Trois ans après ce moment où les gouvernements canadien et québécois ont entamé leur lutte à la COVID, une récente recherche tente de tracer les grands traits de la réponse des médias au tout début de la pandémie.
Manque de connaissances scientifiques disponibles, mais paradoxalement, quantité d’informations mises à jour en continu sur le virus, les gestes barrières, l’évolution de la pandémie, ainsi que toutes sortes de statistiques, sans oublier la multiplication d’informations erronées, en particulier par les réseaux sociaux: la pandémie a présenté son lot de défis pour tous les journalistes.
« Les médias écrits vivaient une crise majeure lorsque la crise sanitaire a surgi. Ils se sont retrouvés, dans les premiers temps, très démunis —car déjà fragilisés et sous-financés— alors qu’ils étaient appelés à jouer un rôle vital pour traverser la pandémie», explique Olivier Champagne-Poirier, professeur adjoint au Département de communication de l’Université de Sherbrooke et co-auteur de cette récente étude sur « La pandémie vue par les médias écrits».
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Dans les premiers temps de la crise sanitaire, les agences de presse —des médias dont la mission est de diffuser leurs articles à des médias abonnés à travers le monde— ont joué un rôle majeur dans la réponse rapide des médias écrits, avec jusqu’à un article sur trois (30%). Par la suite, la longue durée de la pandémie a offert un « crash course » en virologie et en épidémiologie pour les journalistes généralistes, moins habitués à couvrir les enjeux pointus de science.
S’alimenter aux agences de presse et inviter des experts en santé publique leur a permis de traiter des sujets de proximité et des enjeux complexes liés à la crise sanitaire. Olivier Champagne-Poirier relève toutefois, au fil des mois, une dilution de ces enjeux sanitaires complexes, remplacés par des articles plus diversifiés, sur les impacts sociaux et économiques de la pandémie.
Les écrits de la crise sanitaire
Les auteurs de l’étude ont observé qu’après le recul des articles des agences de presse au profit des journalistes locaux, il y a ensuite eu un léger recul de ces derniers pour faire place à plus d’opinion – provenant de non-professionnels de l’information (citoyens et experts), des chroniqueurs et des éditorialistes.
Plus les mois passaient, moins la COVID était le sujet principal des médias, en dépit du fait que la crise sanitaire poursuivait sa litanie de cas et de décès.
L’analyse a porté sur 15 873 textes de 20 quotidiens canadiens dont le Journal de Montréal, La Presse, le Globe and Mail et le National Post, publiés entre le 27 janvier 2020 et le 27 février 2021.
Cette analyse quantitative et qualitative, réalisée au fur et à mesure de la progression de la crise, a permis d’identifier 24 sujets au début de la crise, puis 40 en tout. « C’est une crise sans précédent, on ne pouvait pas prétendre savoir tous les sujets que les journaux allaient traiter », explique le Pr Champagne-Poirier.
Ils ont découpé leur année en trois périodes : 27 janvier au 27 avril 2020; 27 juin au 27 septembre, et 27 novembre 2020 au 27 février 2021. Ils ont identifié 18 protagonistes principaux de la crise sanitaire: des acteurs politiques et des médecins, des personnalités du monde des arts, du sport, des médias et de l’économie, et même des citoyens.
L’une des surprises a été l’importance du sport dans tout cela, avec l’annulation des Jeux olympiques, le report de la saison de la LNH ou la fermeture des lieux sportifs. « Cela a fait couler beaucoup d’encre et montré l’impact de la pandémie sur les loisirs et le mode de vie. On constate ce basculement dès la seconde période, ce sont des considérations très nord-américaines», selon l’expert.
Dans la troisième période étudiée, les acteurs du monde du sport dépassaient même les acteurs politiques en terme d’espace médiatique. Et les acteurs économiques étaient présents dans plus de la moitié des articles, contre seulement 13,7% pour les professionnels de la santé.
La place des « victimes »
Les chercheurs ont aussi identifié différentes facettes de la pandémie: les cas de COVID, la course au vaccin, le ralentissement (puis le redressement) de l’économie, etc. Ainsi que divers groupes présents dans les médias: répondants de première ligne, population vulnérable (comme les aînés et les employés des commerces de proximité), groupes complotistes, personnes affectées socialement et physiquement.
Ces dernières se sont retrouvées à l’avant-plan dans plus de 40% des articles au cours de l’année. « Des enfants à la maison aux récalcitrants des mesures sanitaires, les « victimes » de la COVID liées aux conséquences sociales du couvre-feu ou de l’isolement, prennent dès le départ beaucoup de place », analyse le Pr Champagne-Poirier.
Quant aux arguments utilisés par les auteurs des articles, les chercheurs notent la présence des trois stratégies traditionnellement définies dans les théories du discours : les faits et la logique (logos), l’autorité (ethos) ou les émotions (pathos). Ils varient suivant les périodes et on note la montée de l’argumentaire d’autorité lors de la 2e période (été/rentrée 2020) avec par exemple des phrases comme « la santé publique juge que les bénéfices dépassent des sacrifices » ou « il faut faire confiance à la science ».
Sur l’ensemble de l'année étudiée, plus de la moitié des articles reposent sur la première catégorie (les faits et la logique). Mais au fil des mois, le virage vers l’opinion a fait monter l’émotion en importance.
La place de l’opinion n’a en effet cessé de croître jusqu’à atteindre un texte sur trois pendant la 3e période. Les auteurs de l’étude constatent, autrement dit, un léger déclin des articles chargés d’informer les lecteurs sur la crise sanitaire, remplacés par des articles écrits par des individus cherchant à transmettre leur avis sur la crise sanitaire.
Les journalistes présentent aussi de nombreux témoignages où l’émotion est de plus en plus présente. « Il y a une dissonance entre ce qui arrive et la communication des risques sanitaires: on voit que ceux-ci ne sont pas toujours intériorisés et communiqués », note Champagne-Poirier.
Une surprise: la place occupée par la couverture des enjeux médiatiques… dans les médias! « On parle de comment on en parle, c’est très inusité. Cela en dit long sur le contexte actuel des médias et leur présence au sein de la société canadienne », relève l’expert.
Le quotidien des journalistes bouleversé
Les défis qu’ont rencontrés les journalistes durant les premières semaines n’étaient pas seulement au niveau de la surabondance d’informations: l’accès difficile au terrain et aux données, la charge et la vitesse de travail, l’insécurité, ont aussi joué. Les journalistes n’étaient pas bien outillés pour travailler à distance et ont été accusés d’être trop passifs, particulièrement au début.
Il y a eu aussi différents défis relatifs à la transparence. « Ce qui a parfois forcé les professionnels de l’information à se rabattre sur les messages officiels des autorités », comme le relève Marie-Eve Carignan, la co-titulaire et directrice du pôle médias de l’Université de Sherbrooke.
Elle a publié dès 2020 une première étude québécoise, puis une seconde, en collaboration avec la doctorante Caroline Lacroix, pour mesurer l’impact de la pandémie sur les pratiques quotidiennes des journalistes professionnels. « On leur a aussi interdit d’accéder aux hôpitaux et aux CHSLD, ce qui a eu pour effet de limiter considérablement leur possibilité de réaliser des reportages sur les conditions de soins dans le réseau de la santé, ou de diffuser des images qui auraient aidé le public à saisir l’ampleur de la situation », ajoutent les chercheuses.
Le manque d’accès au terrain a aussi empêché les journalistes d’être témoins du drame dans les établissements pour aînés. Difficile alors de pouvoir « défendre le droit du public à l’information » comme le stipule le Guide de déontologie de la profession.
Les entretiens démontrent que toutes ces entraves ont forcé les journalistes « à s’ajuster continuellement », ajoutent Carignan et Lacroix.
Dans son mémoire, Caroline Lacroix parle d’un renouveau de passion des journalistes pour leur profession, mais aussi de leurs inquiétudes quant à l’avenir de leur métier et des médias d’information. Des craintes déjà bien présentes avant la pandémie, rappellent les chercheuses.
Elles rapportent d’ailleurs les propos de l’un des journalistes interrogés : « Ma crainte, ce serait qu'on perde la lutte à la désinformation parce qu'on n'aura pas eu les ressources nécessaires pour survivre assez longtemps, si l'aide financière n'arrive pas assez vite et que des médias continuent de couper dans leurs effectifs… Parce que moins on informe, moins on est nombreux à livrer l'information, plus il y a de place pour la désinformation. »