Aussi surprenant que cela puisse paraître, la médecine parallèle et l’extrême droite se rapprochent depuis des années. La COVID-19 a toutefois consolidé cette tendance, en plus de l’ancrer dans le conspirationnisme. Qu’est-ce qui explique cette connivence?
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est renforcé depuis la pandémie, confirme Marie-Ève Carignan, professeure en communication à l’Université de Sherbrooke. Avec d’autres groupes de recherche, elle étudie depuis janvier 2020 les interactions entre différents « noyaux durs » conspirationnistes par l’entremise de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.
« L’étude est toujours en cours, mais on a déjà beaucoup de données préliminaires et les résultats sont probants : il y a une espèce de partage, de mise en réseau entre l’extrême droite et le mouvement antivaccin/médecine alternative. Les deux mouvements relaient des publications de l’un à l’autre, et les gens de l’un sont identifiés dans les publications de l’autre – c’est vraiment surprenant, mais c’est très clair dans nos analyses! », rapporte-t-elle.
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La chercheuse ajoute qu’en plus de l’interconnexion des acteurs, le rapprochement est renforcé par le mélange de mots-clics liés à leurs publications. Ainsi, un partage peut renvoyer à la fois à « fausse pandémie/COVID hoax », à « dictature sanitaire », à « Big Pharma », à « anti-vaxx/antivaccin », à Bill Gates, à la 5G, aux antimasques, au survivalisme, à QAnon… « On voit un amalgame, un mélange des termes et des visions », souligne la chercheuse.
Bref, les conspirationnistes s’assurent qu’en ouvrant la porte à l’une des théories du complot, le lecteur sera exposé aux autres.
Confrérie réactionnaire
Pourquoi y a-t-il connivence entre les mouvements d’extrême droite et de médecine parallèle? Parce qu’ils partagent une croyance commune, soit que les « élites » ne sont pas dignes de confiance, répond Marie-Ève Carignan. Pour eux, les milieux politiques, scientifiques, économiques et médiatiques se coordonnent pour manipuler la population et en tirer des bénéfices, au détriment de l’intérêt public.
« Traditionnellement, la gauche a une méfiance envers les compagnies pharmaceutiques, et la droite envers le gouvernement. Quand on arrive en contexte de pandémie, où le gouvernement doit resserrer l’étau de nos libertés individuelles pour des raisons de santé publique, alors on commence à voir un mouvement réactionnaire. C’est la liberté individuelle à tout prix qui unit des gens d’allégeances différentes », résume Jonathan Jarry, communicateur scientifique à l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill.
Il constate par ailleurs l’ascension de la « conspiritualité », la fusion entre le complotisme et la spiritualité. « Sur Instagram, on trouve des gens pro-santé, pro-yoga, pro-conscience de soi, qui adhèrent au mouvement QAnon parce que dans leur vision spirituelle, il y a un sentiment que tout est relié, qu’il y a un grand plan », explique-t-il.
Les médias sociaux comme catalyseur
Jonathan Jarry estime d’ailleurs qu’il y a là un danger nouveau, car les influenceurs banalisent et popularisent l’adhésion aux théories du complot. Le partage de désinformation ne se fait plus seulement horizontalement (par exemple entre une personne et ses amis), mais aussi de façon verticale, avec des superpropagateurs, s’inquiète-t-il. « Des personnalités populaires du monde de la médecine alternative ou de la santé holistique partagent des fausses informations sur la COVID-19 à partir de leur plateforme. Forcément, de par leur influence, elles réussissent à rejoindre des gens qui étaient peut-être peu ou pas exposés aux mouvements conspirationnistes. »
De surcroît, il suffit parfois d’un clic pour que l’exposition à la désinformation soit décuplée, car les algorithmes sont programmés pour renvoyer du contenu similaire à ce qui est consulté. Le pire, relève Marie-Ève Carignan, est que cela peut arriver par hasard : les algorithmes de recommandation des médias sociaux détecteraient par exemple que la personne est intéressée par la politique, et lui suggéreraient du contenu conspirationniste qui a su attirer les clics, mais qui met de l’avant des référents politiques.
C’est sans compter la présence des bots, ces comptes automatisés de réseaux sociaux, qui ne servent qu’à mousser la visibilité de publications afin d’influencer l’opinion publique, souvent en propageant de la désinformation. Une université américaine a analysé les gazouillis liés à la COVID-19 depuis janvier pour démontrer que derrière les 50 comptes de repartage (retweeters) les plus influents, 82% étaient des bots; et qu’ils sont derrière 62% des 1000 comptes de repartage les plus influents. Autrement dit, tout est en place pour manipuler la confiance du public afin de la fragiliser.
Lueur d’espoir
Une timide bonne nouvelle, cependant : Marie-Ève Carignan rapporte que pour le moment, la confiance des Québécois envers les institutions et la santé publique se maintient relativement. Dans un second projet de recherche sur la désinformation auquel la professeure participe et qui prend notamment le pouls de la population québécoise, l’équipe a observé que le score de confiance n’a pas bougé entre septembre et novembre. Ce constat étonne toutefois les chercheurs, puisque durant la même période, d’autres indicateurs en ont pris pour leur rhume. Il y a par exemple eu une hausse du nombre de personnes estimant que les consignes sont peu claires ou exagérées.
La polarisation et l’enchevêtrement des visions menant à la désinformation ne sont néanmoins pas irrémédiables, croit Marie-Ève Carignan, à condition de se rappeler qu’il est sain de débattre. « Souvent, quand on discute avec des gens qui croient à des théories du complot, on se rend compte qu’on a beaucoup de questions en commun, de points où on est capable d’être d’accord et de remettre des choses en question… On diverge seulement à partir du moment où émerge la croyance en un complot. »
Photo: Ethan Doyle White / Wikipedia Commons