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Attendu depuis longtemps, un jugement de la Cour suprême des États-Unis sur le brevetage des gènes a été salué jeudi comme une victoire... par les deux parties. Jugement de Salomon... ou jugement qui n’obtient pas la note de passage en génétique?

«Un segment d’ADN naturel est un produit de la nature et n’est pas admissible à un brevet uniquement parce qu’on l’a isolé» ont écrit les juges, dans une décision unanime, rejetant du coup les prétentions d'une compagnie américaine à posséder deux gènes. En l'occurrence: les deux gènes BRCA, gènes de prédisposition au cancer du sein.

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Un recours collectif avait été déposé en 2009 contre la compagnie américaine en question, Myriad Genetics, celle qui possédait (ou croyait posséder) le brevet sur ces gènes et qui, pour cette raison, détenait un monopole lucratif sur les tests de dépistage de ces gènes.

Or, si le jugement conclut donc que nul ne peut déposer un brevet sur un gène juste parce qu’il a découvert ce gène, le problème ne s’arrête pas là: qu’est-ce qu’un gène «non-naturel»? Le jugement en parle sous la forme d’un gène qui a été modifié en laboratoire, mais comment définit-on le seuil à partir duquel un gène a été modifié?

Cette question, qui semble d’une grande simplicité, ne l’est pas en génétique, et c’est là que l’interprétation de la Cour suprême est à ce point floue que la compagnie Myriad Genetics a pu saluer le jugement comme une victoire.

«La Cour suprême échoue Biologie 101», a-t-on pu lire sur Twitter. «Une de ces situations où ça m’attriste de voir qu’il n’y ait pas un niveau de connaissances plus élevé en biologie parmi les gens», renchérit une biochimiste citée par le magazine Forbes —magazine qui, lui-même, y est allé d’une manchette ambiguë : «La Cour Suprême rejette le brevetage des gènes —en quelque sorte».

Au coeur du problème: la biologie synthétique. Le jugement semble séparer la génétique en deux groupes: l’ADN —les gènes «naturels»— et le cADN, ou ADN complémentaire —soit les gènes créés en laboratoire. «Un technicien de laboratoire crée indéniablement quelque chose de neuf lorsque de l’ADN complémentaire est produit», écrit le juge Clarence Thomas.

Sauf que les généticiens ne voient pas les choses de façon aussi tranchée: d’abord, cADN est un terme déjà utilisé pour désigner une partie d’un gène, et ensuite, la biologie synthétique n’est pas une discipline qui crée un être vivant à partir de rien. Elle utilise des techniques qui existent déjà dans la nature, pour faire ce qui s’apparente davantage à du copié-collé des composants naturels de l’ADN : on déplace ceci, on remplace cela.

D’aucuns ont essayé de vulgariser le dilemme au moyen de métaphores, mais aucune ne semble faire l’unanimité. «Un bâton de baseball n’existe pas avant d’être isolé d’un arbre», a par exemple expliqué l’un des avocats de Myriad Genetics. Sous-entendu: on ne peut pas breveter l’arbre, mais on peut breveter le bâton une fois qu’on l’a isolé. C’est «un produit de l’ingéniosité humaine que de décider où commence et où finit le bâton.» Contre-argument du juge en chef John Roberts : «vous ne regardez pas un arbre en disant, il faut que je coupe ici et là et soudain, j’ai un bâton de baseball. Vous devez l’inventer.»

À court terme, les avis semblent également partagés sur l’impact de cette décision: le rythme de demandes de brevets sur des gènes a considérablement ralenti, même aux États-Unis, après l’engouement des années 1990 —et l’achèvement du séquençage du génome humain. Quant aux véritables «inventions» de la biologie synthétique, elles sont encore à venir.

Par contre, le coût des tests de dépistage des gènes BRCA1 et 2 va certainement diminuer : le New York Times mentionne que, déjà, trois compagnies et deux universités américaines sont en lice pour commercialiser leurs propres tests de dépistage, à un prix inférieur aux 3000$ à 4000$ du test de la compagnie Myriad.

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