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Qu’y-a-t-il après la chute ? Seule la fiction peut répondre sans se tromper — puisque c’est de la fiction. Un spécialiste québécois, Sylvain David, se penche sur L’imaginaire de l’après, dans la littérature.

Le professeur du Département d'études françaises de l'Université Concordia travaille sur son second ouvrage sur le sujet. L’ASP l’a rencontré pour en connaître plus sur ces pages mal connues de la littérature d’hier et d’aujourd’hui.

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Agence Science-Presse - Qu’est-ce que L’imaginaire de l’après ?

Sylvain David - C’est ce que vivent les survivants. Cela situe d’emblée que tout est joué. Ce n’est pas le récit d’apocalypse — car ce n’est plus la peine d’en parler — c’est la suite. J’ai mis le doigt dessus lorsque j’ai écrit ma thèse sur Emil Cioran, l’auteur de Précis de décomposition. Lors de la guerre froide, les années ’50 et ’60, le sentiment partagé, dans le monde occidental, est que le monde court à sa fin. À la fin des années ’70, nous passons tout à coup à l’après, sans avoir décrit la fin de ce monde. On tient la catastrophe pour acquise. Les récits sur l’imaginaire de l’après se multiplient. Ces livres reflètent notre histoire contemporaine, où le progrès et la science ne semble pas parvenu à nous conduire vers la félicité mais plutôt dans une période de vide, de solitude et de désabusement.

ASP - Quelles représentations en avons-nous dans la littérature ?

Sylvain David - On en trouve dans toutes les formes de fictions. Il n’y a qu’à relire Samuel Beckett, par exemple. Ses héros s’enlisent dans un présent sombre, où la période heureuse n’est plus qu’un souvenir et ils gèrent leur décomposition. Antoine Volodine est l’exemple parfait de ce courant. Tous ces récits se déroulent dans les ruines ou en prison où végètent d’anciens combattants. C’est sans doute l’univers le plus pur, celui qui symbolise le mieux l’immense désillusion de l’Occident. Les critiques soutiennent que ce mouvement apparaît dans les années ’80, suite à la publication de La Condition post-moderne du philosophe français Jean-François Lyotard (1979) mais on peut faire ce constat dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, ou avant, car les personnages de Sartre témoignent de ce déclin et de ce vide, dès 1930.

ASP - S’il n’y a rien à raconter, alors pourquoi écrire ?

Sylvain David - Le « malgré tout » est fascinant. Le postulat de l’après s’avère une pensée réflective. Les ouvrages de Cioran combinent toutes les mythologies possibles. Cela part de la Genèse, et du paradis perdu lorsque l’homme croque la pomme, en d’autres mots, la recherche de la connaissance qui nous éloigne du bonheur. Quand plus rien ne reste, il reste l’ironie amère. Ce sont des auteurs très drôles, de grands désespérés qui s’amusent avec l’idée de la chute et du néant.

ASP - Ce courant sanctionne-t-il le progrès et la science ?

Sylvain David - Les plus grandes remises en question du progrès se lisent dans les essais, pas dans la fiction. Les effets pervers de la marche au progrès, c’est devenu un lieu commun. Depuis l’époque des Lumières, où on a remis en question l’autorité du Roi et de la religion, on prétend bâtir une société plus juste et éloigner les dangers de la nature. Certains y croient encore aujourd’hui. Mais il y a de nombreux effets pervers de cette marche au progrès : les plus grands sont sans doute la guerre mécanisée et ses horreurs.

C’est le crash des grands récits de la modernité, que nous rappelle Jean-François Lyotard. Mais en fait, c’est faux, il reste un grand récit de la modernité, celui du néolibéralisme. C’est ce qu’on retrouve dans Houellebecq. L’individualisme, la science personnalisée, le clonage, etc., cet écrivain explore notre monde moderne — où ce qu’il tend à devenir — avec cette vision noire et désenchantée.

ASP - Comment prend corps le monde de l’imaginaire de l’après ?

Sylvain David - Les micro-récits remplacent les grands récits. Il y a un retour sur l’individu et la famille. Toute la place est faite aux petites histoires, pas à la grande Histoire. Des héros familiers, pas de véritables héros. Il y a aussi un effet de discours (post-ci ou post-ça). Les bons écrivains parviennent à amalgamer des causes (environnement, terrorisme, changements climatiques, etc.) mais sous forme de métaphores et de suggestions. Ce qui reste intéressant, c’est l’après : comment l’homme survit-il dans un monde où tout est détruit, avec un sentiment de grisaille ou de désillusion. No future, dit le slogan. Comment le vit-on ? C’est le point de départ d’un bon roman sur le sujet.

ASP - Vous appartenez au Centre de recherche Figura...

Sylvain David - C’est un regroupement de chercheurs en études littéraires, cinéma et arts qui travaillent sur l’imaginaire dans la littérature contemporaine. Nous partageons des projets. Il y a ainsi un groupe sur les liens entre l’économie et la fiction. Nous organisons des ateliers et des colloques assez régulièrement sur de nombreux thèmes qui font le pont entre littérature et imaginaire.

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