Ça avait commencé par des symptômes étranges au sein de l’ambassade des États-Unis à Cuba, d’où le nom de « Syndrome de La Havane ». Depuis 2016, les théories se sont multipliées, et certains sont allés jusqu’à pointer un ou des coupables. Et pourtant, le Détecteur de rumeurs constate que rien n’a été prouvé.
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À la fin de 2016, des membres du personnel diplomatique américain en poste à Cuba décrivent des malaises étranges : nausées, troubles de l’audition, de l’équilibre et du sommeil. Les relations entre la Maison-Blanche et Cuba se réchauffent alors à peine, et l’ex-président Donald Trump rapatrie en 2017 tous ses diplomates. Une vingtaine d’employés américains et leurs familles disent avoir été touchés entre 2016 et 2018 par ce « Syndrome de La Havane ».
Des diplomates canadiens à Cuba ont rapporté plus tard des malaises similaires. En 2018, des cas sont signalés en Chine, puis en Allemagne, en Australie, en Russie et à Taïwan. Selon un rapport de la CIA dont le New York Times a obtenu copie en janvier 2022, un peu plus de 1000 cas auraient été recensés depuis 2016.
Un diagnostic difficile à poser
Mais la première difficulté pour un diagnostic réside dans la pléiade de symptômes rapportés : bruit persistant, douleur perçante, forte pression à la tête, problèmes d’équilibre, de vertige et de coordination, anxiété, irritabilité, « brouillard cognitif », etc. Du fait de leur grande variabilité, ces symptômes pourraient être attribués à une foule de maladies, de la dépression jusqu’aux migraines.
Deux études observant les cerveaux et les comportements de 21 patients ont été publiées en 2018 et 2019 par la même équipe de chercheurs dans le Journal of the American Medical Association (JAMA). Elles ont conclu que les symptômes étaient compatibles avec des lésions cérébrales, mais sans qu’on puisse identifier la cause du « traumatisme crânien ».
Ces études ont été largement reprises, mais également critiquées : les lésions cérébrales de même que les modifications de matière blanche observées chez certains des patients étaient moins significatives qu’il n’y apparaissait. Plusieurs experts, dont le neurologue Robert W. Baloh, co-auteur en 2020 d’un livre qui conclut que le syndrome était avant tout psychologique, ont souligné que ces modifications avaient eu lieu sur un très petit nombre de patients, et que les anomalies observées étaient semblables à ce qu’on peut observer dans la population moyenne, en particulier chez des personnes soumises à une longue période de stress.
Des causes difficiles à trouver
Un diagnostic serait peut-être plus facile à établir si on pouvait identifier un coupable. Or, tour à tour, les causes de ces symptômes ont aussi été remises en question, dont l’hypothèse d’une « attaque sonique ». Comme plusieurs personnes avaient rapporté un bruit persistant, ce fut une des premières explications avancées. Mais plutôt que d’être attribuables à une arme secrète, les sons étranges ont par la suite été attribués à… des grillons.
Qui plus est, des attaques soniques auraient dû être entendues par plusieurs personnes autres que les diplomates, ce qui n’a pas été le cas. Il faut savoir par ailleurs que les attaques par infrasons sont plus désagréables que dangereuses, et que les opérateurs de ces appareils auraient été autant incommodés que les victimes. Quant aux ultrasons, ils s’affaiblissent rapidement avec la distance et peuvent être bloqués par les murs.
Le Centre de contrôle des maladies (CDC) et l’Académie nationale des sciences (NAS) ont pour leur part, dans des rapports publiés en décembre 2019 et en août 2020 —mais qui n’ont été dévoilés qu’en 2021— pointé les ondes radio comme la cause la plus probable de ces symptômes, en précisant que ces conclusions étaient toutefois spéculatives, dû au peu d’informations disponibles. Le rapport de la NAS se basait en outre sur les deux études du JAMA contestées.
Les micro-ondes ont elles aussi été évoquées, mais les recherches menées depuis 50 ans sur les armes à micro-ondes ont connu peu de succès. Non seulement une telle arme aurait été immense et donc difficile à cacher, mais les micro-ondes nécessaires auraient été si puissantes que des dommages à la peau et au cerveau auraient dû être observés.
Enfin, une étude financée par le gouvernement canadien a trouvé des neurotoxines provenant d’un des pesticides utilisés pour combattre le virus Zika chez les diplomates touchés. Le problème: comment ce pesticide aurait-il pu sélectivement toucher les diplomates canadiens et américains, et aucun non-diplomate travaillant à l’ambassade ou aucun employé cubain? Le rapport de l’Académie nationale des sciences cité plus haut a choisi d’écarter l’idée d’un empoisonnement aigu dû à un insecticide répandu à La Havane, même s’il pourrait être un facteur contributif.
Des coupables mystérieux
Le fait que tout ait commencé à Cuba a fait en sorte que les soupçons se sont d’abord tournés vers le gouvernement cubain, étant donné les relations tortueuses avec les États-Unis. Mais d’autres cas ont depuis été rapportés ailleurs dans le monde, et même sur le terrain de la Maison-Blanche, selon un reportage de l’émission 60 minutes en février 2022.
Des chercheurs d’autres pays ont déploré le manque d’accès aux données américaines. Des spécialistes mettent d’ailleurs en garde contre le « narratif politique » qui récupère le syndrome pour le présenter comme une attaque qui demande des représailles.
La piste psychologique
Dans leur livre Havana Syndrome, paru en 2020, le neurologue américain Robert W. Baloh et le psychologue australien Robert E. Bartholomew soutiennent qu’on aurait plutôt affaire à une maladie d’origine psychologique (même si les symptômes sont bien réels, tout comme l'effet sur le cerveau). Dans un contexte de grand stress où les diplomates sont sur leurs gardes et s’attendent à des attaques, pas surprenant, selon les deux auteurs, que des gens soient pris d’étranges malaises. C’est ce qu’on appelle l’effet nocebo, un effet réel ressenti par des gens non exposés à une cause, mais qui se croient exposés. Les individus peuvent alors être tentés de trouver une explication inédite à un événement anodin et courant (comme un épisode de vertige).
Le syndrome contamine ensuite, par effet boule de neige, d’autres employés, qui sont eux aussi sensibilisés à l’importance de porter attention à tout symptôme étrange. C’est un phénomène qu’on a déjà observé dans l’histoire, attribuée aussi bien aux éoliennes qu’à une odeur d’essence ou même, il y a un siècle, au téléphone.
Un rapport de la CIA de 2022 conclut par ailleurs que la plupart des cas du Syndrome de La Havane n’auraient probablement pas été causés par une attaque, avançant que la majorité des 1000 cas rapportés s’expliqueraient par des causes environnementales, une maladie non diagnostiquée, ou le stress. Une douzaine de cas font toujours l’objet d’une enquête.
Photo: L’ambassade des États-Unis à Cuba, mars 2016 / Wikipedia Commons