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À ce jour, aucune thérapie ne peut prévenir la sclérose en plaques ou guérir les personnes qui en sont atteintes. Son mécanisme pathologique déclencheur demeure inconnu. Parmi les facteurs de risque connus de la sclérose en plaques, le virus d’Epstein-Barr a gagné en popularité, à la suite d’une étude réalisée aux États-Unis et publiée au début de 2022, car il est suspecté de causer cette maladie neurologique. Prévenir une infection par cet agent pathogène représenterait un potentiel thérapeutique pour la sclérose en plaques.

Chaque jour, environ 12 personnes, au Canada, reçoivent un diagnostic de sclérose en plaques (SEP)[1]. Douleur, fatigue, contractions musculaires anormales, troubles de la vision, changements d’humeur, dysfonctionnement de la vessie et tant d’autres symptômes affectent le quotidien des personnes atteintes de la SEP. Les symptômes de cette maladie neurologique sont directement responsables du décès de plus de 50 % des personnes atteintes, en plus de miner leur qualité de vie. De plus, l’espérance de vie de ces patients et patientes baisse de 7 à 14 ans[2]

Cette hétérogénéité des symptômes s’explique par des lésions du système nerveux central (encéphale ou moelle épinière), plus précisément sur le plan de la myéline*, des oligodendrocytes*, des neurones et de leurs axones*[3]. En fait, la SEP est classifiée parmi les maladies neurologiques dites auto-immunes, c’est-à-dire que le système immunitaire s’attaque à des molécules normalement présentes dans l’organisme, car il les considère comme étrangères. Bien que cette auto-immunité caractérise la SEP, la cause exacte provoquant cette maladie est inconnue. Plusieurs facteurs de risque y sont associés, comme l’infection par le virus d’Epstein-Barr (EBV), la déficience en vitamine D, le tabagisme, l’obésité et la présence de certaines mutations génétiques. En janvier 2022, une étude menée par le Dr Alberto Ascherio, de l’Université Harvard, aux États-Unis, et portant sur une population américaine, a suggéré que l’EBV ne serait pas uniquement un facteur de risque, mais qu’il pourrait être l’agent causal de la SEP[4]. Ainsi, si ce virus cause la SEP, prévenir l’infection serait la thérapie idéale à promouvoir.
 

Mimétisme moléculaire

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Plus de 95 % de la population mondiale adulte est infectée par l’EBV, un agent pathogène faisant partie de la famille des virus de l’herpès, qui peut être contracté dès l’enfance[5]. Cependant, ce ne sont pas toutes les personnes ayant un historique d’infection par l’EBV qui finissent par avoir la SEP au courant de leur vie, puisque cette maladie n’affecte que 2,8 millions d’individus dans le monde[6], dont plus de 20 000 Québécois et Québécoises[7]. Ce virus infecte les lymphocytes B*, des cellules du système immunitaire, et peut y rester sous forme latente asymptomatique pendant plusieurs années, ce qui lui permet d’échapper au système immunitaire. À certains moments et avec un système immunitaire déficient, ce virus peut se réactiver et augmenter le risque d’apparition de certaines maladies, telles que la SEP, le cancer du nasopharynx et le lymphome de Burkitt, un cancer des lymphocytes B[8].
 

Le mimétisme moléculaire demeure l’hypothèse la plus connue définissant l’interaction entre l’EBV et la SEP. L’EBV, étranger à l’organisme, posséderait des structures similaires à une molécule normalement présente dans l’organisme, nommée GlialCAM. Il inciterait le système immunitaire à reconnaître cette molécule « normale » comme étant étrangère, et à se défendre contre elle[9]. Une étude dirigée par le Dr William H. Robinson de l’Université Stanford, aux États-Unis, a récemment caractérisé en détail ce phénomène et identifié le principal anticorps* permettant de répondre à l’EBV[10]. Cet anticorps reconnaît une molécule spécifique appelée l’antigène* nucléaire de l’EBV 1 (EBNA-1). L’aspect intéressant d’EBNA-1 est qu’elle possède une région particulière, avec une structure similaire à GlialCAM qui se trouve en partie dans les oligodendrocytes, des cellules du système nerveux central qui peuvent être endommagées lorsqu’une personne est atteinte de SEP. Des analyses faites sur un modèle de souris expérimental mimant la SEP et sur des cellules humaines ont montré que la présence de cette région particulière de l’EBNA-1 a mené à une forte réponse immunitaire non seulement contre EBNA-1, mais aussi contre GlialCAM. Donc, l’EBV mime une molécule habituellement présente dans le système nerveux central, et c’est ce qui déclencherait la réponse auto-immune caractéristique de la SEP.
 

Causalité soupçonnée

Une forte association entre deux paramètres ne signifie pas forcément une causalité. Neuf critères ont été précédemment développés pour évaluer une causalité, soit les critères de Hill[11]. L’un d’eux est la plausibilité biologique, c’est-à-dire un lien biologique défini entre la cause et la maladie, et c’est ce qu’illustre le mimétisme moléculaire ci-haut. Mais le critère de Hill le plus important demeure la séquence temporelle : l’exposition à une cause potentielle doit précéder la maladie. C’est ce qu’a révélé le groupe de recherche du Dr Alberto Ascherio, dans une étude américaine prospective d’une durée de 20 ans, publiée en janvier dernier[12]. Plusieurs études ayant porté sur différentes populations et avec différents critères de sélection ont précédemment établi une augmentation du risque de développer la SEP à la suite d’une infection par l’EBV. D’ailleurs, c’est pour cette raison que l’EBV est considéré comme étant un facteur de risque de la SEP. Cependant, cette récente étude a publié la plus forte association jamais notée entre l’EBV et la SEP. Une personne infectée aurait 32 fois plus de risque d’avoir la SEP qu’une personne non infectée[13]. Selon l’équipe de recherche, aucun autre facteur de risque ne possède une association aussi élevée. De plus, aucune variable confondante*, qui serait à la fois associée à l’EBV et à la SEP, n’explique un tel résultat. Des analyses additionnelles ont montré que des dommages neuronaux apparaissaient après l’infection par l’EBV et avant la première manifestation de la SEP. Aussi, parmi les virus humains pathogènes les plus connus, l’EBV est celui qui a mis en lumière la plus forte augmentation de la réponse immunitaire, que ce soit avant l’apparition de la SEP ou quelque temps après[14]. Ainsi, cette temporalité, qui révèle d’abord une infection par l’EBV, puis la manifestation de la SEP, défendrait l’idée que ce virus soit l’agent causal de la SEP.
 

Malgré les résultats prometteurs de cette étude, une divergence existe au sein de la communauté scientifique, à savoir s’il faut parler d’une association ou bel et bien d’une causalité. À noter que, parmi 801 personnes atteintes de la SEP incluses dans l’analyse de l’EBV, une seule personne non infectée a quand même eu la SEP[15]. Par ailleurs, si la majorité de la population mondiale a déjà été exposée à ce virus, pourquoi seule une minorité est-elle atteinte de la SEP ? La causalité par d’autres variables ne doit donc pas être écartée. En d’autres mots, pour les personnes ayant la SEP et un historique d’infection par l’EBV, cette exposition semble nécessaire, mais insuffisante, à elle seule, pour déclencher la SEP.
 

Potentiel thérapeutique

Deux nouvelles thérapies contre l’EBV sont en cours d’évaluation. Suivant les récentes études cliniques et fondamentales qui favorisent l’hypothèse de la causalité de l’EBV sur la SEP, la compagnie Atara Biotherapeutics a développé des cellules immunitaires particulières, appelées lymphocytes T cytotoxiques*, ciblant les lymphocytes B infectés par l’EBV, qui seront injectées aux patients et patientes[16]. Dans leur premier essai clinique, 20 personnes atteintes d’une forme progressive de la SEP parmi les 24 recrutées ont vu leur condition se stabiliser ou s’améliorer. De plus, la réparation de la myéline des cellules nerveuses a été constatée par le biais de l’imagerie par résonance magnétique. Un bon rapport entre les bénéfices et les risques de ce traitement représenterait l’unique approche curative pour les formes progressives de la SEP, sachant qu’au Canada, seuls deux médicaments sont utilisés pour retarder la progression de ces formes[17]. L’autre traitement à l’étude est un vaccin à base d’acide ribonucléique (ARN) messager*, conçu pour protéger contre la mononucléose, une maladie définie par l’infection par l’EBV[18]. Ce vaccin n’est donc pas spécifique à la SEP ; il peut empêcher l’infection et, à long terme, prévenir des maladies potentiellement associées à l’EBV, comme la SEP. En décembre 2021, la compagnie Moderna a entamé le recrutement de personnes saines volontaires, âgées de 18 à 30 ans, pour évaluer si ce vaccin est sécuritaire[19].
 

Si l’EBV déclenche une proportion des cas de SEP, un vaccin pourrait la prévenir ou diminuer les risques d’en souffrir. Si ce traitement préventif se révèle efficace et sécuritaire, il pourrait non seulement sauver des milliers de vies, mais aussi prévenir d’autres maladies associées à l’EBV. Le vaccin réduirait également le fardeau économique de ces pathologies, considérant que les coûts associés à la SEP augmenteront dans les prochaines années. En effet, des projections canadiennes prévoient une augmentation des coûts additionnels associés aux soins de santé couverts par des régimes d’assurance provinciaux ou privés, passant de 1,4 milliard de dollars, en 2011, à environ 2 milliards, en 2031[20]. Quant aux dépenses engagées directement par les patients et patientes et qui sont non remboursables, elles passeraient de 125,7 millions de dollars en 2011 à 170,4 millions en 2031. Le défi d’une telle thérapie serait de démontrer qu’elle engendre une immunité optimale empêchant l’apparition de la SEP, sachant que cette maladie peut se manifester jusqu’à une dizaine d’années après l’infection par l’EBV[21]. De plus, des essais cliniques avancés, avec plus de patients et d’une durée plus longue, sont nécessaires pour déterminer l’efficacité d’un tel vaccin.
 

— Un article de Kanza Alami Marrouni, étudiante au Programme de doctorat en neurosciences à l'Université de Montréal

 

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