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Une étude sur la grippe, consistant soi-disant en la création d’une souche capable de tous nous tuer, a fait beaucoup jaser. Mais peut-être pas pour les bonnes raisons.

La nouvelle est d’abord sortie dans le quotidien britannique The Independant : le virologiste Yoshi Kawaoka, de l’Université du Wisconsin à Madison, aurait «délibérément créé une souche pandémique de la grippe capable d’échapper au système immunitaire humain». D’autres médias en ont ajouté: il s’agirait d’une variante de la grippe espagnole de 1918 capable de résister aux vaccins. Du coup, les qualificatifs «irresponsable» et «cinglé» ont déferlé dans les médias sociaux.

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Or, la recherche ne consiste pas en la création d’une nouvelle grippe, et n’est pas liée non plus à celle de 1918, mais plutôt à celle de 2009.

Le travail, qui n’a pas encore été publié, porte sur l’évolution que pourrait possiblement connaître une souche actuelle de la grippe. En entrevue au New Scientist , Kawaoka explique avoir exposé celle-ci aux réactions immunitaires qu’elle suscite chez des humains et des animaux, afin de voir quelles versions mutantes en émergent. Soit le même type de travail, dit-il, «qui est fait depuis plus de 30 ans, afin d’aider à la sélection des vaccins».

Un rappel: la grippe évolue constamment et, à la différence de bien des maladies infectieuses, elle évolue très vite. C’est la raison pour laquelle le vaccin d’une année est rarement valable l’année suivante. Notre système immunitaire peut reconnaître le virus et le combattre, mais pas tout à fait. À l’occasion, ce «pas tout à fait» se transforme en «pas du tout»: certaines souches de la grippe évoluent en une version beaucoup plus virulente, et ce sont celles qui sont passées à l’histoire. Comme la grippe espagnole qui a tué au moins 40 millions de personnes au lendemain de la Première guerre mondiale. Le plus récent événement a été la pandémie de grippe porcine H1N1, en 2009.

Or, comme il faut plusieurs mois pour concevoir un nouveau vaccin, une des tâches des virologistes consiste à essayer de prévoir les coups: quelle sera la version la plus virulente l’hiver prochain ou du moins, quelles variantes du vaccin permettront de s’attaquer aux mutations les plus probables. Et ces mutations, il faut donc les tester en laboratoire.

Le problème dans la situation actuelle, c’est que la recherche n’a pas encore été publiée, empêchant donc d’autres virologistes d’en évaluer les données. Et Yoshi Kawaoka souffre d’un déficit de crédibilité parmi ceux qui s’inquiètent de ce type d’expériences: son nom est déjà ressorti à deux reprises ces dernières années dans de semblables histoires, puisque la présente recherche s’inscrit dans un projet à plus long terme. En 2011-2012, il était le co-auteur d’une parmi deux études sur ce qui était bel et bien une nouvelle version de la grippe aviaire H5N1 créée en laboratoire et qui s’avérait hautement transmissible entre des furets. Dans l’arbre généalogique des espèces, cela signifiait que la transmission entre humains était théoriquement possible. La recherche avait en effet démontré que seul un tout petit nombre de gènes déterminait le fait que le virus puisse devenir transmissible entre mammifères.

À l’époque, ces deux études, l’une à l’Université du Wisconsin l’autre aux Pays-Bas, avaient été accompagnées d’un débat politique et scientifique, sur la légitimité de les publier, au risque que des bioterroristes n’y découvrent une «recette» —et à l’inverse, sur la légitimité de les censurer, empêchant du coup d’autres scientifiques de découvrir un «antidote». Les recherches avaient finalement été publiées.

La véritable controverse tourne donc autour du secret:

  • le secret qu’impose d’ordinaire une revue scientifique tant que la recherche n’a pas été publiée;
  • et le secret qui entoure, dans le présent cas, la décision de l’organisme subventionnaire américain qui a approuvé ce travail.

Selon un reportage de la revue Nature , l’Université du Wisconsin elle-même semble incertaine: elle a d’abord affirmé que la recherche ne répondait pas aux critères imposés à un projet susceptible de nuire à la santé publique; avant que l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, qui finance ce projet depuis 2009, ne révèle qu’il était au contraire mené en accord avec les nouvelles règles américaines de 2012 sur la biosécurité. Ces nouvelles règles sont d’ailleurs nées du débat de 2011-2012 sur la légitimité de publier ou non.

Pour l’instant, on n’en sait guère plus sur les dernières avancées à l’Université du Wisconsin. Le système de double vérification —l’université d’un côté, l’organisme subventionnaire de l’autre— rassure les uns mais laisse avec un doute tant que la communauté des virologistes n’aura pas pu plonger son nez dans les nouvelles données.

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