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Batman, Captain America, Black Panther et même le Joker, nourrissent notre imaginaire et ornent nos tasses à café. Notre univers culturel et social québécois se remplit de superhéros et de superhéroines, majoritairement issus des comics américains. Ces héros aux pouvoirs multiples s’infiltrent même dans nos rapports sociaux et politiques.

« Ils vivent au sein d’univers corrompus ressemblant à des représentations conspirationnistes, là où la loi ne fonctionne pas et où on a toujours recours au superhéros pour résoudre les choses », présentait Guillaume Dufour, professeur au Département de sociologie politique de l’Université du Québec à Montréal, dans le cadre du colloque de l’ACFAS sur la représentation des rapports sociaux dans les univers de superhéros, le mois dernier.

Le monde politique et social dépeint dans l’univers des superhéros pourrait même révéler à quoi ressemblent nos rapports sociaux avec les minorités ou les femmes. « Elles y sont proches de l’invisibilisation et hypersexuées. Ce sont également des univers où la politique sociale n’existe pas – il n’y a pas de filet de protection pour les plus vulnérables – et les représentations de l’avenir des sociétés occidentales s’avèrent assez sombres », souligne encore le chercheur.

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Les notions d’histoire sont également biaisées ou absentes. « Ce qui me frappe, c’est que les jeunes possèdent une culture historique très faible. Les régimes autoritaires (le fascisme, l’autoritarisme), la période stalinienne ou encore le génocide des khmers rouges, ils n’en ont jamais entendu parler», rapporte encore le Pr Dufour.

Par contre, ils embarquent facilement – et pas seulement eux !- dans des univers très sombres, sans loi, où seuls les justiciers viennent à la rescousse du bien et où les redresseurs de torts sont des hors-la-loi.

Place aux justiciers hors-la-loi

Dexter, Batman et bien d’autres, entretiennent en effet une relation complexe avec l'État de droit. Un cas encore plus extrême est le personnage du « Punisher », que l’on peut voir dans plusieurs films dont la série télévisée de Marvel The Punisher, une incarnation au rapport ambigu avec la loi. Il s’agit —comme c’est souvent le cas dans d’autres oeuvres— d’un ancien militaire d'une troupe d'élite retournant à la vie civile, quelqu’un de désabusé par la hiérarchie. Des évènements dramatiques vont le pousser à se mettre hors-la-loi et à punir les coupables des crimes.

« C’est un personnage généralement ennuyant qui n’a pas de super-pouvoirs. L’aspect intéressant dans ces récits d’anciens marines ou de vétérans d’Afghanistan retrouvant un état corrompu ou un système juridique incapable, c’est de pouvoir rentrer  dans la tête des « vigilantes » (ou « Avengers ») qui prennent la loi entre leurs mains », explique celui qui s’intéresse aussi aux mouvements de la droite radicale.

Il s’agit alors d’une représentation des institutions qui se rapproche de celle des libertariens, alimentés de thèses conspirationnistes sur « l'État dans l’État ». Ce qui ne va pas sans rappeler l’attaque du Capitole à Washington en janvier 2021, ou l’occupation d’Ottawa par les camionneurs l’année suivante.

« On retrouve dans ces mouvements une opposition aux élites et aussi, des personnes méfiantes des autorités et du milieu de la santé, avec une plus grande proportion d’antivaccins pour l’épisode des camionneurs. Il y a la mise en commun d’un mouvement anti-science et anti-immigration, issu de la droite radicale et libertarienne », relève le chercheur.

Ce sont aussi des mouvements où « l’univers machiste domine. Dans les mèmes, l’attention est dichotomique (bien/mal). Très vite, on prête des intentions et le policier n’est alors qu’un acteur de l’État parmi d’autres. C’est très préoccupant », sanctionne le Pr Dufour.

Il serait temps de se pencher sur la place de l’État de droit dans la sphère publique et de réfléchir à certains dérapages, tel que l’appui à des candidats porteurs d’idées discriminatoires. « Il faut faire de la place à la réflexion sur ce qu’on veut comme société et à nos valeurs, par exemple l’image des minorités et des femmes dans nos films de superhéros. Il importe de combattre les stéréotypes et d’éduquer nos plus jeunes », pense le chercheur.

Le supervilain, une autre sorte de superhéros?

Un superhéros peut révéler la montée d’une idéologie. Ou même un supervilain: le Joker a pris les écrans en 2019, pendant la présidence de Donald Trump et la montée en puissance de l’alt-right (extrême-droite américaine) et du mouvement « Incel » (une sous-culture masculiniste d’hommes « involontairement » célibataires).

« C’est un film happé par la conjoncture politique, l'amenant à être perçu comme un film trumpiste », bien qu'il soit politiquement plus complexe, résume le professeur en sociologie politique de l’Université d’Ottawa, Claude Denis.

« Le Joker a très vite été associé à cette sorte de gens —des extrémistes de droite plutôt violents. Le « loser blanc », un homme blanc victime de la société. »

Ce qui amène Claude Denis à s’interroger sur la suite du Joker : « ce n’est pas clair comment il se positionnerait politiquement, car c’est un personnage trouble. Il déstabilise la ligne du héros caché – le bon gars, mais vu comme dangereux, qui va se reconstruire une réputation. »

Avec des thèmes comme les inégalités sociales et économiques, un monde urbain hostile, des thématiques liées à la santé mentale, le personnage est également à l’interface de la politique et de la culture. « On retrouve cela aussi dans Taxi Driver de Martin Scorsese, il y a d’ailleurs des références explicites à l’univers de Scorsese dans Le Joker».

La guerre mise en scène

Vendre des imaginaires de guerre, c’est aussi inhérent à beaucoup de films de superhéros – ou superhéroïnes. «Le super-soldat de Marvel se retrouve depuis une vingtaine d’années dans les blockbusters américains, et souvent avec la participation de la défense américaine, pour créer une image positive de la guerre – qui en devient le sujet même du film », relève le professeur en communication de l’Université de Montréal et expert en culture du divertissement militaire, David Grondin.

La guerre devient en effet un divertissement et derrière ces superhéros, on cherche à représenter les États-Unis dans un bon rôle à l’effet séduisant. « On oublie souvent l’importance de l’imaginaire dans la préparation des esprits à la guerre technologique. C’est alors un spectacle à l’esthétique extraordinaire », explique le chercheur.

Cette guerre cinématographique devient partie du continuum du divertissement militaire. « Ces militaires s’établissent comme une autorité quant à la mission militaire des États-Unis et on les montre comme des bienfaiteurs ». Les films de superhéros véhiculent même, selon le chercheur, des discours sécuritaires.

Iron Man et Captain America n’existent pas juste dans la fiction. L’agence américaine DARPA, lancée dans la foulée de la course à l’espace, a investi des milliards de dollars depuis 30 ans dans un projet de création de « super-soldats ».

Aujourd’hui racheté par le privé, le projet EXOS 2 – l’exosquelette de 2e génération – constitue une sorte d’Iron Man doté d’une force surhumaine grâce à son exosquelette. Il y a aussi des programmes de recherche autour de sérums qui pourraient rendre des soldats résistants aux armes chimiques. « L’idée serait de pouvoir les déplacer rapidement dans un contexte d’environnement hostile, pas forcément de se soucier de leur santé mentale », souligne le Pr Grondin.

Et de ce fait, dans les films, ils ne sont plus tout à fait humains, presque des machines. « Iron Man, ce n'est ni un robot, ni un humain, il s’agit d’un "humain augmenté" avec une combinaison exosquelettique qui le rend un "superhéros". On présente souvent Iron Man comme l'Armée d'un seul (army of one). »

Ce dernier concept pourrait-il contribuer à nous faire accepter l’idée des soldats mi-robots mi-humains ? « C’est l’effet « Transformers. » À force de les suivre dans leurs aventures, cela nous pousse à accepter ces super-soldats, des extraterrestres très technologiques, autrefois rejetés mais qui viennent nous sauver et auxquels on s’attache », tranche le Pr Grondin.

Mais le rêve de remplacer les humains par des robots pour faire la guerre n'est pas encore arrivé, même dans la fiction, pense le chercheur : « dès qu'on parle de robots ou d'intelligence artificielle, il y a les peurs irrationnelles de voir les machines l'emporter et se rebeller contre les humains, avec l'image du Terminator, du Robocop ou des machines de La matrice ».

 

Le 13e paragraphe a été modifié le 14 juin pour clarifier la citation de M. Denis

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