La semaine dernière, le co-directeur de l’équipe de transition de Donald Trump affirmait que les vaccins causaient l’autisme. La même semaine, on apprenait que Robert F. Kennedy Jr (RFK), autre défenseur de théories douteuses en santé, pourrait se voir offrir la direction du ministère de la Santé.
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Dans la liste des choses à surveiller dans les prochaines semaines, cela s’ajoute au Projet 2025, qui est le plan de match rédigé l’an dernier par un influent groupe conservateur, au bénéfice d’une éventuelle présidence Trump: les auteurs de ce rapport, qui sont en majorité des gens qui ont été impliqués dans la première administration Trump ou font partie de son entourage actuel, recommandent entre autres de faire disparaître ou de réduire au silence l’agence scientifique qui étudie les océans et l’atmosphère (NOAA), de même que l’Agence de protection de l’environnement et même le Service météorologique national. Explication en deux temps.
1) Robert F. Kennedy Jr. ministre de la Santé?
Sur les ondes de CNN, c’est en réponse à une question de l’animatrice qui lui demandait s’il était exact que RFK était destiné à jouer un rôle important dans une éventuelle administration Trump, que le co-directeur de l’équipe de transition de Trump, Howard Lutnick, avait vanté l’intelligence de RFK et affirmé que tous deux souscrivaient à l’idée que les vaccins contre la rougeole avaient causé l'augmentation des cas d’autisme.
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Rappelons que la hausse des cas est depuis longtemps attribuable au fait que la définition même de l’autisme s’est considérablement raffinée depuis les années 1990. Par ailleurs, toutes les tentatives pour essayer de trouver une corrélation statistique entre vaccination et autisme ont échoué au fil des décennies.
La semaine dernière, dans un message vidéo destiné à ses partisans, RFK avait effectivement affirmé que Donald Trump lui aurait « promis » de lui donner « le contrôle des agences de santé publique ». L’expression « agences de santé publique » est vague, mais pourrait désigner le ministère de la Santé (Department of Health and Human Services), qui chapeaute le Centre de contrôle des maladies (CDC) —chargé de suivre à la trace l’évolution des problèmes de santé— la FDA —chargée d’approuver les médicaments— le NIH —principal organisme subventionnaire de la recherche en santé— et quelques autres. RFK mentionnait aussi le ministère de l’Agriculture, « parce que nous devons nous débarrasser des huiles végétales et nous devons nous débarrasser des pesticides ».
Il est exact qu’en campagne, Trump a promis qu’il laisserait Kennedy agir à sa guise en santé (go wild on health). Celui-ci, qui s’était présenté comme candidat indépendant à la présidence, s’est retiré de la course en août en donnant son appui à l’ex-président. Kennedy s’était fait connaître il y a longtemps comme avocat impliqué dans des causes environnementales, mais il s’est surtout fait connaître depuis 20 ans pour une foule de théories bizarres, depuis l’affirmation à l’effet que les juifs ashkénazes (ceux originaires d’Europe centrale et orientale) seraient immunisés contre la COVID, jusqu’à l’idée voulant que les tueries de masse soient causées par les prescriptions de Prozac, en passant par les chemtrails et par cette association entre vaccins et autisme. Son nom était apparu en 2021 dans le rapport du Center for Countering Digital Hate, comme étant l’un des 12 « super-propagateurs » de fausses informations à propos de la COVID sur les réseaux sociaux.
De quoi inquiéter des médecins qui observent ces dernières années, un peu partout dans le monde, des résurgences des cas de rougeole chaque fois que le taux de vaccination diminue. Même celui qui avait occupé, sous la première présidence Trump, la position d’administrateur de la santé publique (en anglais, Surgeon General) a qualifié le 28 octobre d’inquiétante « l'influence » que pourrait avoir RFK sur une future administration: « cela éroderait davantage la volonté des gens de se tenir à jour avec leurs recommandations de vaccination, et je m’inquiète de l’impact que cela aurait sur la santé de notre nation, de notre économie et sur notre sécurité ».
2) Guerre aux faits en environnement?
Le Projet 2025, un document d’environ 900 pages publié en 2023, se présente comme un guide de ce que serait la première année d’une administration Trump. Il cible lui aussi le CDC, le NIH et la FDA, dans le but avoué de limiter leur pouvoir de faire des recommandations aux élus.
Mais c’est aussi dans le secteur environnemental que se ferait sentir cette intention de réduire au minimum la capacité du gouvernement de voir venir les crises. Le rapport recommande ainsi:
- le démantèlement de la NOAA, une agence scientifique qui étudie autant l’état des pêcheries que la progression des ouragans; on mettrait fin au plus gros de ses recherches sur le climat;
- le démantèlement partiel du Service météorologique national, qui dépend de la NOAA, pour « commercialiser » une partie de ses services;
- le démantèlement partiel de l’Agence de protection de l’environnement —mise en place en 1970 par un président républicain, Richard Nixon;
- l’élimination de la plupart des politiques environnementales actuelles (comme les mesures anti-pollution pour les automobiles et les forages) et des politiques chapeautant la transition vers les énergies vertes. L’été dernier, un rapport publié par un groupe de promotion des énergies vertes évaluait que ces actions ajouteraient 2,7 milliards de CO2 d’ici 2030, par rapport aux cibles du gouvernement Biden.
Mais ce n’est pas seulement une volonté d’éliminer les règlementations qui anime ces auteurs: c’est parfois une volonté de museler ceux qui sont en mesure de présenter des faits. Ainsi, dans une des vidéos de formation des futurs fonctionnaires d’une administration Trump, vidéos obtenues l’été dernier par des journalistes d’enquête, une des intervenantes du Projet 2025 expliquait qu’une administration Trump devrait « éradiquer, absolument partout, les références aux changements climatiques ».
Il faut savoir qu’un élément central du Projet 2025 est la mise à pied de milliers de fonctionnaires de carrière pour les remplacer par des fonctionnaires nommés en fonction de leur loyauté envers le nouveau président, et non en fonction de leur expertise (le document cite aussi le ministère de la Justice et le FBI). C’est dans ce contexte que ses auteurs évaluent qu’il serait dès lors plus facile de démanteler ces agences.
Chez les environnementalistes, ceux qui ont dénoncé le Projet 2025 ont dit craindre que son application nuirait aux efforts internationaux de lutte aux changements climatiques. Mais les impacts sur la population américaine pourraient être encore plus directs : aux États-Unis, le nombre de décès causés par les chaleurs extrêmes augmente déjà d’année en année (selon une compilation du ministère de la Santé) et les coûts économiques des dégâts causés par les événements météorologiques augmentent eux aussi d’année en année (selon une compilation de la NOAA).
Le Projet 2025 est piloté par la Fondation Heritage, un influent groupe de réflexion conservateur qui a été proche de tous les gouvernements républicains des quatre dernières décennies. La Fondation s’est imposée dès les années du président Ronald Reagan (1980-1988) comme une importante « influenceuse » pour l’écriture de politiques conservatrices, voire libertariennes —c’est-à-dire un rétrécissement au maximum des pouvoirs de l’État au bénéfice du marché. Elle a aussi promu l’invasion du Koweït en 1991 et celle de l’Irak en 2002. Le parti démocrate a dénoncé le Projet 2025 depuis près d'un an, et le parti républicain a tenté d'en prendre ses distances.