette collaboration se développe en présence d’un partage de responsabilités et repose sur l’égalité et le respect mutuel. Elle peut être résumée ainsi : travail réalisé conjointement entre l’école, la famille et la communauté (personnel communautaire, personnel social, personnel médical, etc.) afin de partager et d’échanger respectueusement de manière bidirectionnelle des connaissances, des expertises et des compétences complémentaires dans le but de répondre aux besoins de l’élève[22]. Elle est donc un processus par lequel les intervenants et intervenantes créent un partenariat afin d’atteindre l’objectif commun de réussite de l’élève[23]. Pourtant, les personnes gravitant autour des apprenants et apprenantes n’ont pas toutes la même perception de leur rôle dans la collaboration et certaines ont encore une perception stéréotypée de la douance (ex. : l’élève doué est timide et autodidacte), ce qui peut avoir des conséquences négatives. En effet, si la douance n’est pas reconnue, elle peut entraîner une sous-performance de l’élève, en plus de lui provoquer de l’anxiété[24].

 

La collaboration avec les parents devient alors nécessaire, car ils connaissent habituellement bien leur enfant et celui-ci évacuera possiblement son trop-plein d’émotions[25] auprès d’eux. Autrement dit, l’élève doué peut sembler très heureux et fonctionnel à l’école, car il sait ce qui est socialement attendu de lui, mais une fois à la maison, il peut réagir fortement au manque de stimulation ou aux frustrations accumulées durant la journée en effectuant une crise de larmes ou de colère.

 

Pour ce qui est des intervenants et des intervenantes communautaires, leur collaboration enrichit la réponse aux besoins des élèves doués. En réalité, ces personnes peuvent parfois jouer le rôle de négociateur ou créer des structures ou des règles plus ou moins formelles pour atteindre le but commun de la réussite (scolaire, sociale et éducative) de l’élève doué[26]. Ces personnes peuvent contribuer à prioriser les besoins de l’élève et seconder la famille dans la déconstruction des stéréotypes entourant la douance. Ainsi, l’intervenant ou l’intervenante communautaire pourra soutenir la famille et faire un pont avec l’école lorsque la situation est plus tendue, par exemple, si l’enseignant ou l’enseignante ne semble pas reconnaître l’expertise des parents ou s’il ou elle ne semble pas vouloir démontrer d’ouverture concernant les moyens à mettre en place pour soutenir l’élève. L’intervenant ou l’intervenante communautaire pourrait aussi faciliter la communication en tenant le rôle d’interprète.

 

La recherche semble s’intéresser aux relations collaboratives entourant les élèves doués, ce qui apporte un éclairage nouveau sur les difficultés rencontrées par ceux-ci et les personnes de leur entourage. À Montréal, l’équipe de recherche du CIRP propose l’utilisation de l’outil BanqO! pour favoriser la collaboration et faciliter l’échange d’informations concernant les besoins de l’élève doué. Cette collaboration, ainsi que l’outil proposé, permettent de mieux choisir et d’actualiser les mesures de soutien qui sont offertes à l’élève doué. Aussi, la recherche développée, en plus d’être susceptible d’offrir des outils facilitant la collaboration ÉFC, permet de favoriser l’accès à des formations. Le cours en ligne ouvert à tous de l’Université du Québec à Trois-Rivières sur la douance en est un exemple, puisque la plateforme facilite la transmission des nouvelles connaissances. Celles-ci peuvent donc fournir aux écoles des pistes d’intervention plus efficaces, ce qui favorise la réussite (scolaire, sociale et éducative) des élèves doués, en plus de prévenir leur décrochage scolaire.

 

— Un article de josianne Veilleux, étudiante au programme de doctorat en sciences de l'éducation à l'Université de Montréal

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