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La semaine dernière, l’Association américaine des psychologues (APA) a pris une position très ferme contre la torture. Ce faisant, elle est entrée au... 17e siècle.

Au cours de son dernier congrès, qui avait lieu cette année à Toronto, une résolution a en effet été votée le 7 août. À l’unanimité moins une voix, elle interdit à tout psychologue de participer à « des interrogatoires de sécurité nationale », de travailler à la prison de Guantanamo, dans des sites secrets de la CIA ou dans des lieux jugés illégaux en vertu de la convention de Genève contre la torture.

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Il a fallu du temps aux psychologues pour en arriver là : cela fait 10 ans que certains membres dénoncent ce silence de l’APA, la plus grosse association de psychologues au monde, un silence face aux accusations de collusion avec l’armée américaine dans des actes de torture. L’indignation a monté de plusieurs crans l’hiver dernier avec la parution d’un rapport du Sénat américain de 6000 pages, qui identifiait des actes de torture —et qui pointait aussi du doigt la participation de médecins et de psychologues.

Le dernier élément au dossier a été la parution, en juillet, d’un rapport de 500 pages commandé par l’APA et qualifié de dévastateur pour la réputation de la profession: non seulement le Rapport Hoffman décrit-il le rôle joué par des psychologues dans la «guerre à la terreur» des États-Unis mais il souligne surtout le rôle joué par l’APA elle-même en entretenant le silence sur ces pratiques. L’avocat David Hoffman y conclut que les dirigeants de l’APA, désireux de rester dans les bonnes grâces du ministère américain de la Défense, ont volontairement publié des directives floues sur les interrogatoires —tout en tentant de convaincre le public qu’ils étaient préoccupés par les questions éthiques.

L’APA voulait soutenir la croissance de la profession de psychologue en soutenant les psychologues militaires, plutôt qu’en restreignant leur travail d’une quelconque façon.

L’Association avait commandé ce rapport pour répondre aux accusations dont certaines remontaient à 2005 : cette année-là, en réaction à un rapport de la Croix-Rouge sur des cas de torture à la prison de Guantanamo, un comité de travail de l’APA s’était réuni pour juger de la validité des « directives éthiques » aux psychologues impliqués dans l’armée ou la CIA (Psychology Ethics in National Security document). Or, ce comité était composé majoritairement de psychologues de l’armée et conçu sur mesure pour que son rapport ne contienne aucune conclusion dérangeante. C’est grâce à une des membres dissidentes du comité, la psychologue sociale Jean Maria Arrigo, que des informations avaient commencé à filtrer et que des journalistes avaient commencé à enquêter, notamment dans Vanity Fair en 2007.

Un journaliste du New York Times, James Risen, a publié après une enquête de deux ans le livre Pay Any Price en 2014, où il décrit certaines des pratiques secrètes de la CIA et du Pentagone dans l’interrogatoire de prisonniers —ainsi que l’implication alléguée de psychologues.

Parmi les invités au congrès de Toronto, le président de l’association des psychologues britanniques, Peter Kinderman a déclaré en entrevue à l’émission Democracy Now : « les psychologues américains ont rejoint le 17e siècle en répudiant la torture ».

Il sera toutefois difficile à l’association de faire oublier qu’elle a menti au public pendant 10 ans, en discréditant ses critiques et en menant une campagne de désinformation pour dissimuler son rôle dans la torture. Pour l’un des chefs de file du combat contre l’APA, Stephen Soldz, c’est «le plus gros scandale de bioéthique» de l’histoire récente et une tache sur la réputation de la psychologie.

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