prehistoire-cranes-14000ans.jpg

Deux études consacrées à 116 génomes préhistoriques permettent d’identifier au moins huit migrations distinctes survenues en Europe. Parmi elles, une des populations s’est « réfugiée » en Espagne au plus fort de l’ère glaciaire, pour en ressortir après celle-ci.

Ces études confirment ce que de plus en plus d’études révèlent depuis une dizaine d’années, à savoir qu’il y a eu beaucoup de va-et-vient pendant cette longue période, entre l’arrivée des premiers Homo sapiens en Europe, il y a au moins 45 000 ans, et l’introduction de l’agriculture il y a environ 8000 ans. Mais l’analyse des génomes permet, pour la première fois, d’identifier deux lieux où des groupes de chasseurs-cueilleurs arrivés avant l’ère glaciaire étaient toujours là quand les glaciers se sont retirés.

Ces gens ne se sont donc pas contentés de se protéger du froid, enfermés dans des cavernes. Certains se sont déplacés à la recherche de terres plus hospitalières. Et au plus fort de l’ère glaciaire, il y a 19 à 26 000 ans, la péninsule ibérique —aujourd’hui occupée par l’Espagne et le Portugal— était vraisemblablement le plus hospitalier de ces lieux à travers l’Europe. Les chercheurs ont baptisé cette dernière population Fournol, du nom d’un site archéologique français.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

À l’inverse, ces génomes révèlent aussi l’existence de groupes de chasseurs-cueilleurs dont on ne trouve plus aucune signature génétique, quelques milliers d’années plus tard —autrement dit, ils n’ont pas laissé de descendants ou pas assez pour qu’on le détecte dans les gènes des populations plus récentes.

Pour en arriver à ces conclusions, les deux équipes qui sont derrière deux études parues simultanément le 1er mars, ont élargi leur analyse comparative à plus de 350 autres génomes préhistoriques qui se trouvaient déjà dans les bases de données.

Il est pour l’instant impossible de reconstituer le parcours de ces huit populations avant leur arrivée en Europe: en gros, le décodage de ces génomes permet tout au plus de constater qu’à un moment donné, telle population distincte occupe tel territoire et qu’on retrouve sa signature génétique ailleurs et quelques milliers d’années plus tard. Par contre, les paléogénéticiens (spécialistes des génomes du passé) constatent, ce qui est une surprise pour les archéologues, que ces huit populations sont suffisamment diversifiées génétiquement pour qu’il y ait plus de différences entre certaines d’entre elles qu’entre les Européens et les Asiatiques d’aujourd’hui.

Si c’est une surprise, c’est parce que depuis longtemps, les découvertes d’outils de pierres et de dessins dans les cavernes ont permis de n’identifier que deux « cultures »: Aurignacienne et Gravettienne. Ce qui veut dire que, malgré le fait qu’il s’agissait de populations distinctes, il y a eu suffisamment d’échanges ou de contacts pour partager des savoir-faire, et même des styles artistiques.

La double publication, dans Nature et dans Nature Ecology & Evolution, rappelle aussi que la perspective traditionnelle, selon laquelle les Homo sapiens ont surclassé, à leur arrivée en Europe, les Néandertaliens, est simpliste: certaines de ces populations d’Homo sapiens ont elles-mêmes été surclassées, ou bien n’ont tout simplement pas survécu. C’est le cas du plus ancien groupe d’Homo sapiens dont on ait découvert une trace génétique dans ces ossements: arrivés il y a au moins 45 000 ans, ils n’ont pour ainsi dire aucun lien génétique avec les plus récents groupes de chasseurs-cueilleurs.

Outre l’Espagne, le second lieu où on trouve une signature génétique pendant et après l’ère glaciaire est l’Italie, incluant la Sicile. Ce groupe, que les chercheurs ont appelé Villabruna, n’est pas lié génétiquement à celui qui occupait l’Italie avant le pic de l’ère glaciaire, il s’agit plutôt de descendants d’un groupe qui s’était retrouvé dans les Balkans.

Les nouvelles populations arrivées il y a 8000 ans depuis la Turquie, soit celles qui ont apporté l’agriculture, n’ont pas, elles non plus, remplacé toutes les anciennes populations. Les Européens d’aujourd’hui ont dans leurs gènes des signatures d’au moins trois de ces anciennes populations de chasseurs-cueilleurs. Il a vraisemblablement fallu des milliers d’années avant qu’ils n’abandonnent leur mode de vie et se fondent dans les populations d’agriculteurs.

 

Photo: Deux crânes de 14 000 ans retrouvés en Allemagne, aujourd'hui associés à l'une des 8 populations / Jürgen Vogel / LVR-LandesMuseum de Bonn 

Je donne