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Connaissez-vous l’expression « jeter un pavé dans la mare » ? Celle-ci fait référence à une chose, ou une personne, qui perturbe une situation sans histoire, bien tranquille.

Comme illustré à la Figure 1, imaginons que le pavé soit une stratégie ou une décision visant à réduire l’empreinte environnementale d’un secteur économique, comme l’établissement de seuils minimaux de matière recyclée pour la fabrication d’un produit donné. Ensuite, supposons que la mare soit un ensemble de secteurs économiques à l’équilibre dans lequel circulent les matières premières du produit. Lors de la mise en place de la stratégie, à l’image de l’état transitoire où le pavé entre en contact avec la mare, les marchés sous le choc s’agitent et se déséquilibrent ; l’offre et la demande pour les matières premières et recyclées ne s’égalent plus. Petit à petit, les producteurs de matières premières s’adaptent à la nouvelle réalité, investissent, par exemple, dans le développement de technologies innovantes afin de réduire leurs coûts de production. À long terme, les échanges pour ces matières se rééquilibrent dans un état final bien différent de leur état initial, affectant le cycle de vie de nombreux produits. De ce fait, l’efficacité de la stratégie d’un point de vue environnemental dépend de la nature et de l’amplitude des mutations entre l’état final et l’état initial, qui elles-mêmes dépendent d’une multitude d’interactions techniques, physiques et économiques.

Pour guider a priori les décideurs quant aux conséquences environnementales de cycle de vie à long terme de leur stratégie, une approche de plus en plus préconisée depuis le début 2000 est l’analyse du cycle de vie "conséquentielle" (ACV-C). Elle a pour but d’évaluer les conséquences environnementales d’une prise de décision (exemple: implanter ou non une nouvelle stratégie) sur le cycle de vie de produits en considérant la dynamique des marchés. Cette approche de modélisation combine la science économique et celle de l’analyse environnementale du cycle de vie classique, dite "attributionnelle".

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Figure 1
Figure1 : Illustration de l’expression « jeter un pavé dans la mare », sens figuré d’une chose qui trouble une situation sans histoire, bien tranquille. À court terme, jeter un pavé dans une mare aux eaux tranquilles, (1) trouble l’eau (2)  effraie la grenouille qui prend la fuite et (3) éclabousse les fleurs qui deviennent trempées. À long terme, (4) le niveau de l’eau est plus élevé en raison du volume occupé par le pavé, (5) l’eau redevient calme et (6) les fleurs redeviennent sèches. À votre avis, combien de conséquences pourrait-on anticiper avant la mise en place d’une stratégie environnementale nationale ?

 

Application de l'ACV-C pour évaluer la stratégie environnementale du "Cement Sustainability Initiative" dans un contexte canadien

En 2009, le Cement Sustainability Initiative (CSI) a établi 4 leviers d’intervention visant à réduire progressivement les pressions environnementales de l’industrie mondiale du ciment. Un de ces leviers est de substituer en moyenne 40 % de la masse de clinker par des ajouts cimentaires et minéraux dans la fabrication du ciment d’ici 2050. En 2015, la moyenne canadienne était aux alentours de 24 %. Tel un pavé dans la mare, cette mesure entraîne depuis sa mise en place des mutations dans la demande des ajouts conventionnels, ce qui affecte le cycle de vie de plusieurs produits se trouvant dans différents secteurs économiques. Il est question, entre autres, de la fumée de silice (sous-produit d’aciérie de ferrosilicium), les cendres volantes (sous-produits de centrale thermique au charbon) et les laitiers de haut-fourneau (sous-produit de sidérurgie).

Or, en superposant les fuseaux de demande d’ajouts cimentaires à ceux de l’offre d’ajouts conventionnels dans l’Est et l’Ouest du Canada (Figure 2), tel qu’étudié au LIRIDE, il est possible d’anticiper une forte augmentation des importations afin de satisfaire la demande croissante induite par l’atteinte des seuils du CSI. Par ailleurs, dans cette même offre, il est possible d’y inclure prévisionnellement des ajouts cimentaires et minéraux alternatifs pouvant être produits régionalement, comme la poudre de verre, le métakaolin et le "filler" calcaire.

Ainsi, d’ici 2050, l’efficacité de la stratégie environnementale du CSI au Canada dépendra du nouvel équilibre de l’état final, où la nouvelle offre devra égaler à la nouvelle demande. Ce projet de recherche d’ACV-C permettra de quantifier les conséquences environnementales de la mise en place de la stratégie du CSI au Canada en y incluant le développement régional d’ajouts cimentaires et minéraux alternatifs.

 

Figure 2
Figure2 : Offre canadienne d’ajouts cimentaires conventionnels en superposition avec le fuseau de demande (aire entre la courbe de forte croissance et  faible croissance économique et démographique) en constante mutation en raison de l’atteinte des objectifs progressifs du CSI : a) l’est du Canada et b) l’ouest du Canada.

 

 Jean-Martin Lessard, candidat au doctorat au LIRIDE (Université de Sherbrooke)

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