La recherche de traitement contre la maladie d’Alzheimer a longtemps été dominée par une seule cible : l’accumulation dans le cerveau de « plaques » dites bêta-amyloïdes. En juillet dernier, des chercheurs qui avaient revisité une recherche-clef sur le sujet, ont annoncé que des soupçons de fraude planaient. Mais en réalité, cette cible était mise en doute depuis le début, résume le Détecteur de rumeurs.
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L’origine (présumée) de la maladie d’Alzheimer
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Beaucoup de gens sont surpris d’apprendre que, malgré des décennies de recherche, il n’y a toujours pas de consensus sur l’origine de cette maladie, et aucun médicament susceptible de ralentir son évolution. Pourtant, on compte 50 millions de personnes atteintes de démence dans le monde, avec 10 millions de nouveaux cas chaque année. La maladie d’Alzheimer est la cause la plus courante, représentant 60 à 70% des cas, selon l’Organisation mondiale de la santé. Le nombre de gens atteints de démence pourrait atteindre 152 millions en 2050.
La recherche sur l’Alzheimer a été largement dominée par l’hypothèse de la cascade amyloïde, proposée dans les années 90. Selon cette hypothèse, une seule cause est à l’origine de la maladie : l’accumulation d’une protéine appelée bêta-amyloïde, sous forme de « plaques » dans le cerveau. Cette accumulation entraine une cascade d’évènements qui conduit à la perte de fonctions cérébrales, comme la mémoire. C’est ainsi que la majorité des médicaments et des vaccins expérimentaux visent les plaques amyloïdes —sans grand succès jusqu’ici.
En 2006, le chercheur français Sylvain Lesné et ses collègues de l’Université du Minnesota, avaient publié dans la revue Nature un article qui, disaient-ils, apportait une solide preuve en faveur de cette théorie. Chez des souris, ils rapportaient que, lorsqu’une forme spécifique d’amyloïde s’accumule dans le cerveau, cela bloque le transfert des signaux entre les neurones, entraine la mort des cellules et provoque une perte des fonctions cognitives.
Fraude scientifique ?
Coup de tonnerre en juillet 2022, quand une enquête de la revue Science révèle que des données à la base de cette étude phare ont pu être falsifiées (à la mi-novembre 2022, l’étude de 2006 était accompagnée d’un avertissement de Nature disant qu’une enquête est en cours). L’une des spécialistes de la fraude scientifique consultée par Science, Elisabeth Bik, y déclare : « les auteurs semblent avoir composé des figures en assemblant des parties de photos provenant de différentes expériences. Les résultats expérimentaux obtenus n'étaient peut-être pas les résultats souhaités, et ces données ont pu être modifiées pour... mieux correspondre à une hypothèse ».
La recherche de 2006 avait, depuis, servi de justification à plusieurs autres recherches, et au développement d’un médicament, l’Aduhelm, dont l’approbation accélérée aux États-Unis, en juin 2021, a été dénoncée par plusieurs experts.
Selon Frédéric Checler, directeur d’un laboratoire de recherche sur les maladies d’Alzheimer et de Parkinson en France, et cité dans le journal Le Monde en juillet dernier, « personne n’avait jamais réussi à répliquer ces résultats [de 2006] ».
Pas de cause unique
Il nuance toutefois: même si cette étude devait être rétractée, cela ne signifierait pas que l'amyloïde ne joue aucun rôle dans la maladie. Cela confirmerait plutôt qu’on a erré sur son rôle dominant.
Dans la baladodiffusion Ask a Harvard Professor, en 2021, le professeur de neurologie de cette université, Rudolph Tanzi, y était allé d’une métaphore : l'amyloïde serait à la maladie d'Alzheimer ce que le cholestérol est aux maladies cardiaques. De hauts niveaux seraient un signal d’alarme, avant même l’apparition des symptômes.
Ce chercheur évoquait toutefois d’autres causes pouvant aussi servir de signaux d’alarme, et plusieurs experts du domaine s’entendaient depuis longtemps pour dire que rien ne permet de faire des « plaques » la cause unique de la maladie d’Alzheimer: une multitude de facteurs y contribuent probablement. Une page des Instituts nationaux de la santé (NIH), le principal organisme subventionnaire de la recherche aux États-Unis, énumère des changements liés à l’âge dans le cerveau, aussi bien que des facteurs génétiques ou d’autres liés au mode de vie.
Le problème, c’est que la domination de la théorie de la cascade amyloïde a ralenti la recherche sur les autres facteurs de l'Alzheimer. Le professeur de biologie et de chimie à l’Université du Texas à San Antonio, George Perry, parlait en 2021 de « l’obsession » pour la seule cause de l'amyloïde, dans le magazine New Scientist. De fait, jusqu'à présent, les médicaments anti-amyloïdes n'ont pas réussi à améliorer les symptômes de la maladie.
Un de ces « autres facteurs », c’est l’accumulation dans le cerveau de la protéine appelée Tau. Normalement, elle aide à soutenir la structure des neurones, mais certaines modifications peuvent faire en sorte qu’elle s’agglutine dans les neurones, interférant alors sur leur capacité à communiquer. Quand la maladie se développe, la quantité d'accumulation de tau semble être corrélée à la gravité de la démence.
On sait aussi que les gènes jouent un rôle : trois gènes défectueux ont été identifiés comme facteur de risque de l’Alzheimer précoce (celui, plus rare, qui survient entre 30 et 65 ans) ; ils contribuent à la production d'amyloïde, dans un processus qui est encore mal compris. D’autres variants génétiques sont probablement encore à découvrir, qui affectent par exemple la capacité à éliminer la bêta-amyloïde du cerveau. Plus précisément, le fait d'avoir une version du gène de l'apolipoprotéine E (APOE) augmente le risque de développer la maladie d’Alzheimer.
Enfin, des recherches ont suggéré une foule de facteurs qui peuvent influencer le développement ou l’évolution de la maladie : par exemple, l’hypertension artérielle, les maladies cardiovasculaires, ou encore le diabète et l’obésité.
S’il s’avérait que des facteurs liés au mode de vie sont effectivement en cause, le parallèle avec les maladies cardiaques serait utile : pour elles, il existe des traitements allant des médicaments jusqu’aux interventions chirurgicales, mais aussi un ensemble de recommandations allant de changements à l’alimentation jusqu’à l'exercice physique. Est-ce la piste à suivre pour l’Alzheimer?
Verdict
La majorité des chercheurs qui étudient la maladie d'Alzheimer reconnaissaient, bien avant l’enquête de juillet dernier, que la maladie avait de multiples facteurs encore mal compris. Mais « l’obsession » pour la seule cause de l'amyloïde a pu entraver les progrès vers d’éventuels traitements.
Photo: Noelle Otto / Pexels