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Le phénomène des faux journaux qui naissent dans des villes des États-Unis où les derniers vrais journaux sont disparus, inquiète ceux qui luttent contre la désinformation. D’autant qu’on voit des tendances se dégager: un très grand nombre de ces journaux sont là pour défendre un ordre du jour très conservateur… ainsi que des industries polluantes.

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Par exemple, le Richmond Standard, en Californie, est propriété de Chevron, multinationale du gaz et du pétrole, qui possède une raffinerie à Richmond. La raffinerie a souvent été accusée de dépasser les normes sur la pollution de l’air —mais ce n’est pas dans le Richmond Standard qu’on peut l’apprendre. Pas plus qu’il n’avait rapporté l’accident de 2021, lorsque le pipeline de Chevron avait laissé couler 800 gallons de carburant dans la baie de San Francisco.

« Si vous regardez le site web de Chevron et si vous regardez le Richmond Standard, beaucoup d’informations sont copiées et collées », notait récemment au réseau public NPR un militant environnemental local.   

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Mais d’autres sont plus subtils : dans une étude parue à la fin de 2019, le Tow Center for Digital Journalism, de l’École de journalisme de l’Université Columbia, avait identifié au moins 450 sites aux États-Unis faisant partie d’un réseau qui diffuse les mêmes articles, décidés par des algorithmes et rédigés par des rédacteurs sous-payés qui écrivent à la chaîne sous de faux noms. Et ce, tout en présentant faussement le tout comme du journalisme local. Dans une mise à jour en août 2020, le nombre total atteignait les 1200. Les trois quarts font partie d’un groupe appelé Metric Media. 

Une partie du contenu qui se répétait alors de l’un à l’autre était nettement orienté à droite de l’échiquier politique : en fait, les chercheurs ont identifié des sources de financement idéologiquement orientées. Et leur croissance rapide en 2019-2020 allait de pair avec la campagne électorale américaine: une enquête publiée en novembre 2021 a permis de pointer des efforts pour cibler plus précisément des campagnes électorales locales cruciales au niveau national. De plus, le fait de s’étiqueter « média » permet à ces sites d’être classés en ce sens sur Facebook ou sur Google News. 

Le Richmond Standard, qui est géré par une firme de relations publiques, est un cas à part, puisqu’il ne fait pas partie d’une chaîne, et qu’il a été lancé dès 2014. Mais l’intérêt de Chevron pour la couverture journalistique locale n’est pas un hasard (la compagnie a lancé un autre site de « nouvelles » au Texas en 2022), puisqu’un grand nombre de sujets environnementaux qui concernent Chevron sont avant tout régionaux, s’inquiète ce mois-ci le chroniqueur « médias » de la Société des journalistes environnementaux. À Richmond, c’est particulièrement vrai, puisqu’il s’agit d’une région traversée par deux pipelines qui aboutissent à la raffinerie de Chevron et au port de San Francisco. 

Mais ce n’est pas seulement à Richmond que ça se passe : à travers les États-Unis, la mort de centaines de journaux régionaux ces dernières années (360 rien qu’entre 2019 et 2022), a mis à mal la couverture des nouvelles locales, incluant l’environnement. L’an dernier, une étude de l’école Medill de journalisme, à l’Université Northwestern, évaluait que la moitié des comtés du pays n’avaient que peu d’accès, voire aucun accès, à des nouvelles locales. Une enquête de NPR en 2022 a identifié six journaux qui, en Alabama et en Floride, offrent une couverture systématiquement positive de la grande compagnie d’électricité locale. 

Selon le chercheur en journalisme Marc Edge, de Colombie-Britannique, le Canada pourrait avoir été épargné pour l’instant

Ce type de faux journalisme (appelé en anglais pink slime journalism) « submerge et dilue l’écosystème des nouvelles locales avec de l’information de piètre qualité », résumait en janvier 2024 un texte de la Columbia Journalism Review, quatre ans après la première enquête de Tow. En « obscurcissant l’eau de manière à ce qu’un consensus soit impossible », ces efforts « accroissent le cynisme envers, entre autres, la réalité et les institutions, créant un environnement propice à la polarisation politique et à une guerre des cultures ». 

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