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RALEIGH - Pendant qu’une partie d’Internet virait au noir mercredi, en protestation contre deux projets de loi déposés à Washington, un troisième projet de loi passait inaperçu. Les éditeurs scientifiques ont eux aussi lancé une contre-attaque.

Écrivant dans The Guardian de Londres le 16 janvier, le Britannique Mike Taylor, de l’Université de Bristol, a qualifié le projet en question de «déclaration de guerre» de la part des éditeurs scientifiques. Son nom: le Research Works Act (RWA). S’il était adopté par les élus de Washington, il aurait des répercussions jusque de l’autre côté de l’Atlantique.

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Dans le cas des autres deux projets de loi —SOPA et PIPA— qui ont provoqué ce black-out de 7000 sites mercredi —et qui ont été retirés devant cette vague de protestations— l’enjeu était la lutte à la «piraterie» sur Internet. Avec le RWA, enjeu similaire —la défense de la propriété intellectuelle— mais dans un contexte méconnu du grand public: l’accès gratuit à la science.

La science pour tous

Un rappel. Depuis 20 ans, les défenseurs du mouvement d’accès libre, ou science ouverte (open access ou open science) ont progressé à grandes enjambées: à l’image du logiciel libre, ils réclament que toutes les recherches publiées soient accessibles gratuitement, plutôt que d’être réservées aux abonnés des revues (comme Nature ou Science).

Internet aidant, d’autres revues (comme les Public Library of Science) sont nées, pour ne publier que des recherches accessibles à tous. Plus récemment, des organismes subventionnaires ont décrété qu’une recherche financée par eux devrait désormais être publique. C’est la politique du principal organisme subventionnaire en santé des États-Unis, les NIH (National Institutes of Health): depuis 2008, une recherche ayant bénéficié des sous du NIH doit être accessible à tous, 12 mois après sa première publication.

Or, le RWA, déposé par deux élus américains le 16 décembre, ébranlerait cette politique. On y lit qu’aucune agence fédérale (comme le NIH) ne pourrait adopter une politique qui...

...cause, permet ou autorise la dissémination de tout travail de recherche du secteur privé sans l’autorisation préalable du diffuseur de ce travail.

En termes clairs: toute recherche financée par le NIH et le secteur privé se trouverait du coup écartée de l’espace public, à moins que le «diffuseur» —les revues— ne l’autorise.

L’éditeur néerlandais Elsevier, le plus gros du domaine (Cell, The Lancet, et des centaines d’autres revues) a donné son appui au Research Works Act. Il se trouve qu’il est aussi un généreux donateur des deux élus qui parrainent le RWA. Commentant sur le blogue de Michael Eisen, fondateur de Public Library of Science, le porte-parole d’Elsevier s’est défendu:

La politique gouvernementale qui oblige des produits d’information relevant du secteur privé à être offerts gratuitement mine la capacité de l’industrie à rentabiliser ses investissements.

La plupart des grandes revues scientifiques restent en effet accessibles uniquement par abonnement... et s’en portent très bien. Les obliger à rendre leur contenu gratuit ne leur plaît donc pas, et certaines ont une plus grosse force de frappe que d’autres.

«Ça revient aux chercheurs de décider où ils vont envoyer leurs articles», a réagi en entrevue, pendant le congrès Science Online , Jean-Claude Bradley, de l’Université Drexel, l’un des promoteurs les plus actifs d’une ouverture à la totalité des données.

Les bibliothécaires appuient les scientifiques

Dans le même camp, on trouve de nombreux bibliothécaires. En juin 2010, les bibliothèques de l’Université de Californie menaçaient de boycotter les 67 revues du groupe Nature, si celui-ci ne renonçait pas à l’augmentation de 400% de ses tarifs d’abonnement.

Le 4 janvier, la bibliothécaire médicale Lisa Federer, de l’Université de Californie, décochait quelques flèches :

Entre 2000 et 2009 par exemple, les revenus des deux principaux éditeurs biomédicaux ont augmenté de 138%. Leurs profits en 2009 étaient de 1,241 milliard$. (...) [Nos bibliothèques] font des coupes à gauche et à droite —dans les ressources, les employés, les heures d’ouverture— pendant que les éditeurs font des profits records.

Mais pour inciter Wikipédia et 7000 autres sites à protester contre le RWA comme ils l’ont fait cette semaine contre les deux autres projets de loi, il faudra aux scientifiques se lever de bonne heure. Pendant les trois jours du congrès Science Online, qui réunit les plus actifs et les plus militants des blogueurs de science du monde anglophone, il n’a pratiquement jamais été question du RWA. Le sujet n’a pas non plus suscité de sursaut d’intérêt dans les volumineux échanges sur Twitter.

L’un des participants au congrès, le biologiste marin Kevin Zelnio, a pondu le 6 janvier un appel à la mobilisation sur son blogue. Les chercheurs sont également invités à envoyer une lettre annonçant aux revues soutenant le RWA que les chercheurs cesseront de faire pour elles de la révision par les pairs, tant qu'elles appuieront le RWA.

La mobilisation risque d’être d’autant plus difficile que même les plus jeunes doivent souvent être informés de ce qu’est le mouvement d’accès libre, explique Jean-Claude Bradley, qui donnait un atelier là-dessus au congrès.

C’est une question de tradition. La plupart des chercheurs, c’est comme ça qu’ils ont appris à faire la science, ils ne voient pas pourquoi ils la feraient différemment. Ils répètent ce qu’ils connaissent, aussi longtemps qu’ils ne sont pas poussés pour agir autrement.

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