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Les médecins n’ont pas bonne presse en ce moment au Québec, entre les augmentations de salaires et les consultations jugées expéditives. Et si on avait sous-estimé un autre facteur : un effritement de l’empathie ?

C’est ce que suspecte un chercheur québécois qui s’intéresse à l'influence de la formation et de la pratique des médecins sur l'empathie. « C’est un enjeu fondamental du soin », rappelle Charles-Antoine Barbeau-Meunier. Le jeune homme, qui a complété en décembre 2013 un mémoire de maîtrise en sociologie portant sur l'empathie et son rôle dans l'action sociale, a depuis intégré le programme de médecine à l'Université de Sherbrooke.

« L’empathie est la capacité de ressentir et de se représenter la situation affective et mentale d’autrui, et d’y répondre avec cohérence. Il s’agit aussi d’un agent moral, ou « moralisant » important pour la société », présente le chercheur qui participe mardi à un colloque consacré aux fondements et aux implications sociales de l’empathie dans le cadre du 86e congrès de l’Acfas.

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L’empathie dans la tête

Depuis une quinzaine d’années, les chercheurs pistent les bases cérébrales de l’empathie. Cette capacité à partager les émotions ou la douleur d’autrui varie d’une personne à l’autre, ce qui en fait un phénomène complexe à analyser. Pour la candidate au doctorat en psychologie de l’Université de Montréal, Josiane Jauniaux, qui a passé en revue 87 études, « l’empathie active différents réseaux de neurones suivant que la source soit affective ou cognitive, ou un mélange des deux ».

La composante affective provient de l’émotion ressentie lors de l’observation de la douleur ou de la détresse d’autrui tandis que la composante cognitive surgit lorsqu’on tente de se mettre à la place de l’autre — elle est plus analytique que la première. Les deux composantes sont le plus souvent imbriquées l’une dans l’autre, et l’idéal serait de tendre vers un équilibre, selon celle qui est également co-organisatrice du colloque.

En fait, cette capacité de « résonance à autrui » se manifeste de manière spontanée — par exemple, devant une main qui saigne, ce qui entraîne chez nous une grimace de souffrance ou le mouvement de retrait de notre propre main.

« Nous partageons les mêmes mécanismes de base face à la douleur et notre cerveau va y répondre en activant les mêmes circuits cérébraux, chez celui qui observe tout comme chez celui qui souffre », assure le professeur de l’École de psychologie de l’Université Laval, Philip Jackson.

En revanche, si cet effet de « contagion » est immédiat, la réaction de l’observateur sera moins forte si son vis-à-vis dissimule bien sa douleur. « Une personne stoïque peut exprimer peu de douleur mais la grande activité de son cerveau montre qu’elle ressent tout de même de la douleur, c’est juste qu’elle est en plus grand contrôle », relève le neuropsychologue de l’Université de Montréal, Pierre Rainville,

Dans les couloirs de l’hôpital

L’hôpital, un milieu extrêmement stressant, peut justement forcer les personnes qui y travaillent à réprimer leur capacité d’empathie. « Les émotions du malade deviennent nos propres émotions, ce qui peut alors nuire tant au soignant qu’au soigné », relève Josiane Jauniaux.

Cette posture de compassion envers notre prochain joue un rôle essentiel dans nos rapports aux autres, particulièrement en milieu de soins. Elle s’exprimerait par cinq composantes : le visage, la résilience, l’attention, le lien social et l’environnement. Chacun de ces éléments va moduler notre capacité à être empathique, selon M Barbeau-Meunier.

Une mauvaise résilience pourrait ainsi contribuer à la fatigue mentale constatée dans l’épuisement professionnel de bon nombre de professionnels de la santé, les infirmières en tête. « Il y a un lien entre une mauvaise régulation émotionnelle et la dépression. C’est ce qu’on appelle souvent la « fatigue » de compassion », note Charles-Antoine Barbeau-Meunier.

Cette gestion inadéquate des émotions suscitées par l’exposition à la détresse d’autrui pourrait même entraîner un véritable traumatisme chez le personnel soignant. Il importe alors de reconnaître les premiers signes visibles de ce type de fatigue, d’avoir une bonne hygiène de vie et d’obtenir du soutien de ses collègues. La formation et la sensibilisation à une bonne gestion de l’empathie pourraient également aider.

« Il est important d’intégrer la dimension de l’empathie dans les curriculums médicaux mais aussi de réduire les conditions qui inhibent cette inclinaison : mauvaises conditions de travail, fatigue de compassion et épuisement professionnel », ajoute encore le jeune chercheur.

« Si la relation empathique est bien faite (attention, rétroaction, gestes), cela peut soulager la personne en douleur. Et la réalité virtuelle nous montre qu’il serait même possible de former quelqu’un à améliorer sa capacité d’empathie », avance Philip Jackson.

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