masques-COVID-reunion.jpg

Pour un scientifique, il y a une énorme différence entre la phrase « les masques ne fonctionnent pas » et la phrase « les données disponibles ne permettent pas de trancher sur l’efficacité des masques ». Le Détecteur de rumeurs constate que la distinction n’est pas claire pour tout le monde.


Cet article fait partie de la rubrique du Détecteur de rumeurscliquez ici pour les autres textes.


 

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

La confusion entre les deux phrases est telle que le groupe Cochrane, qui a publié le 30 janvier une étude qui a beaucoup fait jaser, a jugé bon de publier une précision le 10 mars:

« Plusieurs commentateurs ont affirmé qu’une revue Cochrane récemment mise à jour montrerait que les « masques ne fonctionnent pas », ce qui est une interprétation inexacte et trompeuse. »

La publication en question est une revue de la littérature scientifique, et Cochrane (anciennement la « Collaboration Cochrane ») est un organisme britannique à but non lucratif qui a été formé précisément dans le but de publier des synthèses de la littérature scientifique. Cette publication du 30 janvier était consacrée à l’efficacité des « interventions physiques » (pas juste les masques) pour réduire l’incidence des « virus respiratoires » (la majorité des études ont été réalisées pendant les saisons de grippe, dont plusieurs pendant l’épidémie de H1N1 de 2009). C’était la sixième d’une série consacrée à ce thème depuis 2006.

Les auteurs ont cette fois analysé 78 études publiées au cours des deux dernières décennies. Et sans surprise, l’une des conclusions est qu’il est très difficile de distinguer l’efficacité du masque de l’efficacité des autres mesures sanitaires, surtout quand elles sont appliquées simultanément.

Comme l’explique la rédactrice en chef de la « Bibliothèque Cochrane », Karla Soares-Weiser, dans sa mise au point du 10 mars: compte tenu des limites des preuves présentées, « la revue n’est pas capable de se prononcer sur la question ».

Les limites des mesures sur le masque

De quelles limites parle-t-on? D’une part, sur les 78 études, seulement 10 se concentrent principalement sur ce qui se passe lorsque des gens portent un masque par rapport à lorsqu’ils n’en portent pas. Cinq autres ont comparé l’efficacité de différents types de masques, spécialement chez les travailleurs de la santé.

On peut tout au plus signaler que parmi les 10 études qui se sont surtout concentrées sur les masques, les deux réalisées pendant la pandémie de COVID-19 ont conclu à leur efficacité.

D’autre part, même lorsqu’on compare des groupes qui portent des masques avec des groupes qui n’en portent pas, il est très difficile, voire impossible, de savoir s’ils le portent tout le temps ou s’ils le portent adéquatement.

À titre d’exemple, une des études, publiée en 2012, portait sur des étudiants vivant dans des résidences universitaires; on avait demandé à une partie d’entre eux de porter un masque au moins six heures par jour pendant qu’ils étaient dans les résidences. L’étude a été effectuée pendant la saison de grippe. Les chercheurs n’ont pas trouvé de différence « significative » dans le taux d’infection, mais notent que les étudiants allaient aussi en classe ou dans des événements sociaux, alors qu’ils ne portaient pas nécessairement de masque.

Observant plus largement les neuf autres études portant principalement sur le port du masque, le site Health Feedback notait le 1er février dernier que le fait de donner des masques à des gens ne garantit pas qu’ils vont les porter. « La plupart des études ne mesurent pas le respect du port du masque. »

Bref, tout au plus pourrait-on dire que la revue Cochrane a examiné l’efficacité des efforts visant à encourager le port du masque, mais sans vérifier si ces efforts ont fait une différence.

Une des études citées, et réalisée pendant la pandémie celle-là, a franchi cette étape supplémentaire: réalisée au Bangladesh, elle a consisté à distribuer des masques dans plusieurs villages éloignés, à donner de l’information aux dirigeants locaux, puis à comparer si cela se traduisait par une hausse du port du masque par rapport aux endroits où une telle distribution n’avait pas eu lieu. Le port du masque serait passé de 13 à 42% dans les premiers villages, et les chercheurs ont noté un taux d’infection moins élevé.

Pour vraiment évaluer l’efficacité du port du masque, il faudrait donc davantage d’études qui comparent des groupes de gens qui ont accès aux masques pendant une épidémie avec des groupes qui n’y ont pas accès. Mais il serait moralement douteux de refuser à une partie de la population l’accès à une mesure sanitaire.

Dans un survol plus sommaire de la littérature, en 2021, deux chercheurs américains affirmaient que les bénéfices pour la « communauté » augmenteraient avec le nombre de gens qui portent un masque. Il faut savoir que la pandémie a fourni plusieurs opportunités de comparer les taux d’infection par pays ou par région avec les périodes où le port du masque était obligatoire. Mais encore là, cette obligation s’accompagnait souvent d’autres mesures sanitaires, comme les restrictions sur les déplacements ou l’accès aux lieux publics.

La revue Cochrane elle-même concluait le 30 janvier par un appel à ce qu’il y ait davantage d’études à grande échelle comparant l’efficacité de ces diverses mesures sanitaires, « ainsi que l’impact de l’adhésion sur l’efficacité ». Une information qui pourrait s’avérer utile lors de la prochaine pandémie.

 

Photo: Chernetskaya / Dreamstime.com

Je donne