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Dans la controverse entourant Spotify en janvier, il y avait la baladodiffusion d’un nommé Joe Rogan, animateur polémiste très populaire aux États-Unis. Mais son invité du 31 décembre, qui avait conduit les Neil Young, Joni Mitchell et Gilles Vigneault à se retirer de Spotify, était aussi un nom connu depuis longtemps dans les mouvements opposés aux vaccins et aux mesures sanitaires: Robert Malone. Est-il une source crédible? Le Détecteur de rumeurs apporte quelques éléments de réponse.


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L’origine de la controverse

Peu importe tout le bien ou tout le mal qu’on pense de lui, il est certain qu’il suscite la controverse. Pour les uns, il est « le scientifique des vaccins qui propage de la désinformation sur les vaccins » (titre d’un portrait qui lui avait été consacré l’été dernier par le magazine The Atlantic). Pour les autres, il est celui dont « les affirmations discréditées ont renforcé » la désinformation. Pour les autres encore, il est « la coqueluche » (darling) du mouvement antivaccins.

Même Wikipédia souligne qu’il tient des propos « trompeurs, infondés et contraires aux preuves scientifiques à propos de la vaccination ».

Et ça n’avait pas commencé avec la baladodiffusion de Joe Rogan. C’est au moins depuis la fin de 2020 qu’on peut le lire ou l’entendre sur plusieurs tribunes, faisant de nombreuses affirmations sur la pandémie et en particulier sur les risques présumés des vaccins. Robert Malone, 61 ans, est ainsi devenu un « influenceur » (il avait par exemple près de 500 000 abonnés sur Twitter, avant que Twitter ne ferme son compte). Et chaque fois, il se présente comme étant « l’inventeur du vaccin à ARN ».

 

1) Robert Malone est l’inventeur du vaccin à ARN? Faux

Une percée scientifique n’est jamais l’entreprise d’une seule personne. Dans le cas des vaccins à ARN, on parle de plusieurs équipes de scientifiques qui ont chacune construit une partie de l’édifice, à différentes époques. À titre d’exemple, le Prix Breakthrough en sciences de la vie, puis le Prix Lasker-DeBakey en recherche clinique, ont récompensé en septembre dernier la biochimiste Katalin Karikó et l’immunologiste Drew Weissman pour une découverte-clef survenue au début des années 2000, sans laquelle les vaccins à ARN contre la COVID n’auraient pas été possibles.

Robert Malone quant à lui, a découvert en 1987, alors qu’il était étudiant au doctorat, que des brins d’ARN messager mélangés avec des nanoparticules lipidiques pouvaient être absorbés par des cellules humaines. Il est l’un des trois co-auteurs d’une étude qui, en 1989, décrit cette méthode par laquelle de l’ARN messager pourrait être transféré dans une cellule d’un être vivant. Et il est l’un des sept co-auteurs d’une étude qui, en 1990, décrit un tel transfert chez la souris.

Avant cela, dès 1978, d’autres chercheurs avaient expérimenté de tels transferts vers des cellules de souris et d'humains en utilisant des membranes appelées liposomes pour protéger l’ARN.

Robert Malone est donc un des contributeurs d’une chaîne d’événements qui a conduit aux vaccins conçus par Pfizer et BioNTech d’une part, et par Moderna d’autre part. Mais il n’est pas « l’inventeur »: personne ne peut prétendre détenir ce titre et son insistance à se présenter comme l’inventeur sur son propre site web, est pour le moins suspecte

Pour en savoir plus:

« The tangled history of mRNA vaccines », Nature, 14 septembre 2021.

« The story of mRNA », par STAT et le Boston Globe, 10 novembre 2020 .

« Three decades of messenger RNA vaccine development », NanoToday, septembre 2019

 

2) Robert Malone est un expert pertinent? Oui et non

Un lecteur du Détecteur de rumeurs, Alexandre, avait posé la question suivante à la mi-décembre, avant la controverse Joe Rogan: « une autre vidéo qui, selon ma belle-mère, prouve hors de tout doute que le vaccin est dangereux, parce que dixit « c’est l’inventeur du vaccin qui le dit ».

Avant même de plonger dans les affirmations contenues dans une telle vidéo, il y a deux questions qu’Alexandre pourrait se poser, face à toute affirmation émanant de quiconque se présente comme un scientifique: s’agit-il d’un expert pertinent, et a-t-il publié des études qui soutiennent ses affirmations.

Rappelons en effet que ce n’est pas parce qu’une personne est diplômée en science qu’elle est experte en tout: à titre d’exemple, un géologue ou un ingénieur n’ont pas une expertise équivalente à un climatologue lorsqu’ils émettent l’opinion que les changements climatiques n’existent pas.

Dans le cas de Robert Malone toutefois, il est bel et bien un expert du domaine: il a obtenu son diplôme en médecine en 1991 et il s’est spécialisé en immunologie.

Par contre, la grande majorité de ses affirmations depuis deux ans ne sont apparemment appuyées que sur ses opinions personnelles, et non sur ses études. Tout au plus a-t-il publié deux textes autour de la COVID-19 : ils portent sur l’efficacité présumée de deux médicaments, la famotidine et l’ivermectine. Ils ont été prépubliés au cours de l’hiver 2021 en vue d’un numéro spécial de la revue Frontiers in Pharmacology, qui comptait explorer des pistes de traitements anti-COVID à partir de médicaments déjà existants. L’étude sur l’ivermectine a été retirée en mars 2021 en raison de ses « affirmations non étayées » (unsupported claims).

« Il est un scientifique légitime », commentait en janvier 2022 Paul Offit, directeur de la Chaire de vaccination à l’Université de Pennsylvanie et connu pour sa lutte contre les mouvements antivaccins. « Du moins l’était-il avant qu’il ne commence à faire ces fausses affirmations. »

 

3) Robert Malone appuie-t-il ses affirmations sur des études? Pas vraiment

À défaut d’avoir lui-même publié, il pourrait toutefois étayer ses affirmations sur des études récentes publiées par des collègues ou sur des données solides. Qu’en est-il ?

Le Détecteur de rumeurs a analysé plus en profondeur dans un précédent texte certains de ses arguments sur les vaccins dits génétiques, arguments qui reposent sur des bases scientifiques. Mais il y a aussi des affirmations récurrentes dans ses discours qui ont été réfutées à plusieurs reprises.

a) « Le vaccin est expérimental »

Pourquoi c’est trompeur - Ceux qui utilisent ce terme à propos des vaccins contre la COVID réfèrent généralement à deux choses: la rapidité avec laquelle ces vaccins sont arrivés sur le marché et le fait que, dans la base de données des essais cliniques (ClinicalTrials.gov), sur la ligne « estimation de la date d’achèvement de l’étude », on peut lire 2022 ou 2023.

Dans le cas de la rapidité, comme le Détecteur de rumeurs l’expliquait ici, c’est moins étonnant quand on se rappelle qu’il a suffi de trois mois à Pfizer pour rassembler le nombre de personnes nécessaires à valider les tests (40 000). Quant aux dates de 2022 ou 2023, ce sont des estimations inscrites au moment de demander l’autorisation de commencer les essais cliniques. Il n’y a rien d’anormal à ce qu’un suivi d’un certain nombre de patients —« post-commercialisation », dans le jargon des essais cliniques— soit toujours en cours, comme l’avaient annoncé Pfizer et Moderna à la fin de 2020.

Et s’il est vrai que la technologie des vaccins à ARN n’a jamais été testée chez l’humain, les recherches des 30 dernières années tendent à relativiser les risques prétendus.

Pour en savoir plus

« Experimental COVID vaccines? », Skeptical Raptor, 12 août 2021

« … the vaccines aren’t experimental », Health Feedback, 19 janvier 2022

 

b) « Les myocardites étaient tellement mauvaises… L’incidence était de 1 sur 2700 » 

Pourquoi on sait que c’est faux - Malone dit appuyer son affirmation (également faite dans l’émission de Joe Rogan) sur une étude effectuée à Hong Kong à l’été 2021. Ce qu’il oublie toutefois de dire, c’est que ce chiffre provient d’un système d’alerte local visant à rapporter systématiquement tous les effets secondaires suspects. Une fois vérifiés, les véritables cas de myocardites se révèlent plutôt être de l’ordre de 1,6 cas par 100 000 —un taux en phase avec les suivis effectués dans d’autres pays.

Malone n’a pas non plus rapporté ce que les auteurs de Hong Kong soulignaient, à savoir que tous les cas étaient légers et qu’aucun n’avait nécessité d’hospitalisation.

Pour aller plus loin dans l’émission de Joe Rogan:

« Robert Malone made multiple misleading or unsubstantiated claims about COVID-19 and vaccines on The Joe Rogan Experience podcast », Health Feedback, 26 janvier 2022.

« Joe Rogan: The Malone Interview », dans la balado Science VS, 4 février 2022.

 

c) « Alors que nous empêchons trois morts par la vaccination, nous en causons deux »

Pourquoi on sait que c’est faux: dans un tweet publié le 26 juin 2021, Malone citait une étude canadienne qui, selon son interprétation, aurait conclu que pour chaque trio de décès de la COVID évités par le vaccin, il y aurait eu deux décès causés par le vaccin. Or, l’étude en question —prépubliée, c’est-à-dire pas encore révisée— contenait une erreur de calcul qui a été rapidement repérée, ce qui a amené l’éditeur à la retirer le 1er juillet. Le Détecteur de rumeurs avait résumé cette histoire ici.

 

d) Face à la vaccination, les Américains sont enfermés dans une « psychose de formation de masse », « exactement comme l’hypnose », à l’instar des habitants de l’Allemagne nazie.

Pourquoi c’est trompeur:  Malone a présenté l’expression mass formation psychosis, comme s’il s’agissait d’un concept scientifique. Ça ne l’est pas.

C’est le commentaire qui a sans doute généré le plus d’attention après l’émission de Joe Rogan: plus de 100 000 interactions sur Facebook au début de janvier. La comparaison avec les nazis a choqué, mais l’expression « psychose de masse » a intrigué, d’autant que Malone a prétendu que ce concept s’appuyait sur de la recherche en psychologie, citant un chercheur belge.

Or, l’expression n’existe ni dans le Dictionnaire de l’Association américaine de psychologie, ni dans la base de données des recherches en psychologie, PsycNet. Et après la diffusion de l’émission, plusieurs journalistes ont essayé, en vain, de trouver des experts qui auraient pu valider cette expression. Le terme « n’existe pas en tant que concept académique », a déclaré à l’agence de presse Reuters le psychologue Jay van Bavel, de l’Université de New York. L’idée qu’un groupe puisse être « hypnotisé » repose sur un mythe de ce qu’est l’hypnose, a renchéri le psychologue Steven Jay Lynn, de l’Université de Binghamton, à l’agence AP. Le concept de « psychose de masse » est « davantage une idéologie qu’un fait », commente le psychosociologue Steven Reicher, de l’Université écossaise de St-Andrews, décrit par Reuters comme un expert de la « psychologie des groupes » depuis plus de 40 ans.

Ça joue d’ailleurs dans les deux sens, écrit le chercheur en sciences cliniques Joe Pierre dans Psychology Today: si ces Américains « se font vacciner parce qu’ils croient aux conseils des scientifiques et de la santé publique », ce n’est pas une hallucination collective, c’est un comportement. Tout comme, à l’inverse, ne pas croire aux scientifiques « n’est pas une hallucination. Le résultat final peut être une fausse croyance, mais ça n’est pas un produit d’une maladie mentale. »

Quant à l’auteur belge, Matthias Desmet, il existe bel et bien, mais il parle de « formation de masse » et ne semble jamais avoir utilisé le terme psychose dans ce contexte.

 

Photo: Capture d’écran War Room

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