Les impacts des fausses nouvelles sur la santé n’avaient pas attendu la COVID. On estimait dans les années 2010 que les Canadiens dépensaient près de 200 millions $ par an avec l’homéopathie, et plus de 100 millions en traitements « énergétiques » comme le reiki. Mais pendant la pandémie, les finances ont continué d’être sollicitées: aux États-Unis, les prescriptions inappropriées d’ivermectine, à elles seules, ont coûté aux assureurs privés environ 130 millions de dollars US par an.
Ce sont quelques-uns des chiffres contenus dans une revue de la littérature scientifique sur les impacts de la « mésinformation en science et en santé », publiée ce jeudi par le Conseil des académies canadiennes.
Au passage, le groupe de 13 experts s’est livré à un exercice qui serait, selon lui, une première : mesurer l’impact sur les soins hospitaliers qu’aurait pu avoir, au Canada, un taux de vaccination contre la COVID plus élevé. Dans leur scénario hypothétique, si un tel taux était passé, en 2021, de 85% à 93%, cela se serait traduit par 13 000 hospitalisations en moins, 3500 patients de moins aux soins intensifs et 2800 décès épargnés. Pour des économies en soins hospitaliers de 300 millions $.
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Le modèle proposé a ses limites, reconnaît le groupe: il s’appuie sur un moment précis dans le temps (mars à novembre 2021), un chiffre-plancher (85%, le pourcentage de gens qui, selon Statistique Canada, disaient alors être prêts à se faire vacciner) et des scénarios fictifs: qu’arriverait-il si, parmi les « réfractaires et les réticents » (le 15% restant), une partie avait, à la fin de la période couverte, accepté de se faire vacciner.
Leur calcul ne tient pas compte des conséquences que cela aurait aussi eues sur la qualité de vie, y compris les conséquences de la COVID longue, ni des coûts dus au report d’opérations chirurgicales, ni des coûts « sociétaux » comme les pertes de salaires.
Au-delà de la COVID
Mais le rapport ne parle pas que de santé : les changements climatiques occupent plusieurs pages. Là aussi, les informations fausses ou trompeuses portent une part de responsabilité, que ce soit dans le déni d’une frange de la population face à la crise environnementale, ou dans l’inaction face à la réduction des gaz à effet de serre, qui aura des coûts à long terme.
Le groupe d’experts, sous la direction de l’ancien haut-fonctionnaire fédéral Alex Himelfarb, du Centre canadien de politiques alternatives, a choisi d’utiliser le terme « mésinformation », qui désigne des Informations fausses ou trompeuses qui peuvent avoir été partagées délibérément ou par inadvertance, alors que « désinformation » désignait, à l’origine, uniquement l’intention délibérée de tromper (bien qu’en français, le terme soit désormais utilisé dans un sens plus générique).
S’il y a eu, à toutes les époques de l’Histoire, des informations fausses ou trompeuses, le document parle de notre époque comme d’un « moment critique ». Ces informations « prolifèrent à un rythme inconnu jusqu’ici », en raison des nouvelles technologies et de « tendances sociétales que sont la baisse de la confiance, la polarisation croissante et la délégitimation de nos institutions du savoir ».
Dans leur revue de la littérature, ils effectuent un retour sur les recherches en psychologie ou en sciences sociales de la dernière décennie, qui ont rappelé que nous sommes tous concernés: « Nous sommes plus susceptibles de partager des informations qui appuient nos croyances partisanes et les croyances de personnes comme nous. Nous sommes également plus enclins à sous-estimer nos propres préjugés et à surestimer les préjugés des autres. »
Ils pointent aussi les suspects habituels: la radio parlée, les journalistes économiques qui ont longtemps entretenu l’illusion d’un « débat » sur les changements climatiques… Et bien sûr, les médias sociaux: des recherches ont établi ces dernières années des corrélations entre leur degré d’utilisation et l’adhésion à des croyances erronées sur la santé ou sur la COVID, incluant l’adhésion à des théories du complot. « Les algorithmes des médias sociaux sont utilisés pour favoriser la polarisation », non seulement en regroupant les gens par affinités, mais en poussant certains utilisateurs vers des contenus plus extrêmes. On cite la journaliste du New York Times Davey Alba qui, en 2021, avait constaté que des éditeurs utilisaient des vidéos d’animaux mignons comme pièges à clics pour « rediriger l’audience vers une publication ou un site colportant de la mésinformation ». C’est jusqu’au Service canadien du renseignement et de la sécurité qui a noté en 2021 que des groupes d’extrême-droite ont exploité la pandémie et les algorithmes pour rallier des gens à leur cause.
Il y a des causes plus profondes, à commencer par le déclin de la confiance dans les institutions —et par l’habileté de certains désinformateurs à exploiter cette perte de confiance. Le Conseil des académies canadiennes ne formule pas de recommandations dans son document, laissant tout au plus présager que la marche est haute: il faudra davantage d’éducation à l’information pour élever la pensée critique (on cite la Finlande, où un tel programme est en place de la maternelle à la 12e année), davantage d’efforts des médias sociaux pour mettre en valeur les informations fiables, davantage de ressources pour les organismes de vérification des faits, « devenus un composant essentiel » de l’équation, incluant, de leur part, des mesures « préventives » pour faire comprendre le fonctionnement de la désinformation (transparence: c’est là une partie du travail que nous menons à travers le Détecteur de rumeurs).
Mais si la marche est haute, c’est aussi parce que l’information fausse est parfois rassurante: « L’anxiété accroît notre désir de trouver une certaine certitude… La mésinformation nous (offre) des réponses simples, des méchants incontestables, des remèdes miracles et une assurance, qui nous donnent le sentiment de contrôler la situation. »