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L’identification des différents types de cancers du sein et la validation de traitements hormonaux ciblés offrent aujourd’hui de meilleurs pronostics aux patientes. Néanmoins, les nombreuses récidives et résistances aux traitements ont poussé les chercheurs à développer de nouvelles stratégies thérapeutiques. En 2017, l’une d’elles, qui consiste à combiner les traitements hormonaux existants avec des bloqueurs de molécules clés qui limitent la prolifération cellulaire, a été validée par les autorités de santé aux États-Unis et au Canada comme traitement régulier chez les femmes atteintes du cancer du sein hormono-dépendant métastatique. Le vieil adage L’union fait la force prend ici tout son sens dans la lutte contre ce cancer.

Depuis quelques mois, Marie-Jeanne sent une boule qui s’épaissit dans son sein droit. Après des consultations auprès de spécialistes et différentes analyses, le verdict tombe : Marie-Jeanne est atteinte du cancer du sein hormono-dépendant*. Un des moyens pour identifier ce cancer repose sur la détection de marqueurs biologiques* présents dans la tumeur. Ces marqueurs permettent de dégager des informations cruciales sur le comportement de la tumeur, les traitements à administrer et l’évolution de la maladie chez la patiente. Retour sur ce sous-type de cancer et sur les options thérapeutiques pour des patientes comme Marie-Jeanne.
 

Un cancer hormono-dépendant

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Le cancer du sein résulte de la multiplication anormale de cellules dans les glandes mammaires, situées dans le sein. Une femme sur huit en développe un au cours de sa vie et il représente la première cause de décès par cancer chez la femme dans le monde. Cette maladie peut également affecter les hommes, mais le pourcentage reste inférieur à 1 %[1].

Selon la classification qui repose sur les marqueurs biologiques, trois sous-types de cancer du sein existent. Marie-Jeanne a développé le sous-type dit « hormono-dépendant », dont les marqueurs principaux sont les récepteurs* des œstrogènes* de ce cancer[2]. Ce sous-type est le plus répandu chez les femmes et regroupe, à lui seul, 60 % des cas de cancer du sein. Dans son malheur, Marie-Jeanne est soulagée de faire partie de cette catégorie, pour laquelle les chances de guérison sont les meilleures grâce aux traitements existants[3].

Dans les cellules, les œstrogènes se lient à leurs récepteurs de manière spécifique et exercent ainsi leurs fonctions, comme l’activation de gènes impliqués dans la multiplication cellulaire. Dans le cancer du sein hormono-dépendant, la multiplication des cellules et la croissance de la tumeur dépendent principalement de cette fixation. Lorsqu’un cancer se déclare, la préoccupation première est de bloquer la liaison des œstrogènes à leurs récepteurs pour limiter la prolifération*cellulaire[4].

Les traitements préconisés pour les femmes atteintes de ce cancer vont modifier les taux d’œstrogènes ou bloquer leur action. L’un de ces traitements hormonaux repose sur les antiœstrogènes. Deux types d’antiœstrogènes sont aujourd’hui commercialisés : les antiœstrogènes « partiels » et les antiœstrogènes « totaux ».
 

Cibler les œstrogènes

Le tamoxifène est un antiœstrogène partiel qui cherche à se lier au récepteur à la place des œstrogènes. Ces derniers ont donc moins de chances de s’y lier et le récepteur perd en activité. S’il agit comme antiœstrogène dans le sein, ce médicament exerce tout même une activité stimulatrice du récepteur dans certains autres organes, comme l’utérus – d’où son appellation d’« antiœstrogène partiel »[5]. La prise de tamoxifène sur plus de 10 ans a ainsi été associée, chez 2 % des patientes traitées, à un risque accru du cancer de l’endomètre*[6]. Ce médicament, accepté par la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis en 1977, est utilisé en première ligne de traitement dans ce sous-type de cancer en raison de bénéfices thérapeutiques avérés. Après cinq ans de prise de tamoxifène, de manière indépendante à l’âge, une diminution du taux de décès de 31 % chez les patientes présentant ce sous-type et un risque plus faible que la tumeur migre ailleurs dans le corps sont observés.

Les antiœstrogènes totaux ont, quant à eux, un mode d’action différent : ils bloquent l’action des récepteurs des œstrogènes en entraînant leur dégradation et ils ne stimulent pas le récepteur à d’autres endroits dans le corps. Le seul antiœstrogène total aujourd’hui commercialisé est le fulvestrant, qui a été approuvé aux États-Unis en 2002[7]. Son administration se fait en clinique par injection dans un muscle fessier, contrairement aux autres antiœstrogènes, qui sont administrés par voie orale. De plus, sa biodisponibilité* est faible, car il est soumis à des modifications chimiques dans l’organisme qui mènent à une élimination rapide de ce médicament. Dans le traitement approuvé, à savoir une dose de 250 mg/mL injectée une fois par mois, une concentration de seulement 15 mg/mL du médicament est observée dans la circulation sanguine des patientes. En raison de ces contraintes, le fulvestrant est uniquement utilisé chez les femmes ménopausées qui présentent un cancer avancé métastatique, c’est-à-dire que le cancer s’est propagé à d’autres parties du corps, ou chez les femmes qui rechutent après un traitement par le tamoxifène ou par les inhibiteurs de l’aromatase*[8].

De leur côté, les inhibiteurs de l’aromatase constituent une autre issue thérapeutique hormonale et sont le premier choix de traitement des femmes ménopausées ou des femmes préménopausées qui ont subi une ovariectomie*. Comme l’aromatase intervient dans la chaîne de production des œstrogènes, administrer des molécules qui bloquent cette enzyme* permet d’empêcher la fabrication d’œstrogènes par certaines régions du corps telles que le tissu graisseux. Ce médicament ne peut toutefois pas être utilisé chez les femmes préménopausées qui n’ont pas subi d’ovariectomie, car il n’agit pas dans les ovaires, donc là où la majeure partie des œstrogènes est fabriquée avant la ménopause[9]. Les femmes préménopausées peuvent néanmoins avoir recours à un blocage temporaire de l’activité ovarienne par des médicaments spécifiques ou en optant pour une ovariectomie si elles ne veulent plus avoir d’enfants.

Le cancer du sein hormono-dépendant peut être localisé et rester dans le sein, ou il peut se propager à d’autres parties du corps, comme les poumons et le foie, et devenir alors métastatique. Dans ce cas, le cancer est plus agressif et une prise de médicaments associée à une chimiothérapie* peut être proposée aux patientes[10].
 

Des cellules qui résistent

Même si le cancer du sein hormono-dépendant présente de bons pronostics, une proportion considérable des femmes développe des résistances aux antiœstrogènes, c’est-à-dire qu’elles ne répondent pas ou plus aux traitements[11]. En effet, 30 % des femmes ne répondent pas au tamoxifène[12] et de 30 à 50 % des patientes peuvent rechuter – autrement dit, la tumeur endormie se réveille[13]. Le risque de récurrence est plus élevé dans les deux à trois premières années de rémission et diminue ensuite, sans jamais être considéré comme nul. De 10 % à 20 % des récidives sont issues de cancers précoces ou localement avancés, et de 60 % à 70 % proviennent de métastases distantes.

Grâce aux études menées en laboratoire sur des modèles cellulaires in vitro* et sur des animaux, les chercheurs commencent à lever le voile sur les mécanismes sous-jacents à ces deux types de résistances. Ces derniers peuvent survenir après des modifications de la présence du récepteur des œstrogènes. Dans certains cas, le récepteur peut disparaître après l’inactivation du gène responsable de sa production. Dans d’autres cas, des mutations du récepteur peuvent provoquer une modification de sa structure. Cette restructuration le rend alors actif en tout temps, sans nécessiter d’œstrogènes, et elle empêche même les antiœstrogènes de s’y fixer[14]. Toutes ces situations entraînent une perte d’efficacité des antiœstrogènes et le seul recours pour les femmes préménopausées qui présentent ce type de résistances est la chimiothérapie.

Néanmoins, une des avancées majeures dans la compréhension des mécanismes de résistance est que le récepteur des œstrogènes n’est pas le seul acteur important. D’autres gènes participeraient en effet à ce phénomène de résistance[15]. En outre, la dérégulation de molécules, à la suite d’un stress ou de modifications génétiques ou environnementales, est particulièrement pointée du doigt. Ces molécules jouent un rôle dans des séquences de communication cellulaire et sont critiques pour le contrôle de la prolifération des cellules ; elles peuvent impliquer, ou non, le récepteur des œstrogènes.
 

Un couplage prometteur

Récemment, la FDA et Santé Canada ont validé un nouveau traitement pour les femmes présentant un cancer du sein hormono-dépendant métastatique. Ce traitement agit sur différents fronts pour empêcher les cellules cancéreuses de proliférer, en associant les traitements hormonaux déjà existants avec des molécules qui bloquent une des étapes clés du cycle cellulaire*[16].

Pour stopper cette étape, les molécules empêchent les kinases dépendantes des cyclines (CDK), un groupe d’enzymes qui modulent des protéines de contrôle du cycle, d’exercer leur action. Le rôle des CDK est crucial pour assurer la poursuite du cycle et permettre la duplication d’une cellule.

Au fil des études, les chercheurs ont déterminé que ce sont les CDK numéros 4 et 6 (CDK4 et CDK6) qui jouent un rôle majeur dans le développement de cancers[17]. Par la suite, ils ont mis en évidence que leur blocage dans des cellules du cancer du sein permet d’arrêter la progression du cycle cellulaire et donc de limiter la prolifération de cellules cancéreuses[18]. Différents bloqueurs de CDK peuvent être utilisés selon le profil de la patiente parmi les trois approuvés à l’heure actuelle (palbociclib, ribociclib et abemaciclib).

Par ailleurs, l’administration du cocktail des bloqueurs de ces CDK et des traitements hormonaux classiques a montré de meilleurs résultats chez les femmes ayant un cancer du sein hormono-dépendant – en stade avancé ou alors présentant des résistances aux traitements – que l’administration des bloqueurs de ces CDK seuls. En effet, une augmentation de la survie des patientes, qui varie de 9 à 24 mois selon les études et les bloqueurs de CDK administrés et sans aggravation de la tumeur, et une meilleure efficacité de la réponse anticancéreuse ont été observées grâce à ce couplage[19]. Certains de ces cocktails médicamenteux sont désormais même autorisés comme première ligne de traitement chez des patientes ménopausées présentant un cancer du sein hormono-dépendant avancé et agressif[20]

D’autres pistes sont également explorées avec des essais cliniques évaluant l’efficacité et la biodisponibilité de nouvelles générations d’antiœstrogènes[21]. Toutes ces avancées sont prometteuses et offrent l’espoir aux femmes de pouvoir accéder à des traitements efficaces, avec des risques de rechute et de résistances limités.
 

— Un texte de Fatéma Dodat, étudiante au programme de doctorat en sciences pharmaceutiques

 

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