La discipline s’appelle la biologie synthétique et, s’il est vrai que des chercheurs à travers le monde rêvent de pouvoir « construire » du vivant, ils n’en sont encore qu’à l’équivalent d’une bactérie. Une équipe de l’Institut Craig Venter a ainsi fait grand bruit en 2010 en annonçant avoir utilisé des bouts d’ADN pour constituer de toutes pièces le génome d’une bactérie. En d’autres termes, l’équipe a fait du copier-coller : elle a pris des fragments d’ADN du microbe A et les a transférés dans un microbe B qui avait été au préalable vidé de son propre ADN. Le « B » s’est alors mis à se diviser et à produire les protéines attendues du « A ».
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On est donc loin de la création de vie à partir de rien comme les critiques de cette rencontre l’ont laissé entendre — et loin d’une forme de vie plus complexe qu’un microbe.
Tenue à l’Université Harvard le 10 mai, cette rencontre réunissait 130 personnes de plusieurs pays : des scientifiques, mais aussi des avocats et des « entrepreneurs ». Elle était co-organisée par le généticien George Church, que l’on entend sur plusieurs tribunes depuis quelques années, par exemple à propos du clonage de mammouths et d'autres espèces disparues. Selon le communiqué émis par les organisateurs, la rencontre avait pour but de « discuter du concept d’un projet international centré sur la synthèse de larges génomes comme du prochain chapitre de notre compréhension du fonctionnement de la vie ».
Pourquoi la tenir derrière des portes closes? George Church a invoqué le fait qu’un article accompagnant cette rencontre, et soumis pour publication à une revue savante, n’aurait pas encore été publié. C’est ce qui l’aurait obligé à vouloir limiter les fuites d’informations pour respecter la politique d’embargo de la revue. Une explication qui en a laissé plusieurs sur leur faim. Notamment Laurie Zoloth, professeur d’études religieuses et de bioéthique à l’Université Northwestern, et Drew Endy, professeur de génie génétique à l’Université Stanford, qui ont signé conjointement un texte d’opinion dans lequel ils en appellent à une discussion plus large et font part de leur scepticisme quant à l’efficacité des outils actuellement développés en biologie synthétique.
Bien que nous soyons d’accord pour dire qu’il est essentiel d’en arriver à des avancées soutenues dans les outils de construction de l’ADN afin de faire progresser les bases des sciences de la vie et améliorer la santé publique, nous sommes sceptiques quant à l’idée que de synthétiser un génome humain soit le véhicule idéal.
Drew Endy est également celui qui, pendant la conférence, a twitté une photographie d’une diapo qui semblait être un message des organisateurs, disant en partie que c’est intentionnellement que les journalistes n’avaient pas été invités, « parce que nous voulions que tout le monde puisse parler librement et candidement sans la crainte d’être mal cités ou mal interprétés ».
Il faut dire que, si la chose devenait vraiment possible, les implications iraient bien au-delà de la quête de l’outil le plus efficace ou des possibilités (encore hypothétiques) de guérir une maladie. Dans les mots de Zoloth et Endy :
Dans un monde où la reproduction humaine est déjà devenue un marché compétitif, avec des ovules, du sperme et des embryons qui peuvent avoir un prix, il est facile d’imaginer des usages encore plus étranges des capacités à synthétiser le génome humain. Serait-il acceptable, par exemple, de séquencer et synthétiser le génome d’Einstein ? Si oui, combien de génomes d’Einstein devraient être faits et installés dans des cellules et qui le ferait ?