Après des années à prédire qu’on allait prochainement faire renaître des espèces disparues, on a pu croire, en avril dernier, que ça y était: certes, le loup géant était moins spectaculaire que le mammouth, mais peut-être était-ce la première étape? Même pas, ont très rapidement dit les biologistes, dégonflant de façon tout aussi spectaculaire une annonce qui avait eu le temps de faire les manchettes.
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L’annonce était venue de la firme américaine Colossal Biosciences. Celle-ci —la même qui promettait, dès 2021, de « ressusciter » un mammouth d’ici la fin de la décennie— aurait fait naître un loup préhistorique disparu depuis 10 000 ans, le loup sinistre (« dire wolf » en anglais), parfois appelé « loup géant ». Le tout, avait expliqué la compagnie dans son communiqué, après avoir recueilli l’ADN de loups sinistres dans une dent de 13 000 ans et dans un crâne de 72 000 ans, l’avoir comparé à celui du loup gris d’aujourd’hui, avoir effectué 20 modifications dans 14 gènes du loup gris et créé à partir de là des embryons en laboratoire grâce à la technique du clonage.
Cela leur avait valu la Une du magazine Time le 7 avril, de même que des articles favorables dans divers médias des États-Unis. Et quelques-uns, moins favorables. L’objectif: la « désextinction », ou le retour d’espèces disparues.
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Devant toute annonce de ce genre, le fait qu’il n’y ait aucune recherche scientifique publiée constituait déjà un gros signal d’alarme. Mais rien qu’avec la description ci-haut, les experts en génétique ont tout de suite protesté: les trois petits qui étaient nés en bonne santé ne pouvaient pas être appelés des loups sinistres revenus de la préhistoire, mais simplement des loups gris d’aujourd’hui génétiquement modifiés. En effet, 14 gènes modifiés du loup gris, sur environ 19 000, dans le but de lui transférer certaines caractéristiques des loups sinistres, ça n’en faisait pas un loup préhistorique. Tout au plus, « des loups gris qui ressemblent à des loups sinistres », avait déploré la paléontologue Julie Meachen. Et encore s’agit-il uniquement de ressemblances présumées, avait ajouté le généticien australien Jeremy Austin, puisqu’il est difficile de savoir de quoi avaient l’air les loups sinistres, seulement à partir de leurs fossiles.
Coup de marketing? Colossal Sciences s’est en effet proclamée « la première et la seule compagnie au monde en désextinction ». Elle a donc besoin de succès —et peut-être de financement— pour continuer d’avancer vers son objectif allégué, le mammouth.
Quant à l’argument à l’effet que tous ces efforts pourraient permettre, à terme, de faire renaître des espèces disparues, les experts en protection des espèces ont du mal à y croire. Même l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a réagi négativement en avril: « éditer le génome d’un loup gris pour produire des individus ressemblant à une espèce disparue qui n’a aucune niche écologique et qui ne restaurera pas les fonctions d’un écosystème, n’est pas en accord avec les lignes directrices » de la désextinction, publiées par l’UICN dès 2016.





