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Karine Bilodeau est professeure adjointe à la Faculté des sciences infirmières et chercheure au Centre de recherche de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont – axe immunologie et oncologie. Elle est membre du Centre d’innovation en formation infirmière de l’Université de Montréal ainsi que du Réseau de recherche en interventions en sciences infirmières du Québec (RRISIQ) et du Réseau provincial de recherche en adaptation-réadaptation (REPAR). Elle est récipiendaire d’une bourse de carrière chercheur-boursier junior 1 du Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS)

 

Parlez-nous de vos recherches actuelles.

Mes recherches portent sur l’amélioration des soins et des services de santé pour les survivants au cancer. Plus particulièrement, je travaille à développer avec les personnes concernées (patients, professionnels de la santé, gestionnaires, experts en formation) des interventions pouvant aider l’accompagnement des survivants après les traitements du cancer. Cet accompagnement peut être réalisé par une équipe de soins en centre hospitalier ou en première ligne. De plus, par mes travaux, j’aimerais contribuer à l’accompagnement de l’autogestion et du retour en emploi des survivants. Je m’intéresse aussi aux jeunes adultes touchés par le cancer. Cet aspect de ma recherche s’est développé après que des patients partenaires m’ont expressément demandé de m’intéresser à leur groupe. Ils m’ont vraiment touchée et je les ai écoutés. Ainsi, il est vrai que la population peut influencer la recherche.

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Mes travaux tentent de comprendre la façon dont les personnes survivant au cancer mobilisent leurs savoirs expérientiels pour apprendre à vivre avec la réalité de l’après-cancer. La personne utilise de manière inconsciente les savoirs expérientiels lors de situations qu’elle vit (par exemple, gestion de la fatigue) et les adapte au contexte (par exemple, travail, soin des enfants). La plupart des gens arrivent difficilement à expliquer ces savoirs. Cela vous est sûrement déjà arrivé de demander à une personne d’expliquer comment elle avait réussi telle ou telle chose sans qu’elle soit capable de le faire. C’est ainsi un défi pour la recherche de recueillir ces savoirs.

Dans le cadre d’un projet de recherche, une équipe que je dirige a réalisé des groupes de discussion avec des survivants de groupes d’âge différents (financement du Canadian Centre for Applied Research in Cancer Control [ARCC]). Le but était de décrire les défis de l’après-cancer dans le cadre desquels se réalisaient des apprentissages. Notre hypothèse était que les apprentissages ne devaient pas se manifester de la même façon chez un jeune adulte qui fréquente l’université que chez une personne à la retraite. Les groupes étaient ainsi répartis : 18-29 ans ; 30-44 ans ; 45-59 ans ; plus de 60 ans. Nos résultats ont permis de rendre compte finement de la manifestation des défis selon différents moments du parcours de vie. Même si les diagnostics et les âges des participants étaient diversifiés, de nombreux éléments de leur expérience étaient similaires ; aussi, c’est plutôt leur manifestation dans le parcours de vie qui semblait différer selon les groupes de participants. Les défis associés à l’après-cancer étaient en lien avec l’autonomie, l’identité, la perception des rôles sociaux et la reprise d’une vie dite normale. Les membres de notre équipe travaillent encore à différencier les apprentissages reliés à ces défis ainsi que les stratégies mises en place par les survivants. Somme toute, ce projet nous a menés à comprendre que les personnes ne franchissent pas les mêmes étapes aux mêmes moments. Si les défis décrits par notre étude sont liés aux effets du cancer ou de ses traitements, ils sont aussi indissociables du parcours de vie de la personne. Nos résultats laissent penser que ces défis doivent donc être appréhendés selon le parcours de vie du survivant, car ils surgissent et deviennent significatifs lors de situations de vie particulières qui sont susceptibles d’être différentes selon les groupes d’âge.

Je commence aussi un projet qui veut documenter l’accompagnement de l’après-cancer en explorant la mobilisation des savoirs issus de l’expérience des personnes touchées par le cancer ainsi que de celle des professionnels de la santé (financement des Instituts de recherche en santé du Canada [IRSC], concours Projet – Annonce de priorités : Recherche axée sur le patient). Le but de cette étude est d’explorer les connaissances qu’utilisent les personnes touchées par le cancer ainsi que les professionnels de la santé, et d’évaluer comment ces mêmes connaissances sont utilisées lors de la gestion de leur santé ou de l’accompagnement de ces personnes. Ce projet utilisera la méthodologie du récit de vie pour recueillir les savoirs expérientiels. Ultimement, ces récits offriront des données inédites sur les savoirs issus de l’expérience de patients et de professionnels, aideront à définir l’accompagnement à prodiguer aux patients et aux professionnels ainsi qu’à déterminer les composantes d’un accompagnement optimal de la part des professionnels lors de l’après-cancer, et enrichiront les programmes de formation des professionnels de la santé de même que ceux des patients partenaires et accompagnateurs.

Petite note : le terme survivant n’est pas toujours bien perçu ou défini. La définition la plus acceptée est celle où l’on considère que dès le diagnostic, la personne commence la phase de survie. Bien sûr, les défis affrontés lors de la fin des traitements sont totalement différents de ceux rencontrés pendant les traitements du cancer.
 

Qu’est-ce qui vous a profondément motivée à étudier les soins après cancer ?

J’ai un parcours un peu atypique. J’ai travaillé une dizaine d’années à titre d’infirmière clinicienne et de cadre-conseil dans le secteur de l’oncologie. Les soins infirmiers aux personnes touchées par le cancer ont toujours été une passion pour moi. C’est une des expériences de santé les plus complexes en raison du caractère grave du diagnostic ainsi que de l’impact de la maladie et des traitements sur la vie des personnes. Très tôt dans ma carrière, j’ai vu l’effet positif des soins infirmiers sur cette clientèle, et c’est ce qui m’a poussée à poursuivre mes études pour contribuer aux connaissances de la discipline infirmière sur ce sujet.

Mes travaux de maîtrise portaient sur l’expérience de la sexualité des femmes ayant eu un cancer du col utérin. Sans le savoir, j’étudiais déjà des défis de l’après-cancer, celui de vivre avec un corps changé par les traitements du cancer et celui d’éprouver le désir d’avoir à nouveau une vie sexuelle. Par la suite, j’ai consacré mon projet de doctorat aux équipes interprofessionnelles en oncologie. Ici aussi, mes travaux ont fait ressortir que la période de l’après-cancer est celle qui est la moins accompagnée par une équipe de soins. C’est lors de mon stage postdoctoral auprès de deux chercheures chevronnées, les professeures Dominique Tremblay et Marie-José Durand, que j’ai approfondi ma compréhension de l’après-cancer. Je me suis intéressée à l’expérience du retour au travail après un cancer du sein. Cette expérience a été d’une grande richesse, car elle m’a révélé les enjeux d’accès à des services de santé adaptés et les conséquences de la maladie sur un retour souhaité à une vie « plus normale ». C’est souvent lors du retour au travail que les défis de l’après-cancer émergent. De plus, j’ai été fascinée de voir comment les personnes pouvaient mobiliser leurs ressources internes et externes pour pouvoir être en mesure de retourner en emploi. C’est vraiment à ce moment que j’ai orienté mes travaux pour comprendre comment les personnes touchées par le cancer mobilisent leurs connaissances antérieures et pour développer des interventions afin de mieux les accompagner.
 

Quelle est l’entrave la plus importante à l’atteinte de résultats dans vos recherches ?

Je crois que c’est l’incertitude quant au financement. Je réalise des projets qui sont non conventionnels, qui n’offrent pas des résultats sous forme de statistiques et qui, de plus, sont intersectoriels. Par exemple, ce n’est pas simple de recruter des superviseurs ou des patrons d’employés qui ont eu un cancer dans leur équipe ou leur entreprise. Les gens se sentent peu interpellés par ce type de recherche. Je dois donc être vraiment persévérante. De plus, les défis de l’après-cancer sont souvent mal compris dans la population. Les gens pensent que lorsque les traitements sont terminés, tout est terminé.
 

De quelle manière vos travaux touchent-ils le grand public ?

Malheureusement, une personne sur deux recevra un diagnostic de cancer au cours de sa vie. Grâce aux avancées médicales et au succès des programmes de prévention, environ les deux tiers d’entre elles seront toujours en vie après cinq ans. Le cancer touche la vie des gens même si la maladie est détectée à un stade précoce. Il est faux de prétendre qu’un cancer précoce n’a pas d’impact sur la santé et la vie des gens. Mes travaux mettent souvent des mots sur ce que les gens vivent. J’espère que cela est réconfortant pour eux. Je crois que c’est déjà une grande contribution à la société de permettre à ces personnes de s’exprimer lors de mes activités de recherche.
 

Travaillez-vous avec des collègues internationaux et, si oui, de quelle façon leurs recherches influencent-elles les vôtres ?

Je collabore avec quelques chercheurs français. En France, les équipes de soins ont adopté d’autres approches pour accompagner les maladies chroniques, dont l’éducation thérapeutique des patients. C’est vraiment intéressant d’échanger sur les façons de faire et de voir comment les patients sont intégrés dans les structures professionnelles. De plus, la France s’est dotée de politiques obligeant, du moins en partie, les services de santé à offrir un accompagnement tout au long du parcours de soins. J’ai pu constater que c’est un atout majeur pour faire avancer les choses.
 

Dans votre domaine d’expertise, quelle percée dans les dix prochaines années représenterait une grande avancée ?

La question qui demeure concerne la façon d’utiliser les savoirs des patients et des professionnels de la santé. Ces savoirs sont issus de l’expérience et pour cela, ils sont souvent considérés comme des données de « bas niveau » pour la recherche dans le secteur de la santé. D’un autre côté, au Canada, des initiatives de recherche ont été lancées pour reconnaître l’expérience des patients et les Instituts de recherche du Canada ont adopté la Stratégie de recherche axée sur le patient. En faisant cela, cet organisme reconnaît et valorise la recherche dite axée sur le patient. Par contre, les chercheurs doivent trouver comment utiliser concrètement ces savoirs et les transposer à la pratique des professionnels de la santé.
 

Comment envisagez-vous l’avenir dans votre champ de recherche ?

Je vois vraiment un travail de collaboration étroite entre les chercheurs, les personnes touchées par le cancer, les professionnels de la santé, les organismes communautaires et les employeurs. Il faut vraiment travailler ensemble à définir les besoins afin de trouver des solutions innovantes et adaptées pour accompagner les survivants du cancer. Il faut aussi revoir notre façon de réfléchir pour arriver à davantage d’innovation et adopter des approches méthodologiques flexibles.
 

Certaines décisions politiques ont-elles eu des répercussions pour votre champ d’expertise au cours des dernières années et, si oui, de quel ordre ?

Je répondrais à cette question en mentionnant plutôt l’inaction politique quant à certaines questions urgentes. Les prestations de maladie de l’assurance-emploi ne semblent pas encore avoir été modifiées pour les personnes souffrant d’une maladie grave comme le cancer. Une personne recevant un diagnostic de cancer sera souvent en congé maladie plus d’un an si elle reçoit des traitements de chimiothérapie. À ce jour, le congé payé est toujours de 15 semaines. Le gouvernement fédéral avait annoncé en 2019 une révision à la suite des témoignages de plusieurs femmes touchées par le cancer. Leur cri du cœur semblait avoir été entendu, mais je crois que le contexte pandémique a mis sur la glace la révision de cette loi. Avoir un congé maladie décent ferait une énorme différence dans la vie des personnes atteintes. Cela permettrait un rétablissement optimal. Plusieurs pays européens offrent des congés de plus d’un an. L’Allemagne offre même des services de réadaptation après les traitements du cancer. Nous avons encore du chemin à faire.

Plusieurs organismes avaient aussi milité pour l’adoption, au Québec, d’une loi octroyant un « droit à l’oubli ». Ce type de loi permet à une personne d’omettre des informations quant à une condition de santé quand, par exemple, elle postule à un emploi ou demande un prêt. Ce type de loi cible souvent des personnes ayant eu des diagnostics en bas âge ou ayant terminé des traitements depuis de nombreuses années. Un jeune adulte (18-39 ans) avec un historique relié au cancer peut avoir de la difficulté à s’établir personnellement ou professionnellement. C’est compliqué pour lui d’obtenir un prêt hypothécaire, de contracter une assurance vie et de modifier ses plans de carrière, et donc de changer d’emploi : que se passerait-il avec les assurances du nouvel employeur ? Comment ces dernières considéreront-elles sa condition de santé ? Ces embûches ont des effets considérables sur l’expérience de l’après-cancer.

Si vous aviez un livre à recommander au ministre responsable de votre domaine, quel serait-il ?

J’inviterais plutôt ce ministre à venir écouter une discussion avec des survivants du cancer. Il serait sans doute surpris par toutes les démarches que les gens amorcent, par toutes les portes fermées auxquelles ils se heurtent et par l’incompréhension dont fait preuve la population en général au sujet de ce qu’ils vivent. Une participante d’un de mes projets m’a déjà raconté s’être rendue au service de l’aide sociale à la veille des congés de Noël. Elle était désespérée. Elle avait attendu de longues heures avant d’arriver au commis, qui fermait toutefois son guichet : il lui a demandé de revenir le 4 janvier. Il faut éviter ces histoires atroces.
 

Quelle est l’une de vos grandes passions hormis votre travail ?

J’aime beaucoup les animaux. Quand je vais en voyage en dehors du Québec (par exemple aux Pays-Bas, au Japon, au Danemark, aux États-Unis), je vais presque toujours visiter un zoo ou un aquarium. Cet été, en raison du contexte pandémique, j’ai passé mes vacances au Québec et j’en ai profité pour aller au parc Oméga en Outaouais. Ma prochaine destination sera le Biodôme de Montréal avec ma filleule. J’ai hâte de voir les rénovations et le tunnel de glace. J’ai aussi toujours eu des animaux à la maison. Pendant la pandémie, nous avons adopté deux chats auprès d’un refuge, dont un qui est malvoyant. Nous voulions aider un chat qui est différent.

 

— Un article de Marie-Paule Primeau, rédactrice en chef de la revue Dire de l'Université de Montréal

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