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La question peut surprendre mais pensons qu'un organe comme le cerveau a dû probablement passer par plusieurs modifications de fonctions au cours de l'évolution pour aboutir à ce qu'il est devenu chez les espèces les plus évoluées.

Bénéficier d'une réserve d'énergie est vital pour un organisme. Pouvoir utiliser cette énergie de réserve rapidement est tout aussi crucial notamment pour les organismes locomoteurs.  Canaliser ce surplus d'énergie vers les bons organes aux bons moments relève sans aucun doute de l'adaptation nécessaire à la survie, entre autres, en situation de prédation autant pour le prédateur que pour la proie. Indubitablement une façon d'acheminer rapidement de l'énergie dans un organisme est le transport par voie nerveuse. Les premières cellules nerveuses à ne pas être des neurones moteurs avaient-elles pour fonction de stocker et délivrer rapidement de l'énergie aux motoneurones ? 

Il faut se rappeler que le cerveau humain par exemple représente 2% du poids d'un adulte alors qu'il consomme 20% de l'énergie nécessaire à l'organisme. Comment un tel déséquilibre énergétique a-t-il pu s'installer ?

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« Rien n'a de sens en biologie si ce n'est à la lumière de l'évolution. »

Theodosius Dobzhansky

Cette célèbre déclaration de ce généticien ayant marqué la biologie du XXe siècle pourrait-elle nous guider ici? Si, au départ, la fonction des premiers neurones "cérébraux" consistait à emmagasiner de l'énergie et que cette fonction a pris de l'ampleur par la suite en bénéficiant d'un avantage évolutif, alors on pourrait imaginer qu'au fil des centaines de millions d'années un nombre toujours plus grand de ces neurones aurait été sélectionné pour accaparer de plus en plus d'énergie en réserve. Partant de là, nous pouvons ensuite imaginer que cette quantité d'énergie disponible serait devenue suffisante pour qu'émergent de nouvelles fonctions tout en conservant suffisamment d'énergie de réserve pour subvenir aux fonctions motrices.

Quelles auraient pu être dans ce cas ces premières fonctions nouvellement émergées? C'est ici qu'il peut devenir intéressant de faire le lien avec les deux articles précédents publiés sur ce blogue. La question posée dans l'article précédent étant la suivante : " Les fonctions cérébrales seraient-elles d'abord apparues en modulant un ensemble de réflexes? " Des travaux chez la pieuvre Octopus bimaculoides montrent en outre qu'un mouvement réflexe de ses bras doit transiter par le cerveau. Concevoir qu'à une époque reculée, la modulation d'un ensemble de réflexes par un cerveau primitif aurait pu s'installer pourrait constituer l'une des premières étapes pouvant faire le pont entre une étape précédente durant laquelle des cellules nerveuses ne servaient qu'à emmagasiner de l'énergie en réserve et celles, plus tard, où elles ont pu acquérir un ensemble de fonctions de plus en plus évoluées.

D'ailleurs on peut penser que la modulation de réflexes moteurs ait nécessité que soit acheminée une plus ou moins grande quantité d'énergie aux neurones moteurs et que cette quantité d'énergie qui doit être disponible à tout moment doit être mise en réserve quelque part et être transportée très rapidement. Un système neuronal conçu à cet effet semble être la voie toute désignée à cette fin.

À l'origine, des photorécepteurs impliqués dans des phénomènes de phototactisme auraient pu convertir l'énergie de la lumière reçue en influx nerveux acheminé aux cellules précurseurs des neurones cérébraux afin d'alimenter cette réserve d'énergie. Est-ce que le trajet de ce type d'influx nerveux via le cerveau mis en évidence chez Octopus bimaculoides pourrait être un reliquat de ce phénomène lointain ? Cette connexion possible nous amènerait à imaginer par la suite que la rétine via le nerf optique aurait pu prendre le relais de cette fonction de "recharge énergétique" et plus tard acquérir une double fonction en devenant du même coup l'organe sensoriel de la vue. Alimentation en énergie et traitement de l'information auraient pu devenir ainsi deux fonctions intimement liées. Cette double fonction pourrait peut-être expliquer aujourd'hui les résultats de certains travaux chez l'être humain que j'ai mentionnés dans un autre article. Par exemple, plus le nombre de points perçus est grand, plus les pupilles des yeux se dilatent1 laissant entrer plus de lumière et donc plus d'énergie pouvant être convertie en influx nerveux. La charge de travail mental serait plus grande pour le cerveau et demanderait alors plus de ressources énergétiques.

S'étendant sur des centaines de millions d'années, l'évolution a sans doute plus d'un tour dans son sac. Imaginons au départ que cette réserve d'énergie n'était disponible que pour des fonctions motrices. Soit mais rien n'interdit des dizaines voire centaines de millions d'années plus tard que la fonction de cette réserve d'énergie trouve un autre débouché en devenant plus tard une source d'énergie de réserve mais cette fois pour des fonctions purement cérébrales. Le fait est que nous avons l'habitude de considérer les influx nerveux cérébraux comme un phénomène qui participe au codage de l'information alors qu'on pourrait aussi l'envisager par moment comme un phénomène de transport d'énergie d'une région cérébrale à une autre. L'analogie le plus évident et le plus banal ici serait d'assimiler les réseaux neuronaux à nos réseaux de transport d'électricité.

Dès lors cela nous permet de jeter un nouveau regard de ce que qu'aurait pu être le cheminement évolutif des systèmes neuronaux à leurs débuts jusqu'à une étape très avancée. Prenant à nouveau le cerveau humain, on pourrait imaginer qu'une structure située près de la moelle épinière comme le tronc cérébral pourrait constituer un reliquat de ce qu'était le réseau de neurones qui aurait pu servir autrefois de réserve d'énergie aux neurones moteurs alors qu'une région non spécialisée dans le traitement des informations sensorielles ou motrices tel que le lobe frontal aurait pu agir à ses débuts comme réservoir d'énergie nécessaire à alimenter les influx nerveux du cerveau proprement dit.

Une explication possible dans le cas du genre Homo

En poussant encore un peu plus loin notre réflexion, il nous serait possible d'imaginer une explication à un trait évolutif du genre Homo. En 2012, deux équipes de chercheurs ont découvert un gène nommé SRGAP2C. Cette variante du gène SRGAP2A serait apparue il y a environ 2,5 millions d'années, à l'époque de l'apparition du genre Homo. Présente chez l'humain, elle ne se retrouverait nulle part ailleurs dans le règne animal. Ce gène s'exprime dans les neurones du cortex préfrontal augmentant considérablement le nombre des dendrites par cellule nerveuse2, 3. Le cortex préfrontal est la région cérébrale des facultés cognitives supérieures. Il en est résulté un accroissement de l'intelligence. Seulement voilà, nous avons certains indices, par les outils de pierre qui ont pu être datés par exemple, que l'évolution des capacités cognitives se serait accomplie de façon plutôt progressive. À tout le moins, si elle s'est faite par paliers, il a fallu au moins 2 millions d'années sinon davantage avant que la créativité humaine prenne son essor en dépit du fait que les individus possédaient un cortex frontal beaucoup plus développé. En dépit de ce décalage temporel, ce cortex préfrontal développé s'est maintenu jusqu'à une utilisation par des fonctions cognitives élaborées. Une des explications pourrait être alors que bien avant la manifestation de ces nouvelles fonctions cognitives, ce cortex préfrontal avait une autre fonction qui aurait été celle de réservoir énergétique pour le reste du cerveau et de l'organisme en général. Comment pourrait-on expliquer alors ce transfert, partiel ou total, de fonctions au cours de l'évolution ? Les premiers représentants du genre Homo se sont mis à chasser. Fabriquer des outils demandait une dépense d'énergie d'une part. D'autre part, ils se sont donc mis à manger de la viande, de la viande crue. Or manger de la viande crue exige de mastiquer cette viande pendant un temps très long et requiert donc une grande quantité d'énergie, une énergie motrice là encore. Lorsque leurs lointains descendants ont pu maîtriser le feu, ils ont pu entre autres cuire cette viande et manger de la viande cuite demande énormément moins d'énergie pour la mastication. En conséquence, leur cerveau pouvait se retrouver en surplus énergétique et le cortex préfrontal aurait pu ainsi se délester d'une partie de la fonction de réservoir d'énergie et dès lors, devenir disponible pour d'autres fonctions cognitives. Certes il ne s'agit que d'une ébauche d'explication d'un phénomène bien plus complexe. On pourrait faire remarquer par exemple qu'avec une meilleure cognition, les humains ont pu par la suite apprendre à fabriquer des outils plus tranchant de façon plus efficace en dépensant moins d'énergie ce qui, en retour, permet à nouveau ce transfert de fonctions du cortex préfrontal vers de nouvelles possibilités de codage et ainsi de suite.

Il serait intéressant de pouvoir afficher ici les rapports poids cerveau / poids de l'organisme et consommation énergétique du cerveau / consommation énergétique de l'organisme pour plusieurs espèces de divers embranchements partant des invertébrés jusqu'aux vertébrés aux capacités cognitives les plus développées. La paléophysiologie est une discipline qui en est encore à ses débuts. Qui sait si, avec d'autres disciplines connexes telles que la paléontologie moléculaire et la paléoécologie, ce type de recherches transdisciplinaires n'apporteront pas des réponses à nos interrogations actuelles ? 

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