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Le gros risque derrière l’exploitation du gaz de schiste, c’est la contamination de l’eau. Parce qu’une fois qu’on a contaminé une nappe d’eau souterraine, il est plutôt difficile de la décontaminer...

Aux États-Unis, même l’industrie du gaz, pourtant prompte à rejeter toute idée de réglementation, le reconnaissait dans un rapport publié en mai 2009 : l’exploitation du gaz par le biais de la technologie dite de « fracturation » nécessite davantage d’études et « devrait être arrêtée ou limitée » à proximité de certaines réserves d’eau potable.

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Mais quel est le risque réel de contaminer l’eau? La « fracturation hydraulique » (voir le texte précédent), qui permet d’extraire le gaz de la roche de schiste, est une technologie qui, sous sa forme moderne —et moins coûteuse— a maintenant un peu plus de 10 ans, aux États-Unis. A-t-elle fait l’objet d’études d’impacts sur l’environnement... autres que les études supervisées par l’industrie?

La réponse est oui... et non. Parce que pour fracturer la roche et en libérer le précieux gaz, il faut l’injection, à des centaines (ou des milliers) de mètres de profondeur, de tonnes d’eau associées à des produits chimiques. Or, l’industrie protège jalousement sa « recette chimique » : et faute d’avoir cette information, il est très difficile à un scientifique d’associer hors de tout doute la présence d’un produit toxique au fond d’un puits, à un forage en cours non loin de là.

Les liaisons gouvernement-industrie colorent-elles la science?

Les promoteurs du gaz de schiste vantent une étude de 2004 de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), le plus proche équivalent du Bureau québécois d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). L’EPA y concluait que la « fracturation hydraulique » est sécuritaire et ne cause aucun risque pour l’eau potable.

Au point où, en 2005, le Congrès américain exemptait la fracturation de la Loi sur la qualité de l’eau potable (Safe Drinking Water Act, en vigueur depuis 1974). Du coup, plus aucun projet de forage pour du gaz naturel, quels que soient les produits chimiques utilisés, n’avait à se soumettre à une étude sur les impacts que cela pourrait avoir sur l'eau potable.

Les opposants à ces forages, eux, prétendent que l’EPA avait « négocié » avec l’industrie avant la publication de son rapport. L’EPA aurait renoncé à obliger l’industrie du gaz à dévoiler sa « recette chimique », si l’industrie s’engageait à en retirer le carburant diesel : on s’inquiétait en particulier de la présence de benzène, un composé fortement cancérigène. Ce fut le « Diesel Agreement » de décembre 2003. L’EPA n’a toutefois aucun pouvoir pour vérifier s’il est respecté.

L’entente a été brandie par les écologistes depuis deux ans, lorsque des histoires de puits contaminés au benzène se sont multipliées dans des régions où on pratique des forages : notamment en juin 2009, dans le comté de Sublette, Wyoming —qui accueille pas moins de 6000 forages—ainsi qu’au Colorado, au Nouveau-Mexique et en Pennsylvanie, entre autres.

Quand la maison explose

Depuis 2009 aussi, un chiffre non officiel circule : plus d’un millier de cas de contamination, impliquant tantôt un produit toxique suspect, tantôt du méthane, un gaz près duquel il vaut mieux ne pas allumer un briquet. Peut-on associer hors de tout doute ces incidents à la prolifération des forages pour du gaz de schiste? Non, parce que des puits contaminés et du méthane, ça fait partie des risques inhérents à la nature, avec lesquels vivent les agriculteurs depuis la nuit des temps.

Ici et là toutefois, quelques études sont parvenues à tracer un tel lien. L’une d’elles, publiée en septembre 2008 par le ministère des Ressources naturelles de l’Ohio, a conclu que l’explosion d’une maison à Bainbridge, Ohio, neuf mois plus tôt, était le résultat direct des forages : la fracturation de la roche a « poussé » le méthane —présent naturellement à cette profondeur— jusqu’à la nappe phréatique. L’eau du robinet, ont constaté les enquêteurs, contenait tellement de méthane qu’il a suffi d’une étincelle pour tout faire sauter.

Une autre étude est allée beaucoup plus loin au Colorado, en analysant pendant trois ans la signature moléculaire des émanations de méthane, ce qui lui a permis de déterminer qu’il ne s’agissait pas de méthane de surface —un des arguments de l’industrie du gaz— mais de méthane provenant de la couche géologique d’où est extrait le gaz de schiste.

Cette étude, parue en décembre 2008, met aussi à mal une autre théorie favorisée par l’industrie, à savoir que le méthane emprisonné à des centaines de mètres de profondeur serait incapable de « migrer » vers le haut —c’est-à-dire vers la nappe phréatique, ou jusqu’aux puits des résidents— en si peu de temps. Au contraire, ce que suggère cette étude, c’est qu’à mesure que le nombre de forages augmente, le nombre d’opportunités pour le méthane augmente aussi. Le fait que le bétonnage de plusieurs puits de forage laisse à désirer, comme les enquêteurs l’ont constaté en Pennsylvanie, accroît les risques de telles fuites.

Et les produits toxiques?

Reste que s’il est difficile de démontrer un lien entre méthane et forages, ça l’est plus encore avec les produits toxiques, tant qu’on ne saura même pas quels sont les produits utilisés pour la fracturation de la roche.

Quant à obliger l’industrie à dévoiler ce petit secret, même un certain Dick Cheney s’y est vigoureusement opposé, d’abord comme PDG de la multinationale Halliburton, qui a développé la technologie de la fracturation hydraulique, puis comme vice-président des États-Unis, qui a recommandé dès 2001 que la fracturation hydraulique soit exemptée de la loi sur la qualité de l’eau potable. Comme quoi il est utile d’avoir des amis haut placés...

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