Cyberintimidation

Faudrait-il instituer des cours de « civisme numérique » dès l’école primaire? C’est une des façons détournées par lesquelles l’urgence d’investir dans diverses formes d’éducation à l’information est revenue sur le tapis dans un panel sur le cyberharcèlement, tenu samedi dernier lors du congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ).

Les journalistes sont en effet plus que jamais la cible d’attaques en ligne et même d’intimidation. Cela prend la forme, déjà tristement documentée, des remarques à caractère sexuel pour les femmes, au point où une vidéo lancée le 1er mai dernier par un petit groupe de journalistes de la région du Saguenay, #PasUnePoupée, a rapidement eu une résonance nationale, et au-delà des cercles journalistiques.

Mais des insultes et des menaces ciblent aussi des journalistes ou des blogueurs qui écrivent sur la santé en s’appuyant sur des faits scientifiques, est venu témoigner le journaliste scientifique Jean-François Cliche, du quotidien Le Soleil, à Québec. Parce qu’une partie de son travail consiste à publier des articles de vérification des faits (fact-checking), « j’ai fini par me frotter aux anti-vaccins, anti-OGM, anti-ceci ou anti-cela ».

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Il a également évoqué le cas du blogueur Olivier Bernard, connu sous le nom du Pharmachien qui, en mars dernier, a annoncé qu’il suspendait temporairement son blogue, après avoir été la cible de ce qu’on appelle le « doxing », lorsque des groupes se concertent sur les médias sociaux pour cibler l’individu, ses proches ou son employeur, en publiant leurs adresses personnelles et en recommandant d’aller les intimider.

Dans une étude antérieure, l’organisme Reporters sans frontières avait noté que 31% des journalistes avaient dit avoir atténué leur couverture d’un sujet à cause du harcèlement, et 15% l’avoir abandonné. Mais 57% avaient aussi dit ne pas avoir dénoncé.

Et c’est ce dernier point qui ramenait les participants du panel à un aspect de l’éducation à l’information : apprendre au public — et aux journalistes — à dénoncer ou à répliquer. Considérant, par exemple que les cyberharceleurs ont en commun de tenir des propos dégradants ou outranciers qu’ils ne tiendraient jamais dans une conversation en face à face avec l’auteur, le simple fait de répondre à « l’attaquant » d’une façon polie peut parfois avoir un « effet civilisateur » sur lui — ou, à défaut, sur ceux qui le suivent.

« Je me suis rendu compte, explique Jean-François Cliche, que ça oblige certains à devenir eux-mêmes plus civilisés. » Du côté des femmes, le mouvement #PasUnePoupée a suscité une telle vague d’appuis sur les médias sociaux que, selon son initiatrice Priscilla Plamondon Lalancette, cela a pu amener certains hommes à prendre conscience que leurs propos ont un impact.

Parmi les recommandations qui sont ressorties de l’atelier : Il faut de la formation dans les salles de rédaction sur la façon d’agir avec les trolls, il faut que les employeurs encouragent leurs employées à dénoncer, et il faut inclure dans le mouvement d’éducation à l’information un chapitre sur les bonnes pratiques de « civisme numérique » — et en parler le plus tôt possible à l’école. 

Autres initiatives

Cette idée de devoir fournir des outils au public — et aux salles de rédaction pour mieux interagir avec ce public — était par ailleurs revenue à quelques reprises dans les autres ateliers du congrès.

Dans la matinée, la firme Edelman avait troublé plusieurs journalistes avec ses chiffres sur « l’indice de confiance »: par exemple, près de la moitié (48%) des gens considèreraient que les médias sont plus susceptibles d’appuyer une idéologie politique qu’une information; et la moitié considéreraient que la source d’information la plus fiable est… le moteur de recherche. Expliquer au public ce qu’est une information fiable et comment elle se construit s’impose donc.

Dans l’après-midi, un panel avait par ailleurs décrit un projet de « certification » des médias crédibles qui commence à prendre forme à l’échelle internationale, la Journalism Trust Initiative, sous l’égide de Reporters sans frontières.

Enfin, la FPJQ a lancé pour la première fois en mai dernier une initiative unique au Canada, la « Semaine de la presse », inspirée d’une semaine qui, en France, revient chaque année depuis trois décennies. Mais il y a encore du chemin à faire avant que le nombre de médias participants ou d’activités se compare à ce qui se passe outre-Atlantique. La seconde édition est en cours de préparation.

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