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Le Protocole de Kyoto était une bonne idée dans les années 1990. Est-il dépassé aujourd’hui?

Depuis au moins six ans, les Conférences des Nations Unies sur les changements climatiques bloquent sur un hypothétique «Kyoto deux». Au coeur du désaccord, deux positions irréconciliables:

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  • les signataires du premier Kyoto, dont les États-Unis (qui se sont engagés à des réductions de gaz à effet de serre d’ici 2012),
  • versus les non-signataires, dont la Chine.

Les États-Unis refusent une entente dont la Chine ne ferait pas partie, la Chine refuse une entente qui ferait porter un fardeau trop lourd sur les pays pauvres.

Ce à quoi il faut ajouter que plusieurs signataires, dont les États-Unis et le Canada, n’atteindront pas leurs cibles en 2012, ce qui ne les incite pas beaucoup à accepter des cibles plus contraignantes pour 2020.

Quand Nature propose d’abandonner Kyoto

Quand on en est rendu au point où même la revue scientifique Nature, dans son dernier éditorial, suggère de laisser tomber ce processus de négociations pour passer à autre chose, c’est que la crédibilité du processus est tombée très bas.

Un des buts de Kyoto était de grignoter légèrement les émissions [de gaz à effet de serre] dans une perspective d’une plus grosse bouchée à venir. Sans les deux plus gros pollueurs —les États-Unis et la Chine— ça semble maintenant impossible. Un autre but était la mise en place d’un prototype d’architecture internationale pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Sans les deux plus gros pollueurs, ça semble maintenant inutile.

Pour l’auteur et chercheur en droit environnemental Elliot Diringer, qui intervient plus loin dans Nature (texte réservé aux abonnés), le Protocole de Kyoto est devenu «davantage un fardeau qu’un outil». Il est utopique d’imaginer que 194 pays, chacun à un niveau différent de développement et chacun avec des priorités différentes en matière d’énergie, puissent s’entendre sur des cibles communes. Mieux vaut plutôt, dit-il, soutenir les démarches nationales:

Une prémisse de l’expérience Kyoto était que des engagements internationaux contraignants mousseraient les efforts de chaque pays. Mais il y a peu de faits démontrant que ce soit vrai, en dehors de l’Europe, où l’inquiétude face aux changements climatiques était déjà à son plus fort. Un contre-exemple est le Canada, où les émissions sont maintenant de 17 à 30% au-dessus des niveaux de 1990 (tout dépendant si on calcule les émissions terrestres), en dépit d’un engagement contraignant à les réduire de 6%.

Là où des efforts nationaux ambitieux ont émergé, deux autres facteurs semblent avoir pesé plus lourd: la volonté politique et l’économie.

Diringer poursuit avec l’exemple australien: l’ancien gouvernement était tout aussi réticent que le Canada mais le nouveau, minoritaire, vient de lancer la première bourse au carbone. Et l’exemple chinois: ce pays a tant investi dans les énergies vertes qu’il produit à présent près de 50% des éoliennes et des panneaux solaires de la planète.

Négocier deux par deux plutôt qu’à 194

Le Britannique David King va dans la même direction.

En 2003, la Grande-Bretagne est devenue la première à annoncer —volontairement— qu’elle réduirait ses émissions de carbone, de 60% d’ici 2050. Dans mon ancien rôle de conseiller scientifique [du premier ministre], j’ai voyagé à travers le monde pour parler de cet engagement, le présentant comme un élément de négociation. L’idée était d’encourager les gouvernements étrangers à suivre notre exemple et à annoncer leurs propres cibles volontaires.

Depuis, dit-il, 85 pays ont annoncé de tels engagements volontaires —bien qu’il ne mentionne pas que ces engagements sont loin d’avoir tous la même valeur. Le plus contraignant est sans doute celui de l’Union européenne, qui oblige ses 27 États-Membres à réduire leurs émissions de 20% (par rapport à 1990) d’ici 2020.

C’est ce qu’il appelle une négociation «deux par deux», plutôt qu’une qui tenterait d’embarquer dans le train 194 pays à la fois.

Kyoto n'a pas été inutile, mais a fait son temps

Ceux qui critiquent le Protocole de Kyoto ne prétendent toutefois pas qu’il s’agissait d’une fausse piste. Kyoto a obligé une trentaine de pays à admettre que le réchauffement climatique constituait un grave problème. Il a accéléré les investissements dans les énergies vertes.

Selon David King et Achim Steiner, Kyoto est mort en 2009, lors du quasi-échec de la Conférence de Copenhague. Et pourtant écrivent-ils, depuis 2009, davantage a été accompli «à travers des ententes nationales et volontaires de réductions d’émissions de carbone que pendant les 15 années de négociations depuis Kyoto .

La ligne de danger: deux degrés Celsius

Cela dit, même si Kyoto devait être miraculeusement ressuscité pendant la Conférence de Durban, les engagements internationaux actuels seraient insuffisants pour empêcher que la hausse de température globale ne dépasse les deux degrés (par rapport au XIXe siècle) dans les prochaines décennies. Les engagements informels annoncés à Copenhague en 2009 n’y suffiraient pas non plus.

Les scientifiques arrivent à ces certitudes en calculant le CO2 qui continue d’être pompé dans l’atmosphère (on en est à 390 parties par million), et le CO2 qui s’ajoutera dans les prochaines années, à mesure qu’entreront en opération les nouvelles centrales au charbon (en Chine, en Inde...), le parc automobile et le reste.

Or, dans cette perspective, c’est plutôt à une augmentation de trois degrés et demi qu’il faut s’attendre, selon le rapport annuel de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Car si la tendance se maintient, y lit-on, les émissions de CO2 augmenteront de 20% d’ici 2035.

Sans un changement de direction radical, le monde s’enfermera lui-même dans un système d’énergie à base de carbone insécure et inefficace.

Pourquoi une ligne à ne pas franchir?

Une autre façon de calculer cette augmentation: au rythme actuel de 2 nouvelles parties par million (PPM) de CO2 dans l’atmosphère, notre planète atteindra le seuil critique des 450 PPM dans moins de 30 ans.

Pourquoi cette inquiétude sur la ligne des deux degrés ou des 450 PPM? Parce qu’il s’agit d’une limite au-delà de laquelle les prévisions des climatologues entrent dans leur zone d’incertitude: il y aura nécessairement davantage de sécheresses, mais où? Une fonte accélérée de la calotte glaciaire, mais à quel rythme? Des inondations catastrophiques, mais où et quand?

Aucune science ne peut répondre à ces dernières questions. Mais personne ne sera heureux d’entendre «on vous l’avait bien dit» quand ça arrivera.

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