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Au milieu des félicitations entourant la remise du Nobel de médecine 2014, un chiffre n’est pas passé inaperçu: seulement 10 femmes avaient reçu le Nobel de médecine depuis 1901. En voici une onzième.

May Britt-Moser est professeur de neurosciences à l’Université norvégienne de science et de technologie à Trondheim et à l’Institut Kavli des neurosciences, où elle dirige le Center for Neural Computation.

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C’est avec son collègue Edvard Moser, qui se trouve aussi à être son mari, qu’elle partage la moitié du Nobel 2014 pour leur découverte en 2005 d’un élément-clef qui, dans le cerveau des rongeurs —et dans le nôtre— nous permet de nous orienter: le «GPS du cerveau», comme l’a résumé le Comité Nobel. L’autre moitié du prix va cette année au Britannique John O’Keefe, qui avait tracé la voie 34 ans plus tôt.

Un couple nobélisé donc —c'est la quatrième fois en 114 ans, tous Nobels confondus— qui travaille dans la même université, sur les mêmes projets de recherche et est devenu conjointement célèbre à travers les années. «Ils fonctionnent comme un seul cerveau», écrit le journaliste de la revue Nature dans un portrait consacré au couple Moser, qui devait initialement paraître dans la prochaine édition du magazine.

Le secret d’un couple qui, depuis 30 ans, parle de neurosciences même au petit déjeuner? «Nous avons les mêmes souhaits, nous aimons la connaissance, nous pouvons en discuter à chaud lorsque nous avons une idée, plutôt que d’attendre une réunion», résume ce matin May Britt-Moser. Et l’article ajoute qu’il s’est fait une division naturelle du travail, chacun profitant des forces de l’autre... et évitant d’aller perdre son temps dans une réunion si l’autre y est déjà.

Un GPS dans les neurones

Le Nobel récompense donc cette année «le GPS que nous avons dans le cerveau». John O’Keefe, aujourd’hui au Collège universitaire de Londres, avait tracé la voie en 1971, en identifiant dans le cerveau des rats des neurones (appelés cellules de lieu) qui, dans la région du cerveau nommée l’hippocampe, étaient toujours activés lorsque le rat était à un endroit précis de la pièce. O’Keefe en avait conclu qu’il devait y avoir dans notre matière grise un ensemble de cellules qui, prises conjointement, dessinaient une sorte de carte de la pièce.

Poursuivant sur cette lancée, le couple Moser a identifié entre 2002 et 2005 un deuxième type de neurones dans le cerveau des rats (cellules de grille), qui forment, eux, un système de coordonnées permettant de se repérer dans l’espace.

Mais le travail n’est pas fini, écrivaient-ils en 2013:

Depuis ce temps, nous avons continué d’explorer comment fonctionnent les cellules de grille, comment elles sont générées et comment elles interagissent avec les autres cellules de lieu. Il y a encore beaucoup à découvrir.

Tous deux ont grandi dans la même région de Norvège et se sont connus à l’Université d’Oslo en 1983, racontent-ils.

Sans plan de carrière, avec des parcours scientifiques différents, nous nous sommes rencontrés dans un cours de premier cycle en psychologie. La psychologie a renforcé et attisé notre fascination pour le cerveau et nous avons conjointement décidé de chercher ce que nous pourrions apprendre sur les bases neuronales du comportement.

Un programme en neurosciences n’existait pas à l’époque, du moins en Norvège, mais un professeur sans doute plus inspiré que les autres leur donna un numéro de 1979 du Scientific American sur le cerveau, qui fut la bougie d’allumage. Ça les conduisit, à présent un couple dans la vie, auprès de Per Andersen, le plus célèbre neurophysiologiste norvégien.

Nous nous sommes assis avec lui pendant des heures, tentant de le persuader de nous prendre comme étudiants gradués. Il ne pouvait pas nous faire sortir de son bureau, et nous n'acceptions pas un Non comme réponse.

À travers Andersen, ils rencontrèrent deux autres chercheurs qui allaient devenir des mentors, dont un était nul autre que John O’Keefe. Après leur doctorat en 1995, ils passèrent quelques mois avec lui à en apprendre davantage sur ces étranges neurones de positionnement, avant qu’une offre d’emploi ne les ramène en Norvège, à Trondheim, où ils ont créé à partir de zéro un laboratoire d’étude de l’hippocampe. Qui a depuis beaucoup grandi : aujourd'hui, autour de ces modestes cellules de lieu et de grille, s’est construit une immense réflexion sur la façon dont nous nous définissons, dans le temps et dans l’espace, aux frontières des neurosciences, de la psychologie et de la philosophie.

Quant au si petit nombre de femmes nobélisées... À la défense du Comité Nobel, on peut noter que sur les 11 femmes qui ont remporté le Nobel de médecine entre 1901 et aujourd’hui (le Nobel peut être remis à trois personnes), cinq l’ont remporté depuis 10 ans, un signe que le vent est peut-être en train de tourner. Mais il aura fallu du temps, et il existe même un livre à ce sujet: Nobel Prize Women in Science: Their Lives, Struggles and Momentous Discoveries . Certes, les universités de la première moitié du XXe siècle étaient essentiellement un monde d’hommes et pourtant, la croissance notable du nombre de femmes en sciences à partir des années 1970 ne s’est pas traduite dans les Prix Nobel, écrivait la statisticienne Stephanie Kovalchik en 2010. «Ceci tend à confirmer l'existence d'un biais», pour ceux qui en douteraient, ajoute-t-elle.

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