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L’une des grosses inquiétudes derrière l’extraction du gaz de schiste, c’est la possibilité que ça contamine l’eau. L’inquiétude est accrue par le fait que l’industrie refuse généralement de dévoiler la liste des produits toxiques qu’elle injecte sous la terre. Sauf que pour la première fois, une agence américaine serait sur le point d’obliger l’industrie du gaz naturel à lever ce secret.

L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) annonçait en effet jeudi dernier, 9 septembre, avoir demandé aux neuf géants du domaine de révéler les détails de la « recette chimique » qu’ils injectent là-dessous. Les compagnies ont 30 jours pour répondre.

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Un rappel : la technologie appelée « fracturation hydraulique » —qui permet d’extraire à moindre coût le gaz de schiste— consiste à injecter des tonnes d’eau dans la roche de schiste, accompagnées de sable et de produits chimiques (voir L’ABC du schiste). Or, bien que cette technologie se répande comme une traînée de poudre depuis 10 ans, elle n’a jamais fait l’objet d’études d’impact sur les nappes d’eau souterraines. Et l’industrie est soumise à très peu de surveillance (voir L’ABC du schiste : De l’eau dans le gaz).

Ces deux dernières années, la multiplication des histoires de puits contaminés et de forages apparemment bâclés, notamment en Pennsylvanie et au Colorado, ont toutefois mis de la pression. En mars 2009, l’EPA entamait pour la première fois une enquête sur la qualité de l’eau, dans le village de Pavilion, Wyoming. Son rapport final, déposé le mois dernier, confirmait que l’eau de 11 des 17 puits des résidents contenait entre autres du 2-butoxyéthanol (2-BE), un composé hautement cancérigène. Ainsi que de l’arsenic, du cuivre et d’autres métaux.

En février dernier, un comité du Congrès américain révélait que deux des géants de l’industrie, Halliburton et BJ Services, avaient continué d’utiliser, dans leurs opérations de fracturation, du benzène et autres hydrocarbures entre 2005 et 2007.

Ce printemps, le ministère de l’Environnement de la Pennsylvanie a dressé une liste de près de 80 substances, allant du banal (acide citrique) au moins rassurant (ammoniac).

Suspect numéro 1

Enfin, en septembre 2009, un rapport du ministère de l’environnement de l’État de New York allait encore plus loin : une énumération de pas moins de 260 substances utilisées par les compagnies de gaz naturel, leurs fournisseurs ou leurs contractants. La liste est inquiétante à souhait, mais laisse sur sa faim : parce qu’il s’agit des forages en général, il est parfois impossible de savoir quelles substances sont spécifiquement employées pour la fracturation, et même quand on le sait, on ignore par quelles compagnies, dans quels endroits et en quelle quantité.

En réaction, l’État de New York a déclenché des audiences publiques l’automne dernier, et sa Chambre des représentants a décrété un moratoire sur tout nouveau forage le 4 août (un moratoire temporaire avait été institué dès juillet 2008, à la suite d’une série de reportages). Il faut savoir que la ville de New York, forte de ses 9 millions d’habitants, puise son eau potable dans une région visée par l’exploitation du gaz de schiste.

La compagnie albertaine EnCana, responsable des forages à Pavilion, tout comme les compagnies pointées du doigt dans les autres histoires de contaminations, nient toute responsabilité, alléguant que tous ces composés chimiques pouvaient être déjà là, soit à l’état naturel dans le sol, soit dans les produits de nettoyage des résidents, soit le résultat d’épandages agricoles (cette dernière hypothèse a toutefois été facile à écarter dans le cas de Pavilion et de ses 160 habitants).

Un autre argument important de l’industrie, c’est que le fluide toxique ne représente que 0,5% de ce qui est injecté sous la terre pour fracturer la roche de schiste —contre 4% de sable et 95% d’eau. Un rapide calcul révèle toutefois qu’à raison de 10 millions de litres d’eau par fracturation, multiplié par quelques fracturations par puits, multiplié par quelques puits par région, ça peut faire beaucoup.

Ça peut en faire tellement, qu’à ce stade de l’opération, ce ne sont plus seulement les nappes d’eau souterraines qui inquiètent, mais cette eau qui, après avoir été injectée à des centaines de mètres de profondeur, remonte par le puits de forage en même temps que le gaz, chargée de cette soupe toxique : les compagnies assurent prendre les moyens nécessaires pour se débarrasser de cette eau « usée » de manière sécuritaire (ou la réutiliser), mais peu d’États américains y veillent. Le Nouveau-Mexique a essayé en 2008, mais a reculé devant le lobbying des compagnies.

Une étude plus englobante

L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) avait mené jusqu’ici une seule étude d’impact sur l’extraction de gaz de schiste, en 2004. Elle y concluait que la fracturation ne présentait aucun danger pour l’eau souterraine, mais ses critiques avaient eu beau jeu de dénoncer que l’étude n’avait été publiée qu’après « négociations » avec l’industrie, et qu’elle ne concernait qu’un type de fracturation dans un type de roche. L’an dernier, l’EPA a reçu instructions de Washington de réétudier la question : c’est dans ce contexte qu’elle a envoyé la semaine dernière cette lettre aux neuf compagnies.

La nouvelle recherche de l’EPA —en dépit du fort scepticisme que manifestent à son égard les groupes écologistes américains— promet aussi d’être plus englobante, s’intéressant à l’impact de la fracturation sur l’environnement et la santé, mais aussi à l’impact de certaines activités connexes : la récupération ou non des eaux usées, par exemple. Le rapport final n’est toutefois attendu qu’à la fin de 2012.

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